En rangs serrés et disciplinés ?

Professionnalisation, participation aux opérations de maintien de la paix et plus grande neutralité… En dépit des apparences, les armées africaines sont sur la bonne voie.

Publié le 31 mars 2009 Lecture : 6 minutes.

L’actualité malgache, guinéenne et mauritanienne est-elle le signe d’un retour durable des militaires aux affaires ? « Indéniablement, ils sont plus présents ces derniers mois, et l’on peut s’interroger », répond Philippe Hugon, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), en France. « Mais l’armée comme ultime recours pour dénouer une crise, ce n’est pas nouveau. Et actuellement, elle fait plutôt office d’arbitre. La tendance est de redonner le pouvoir aux civils. »

Même si l’actualité rend quelque peu hypothétique ce jugement, que d’aucuns jugeront complaisant à l’égard des hommes en treillis, plusieurs études récentes confirment cette thèse. L’une d’entre elles, réalisée par l’Institut pour la recherche internationale sur les conflits de l’université allemande de Heidelberg (HIIK), évoque même « un net recul » des coups d’État. Dans son baromètre 2008 sur les conflits paru en novembre dernier, ce think-tank affirme que le nombre de putschs est tombé à moins de cinq par an dans le monde, contre une vingtaine durant la période 1960-1985. Avec trois en moyenne, l’Afrique arrive toujours en tête. Mais ce chiffre n’a rien de commun avec la période post-indépendances.

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« Les pays nouvellement décolonisés étaient très vulnérables. Mais la fin de la guerre froide et la contagion démocratique ont fait reculer ce phénomène », explique l’institut allemand. Les événements en Mauritanie, à Conakry, en Guinée-Bissau et dans la Grande Île seraient donc l’exception qui confirme la règle. Si l’intervention des militaires sévit encore, ce mode d’accession au pouvoir est devenu plus marginal.

Formation en progrès

Pour expliquer ce retour aux casernes, les experts en matière de défense avancent plusieurs facteurs. Le principal est l’amélioration de la formation des officiers. « L’élévation du niveau est indiscutable », note un expert de l’état-major français de l’armée de terre. « Les personnels africains sont plus ouverts sur le monde et plus soucieux de leur rôle. Les armées de métier remplacent les armées de papa », poursuit-il. Évolution ? Entendez, la prise en compte de la protection du citoyen, de l’État de droit, la prévention des conflits et la promotion des opérations de maintien de la paix. Début mars, alors que la garde rapprochée du président malgache Marc Ravalomanana tirait à balles réelles sur les manifestants de l’opposition, des dizaines de soldats mutins de l’armée de terre – « formés pour protéger les gens et non pour les tuer », selon leurs propres termes – refusaient d’utiliser leurs armes. Le « faiseur de paix » s’est substitué au « chef de guerre ».

Pour ce qui est de l’interventionnisme occidental et du parrainage postcolonial, l’heure est aussi, semble-t-il, à la refondation. À l’image de la France en train de renégocier ses accords de défense avec huit pays (Togo, Côte d’Ivoire, Cameroun, Gabon, Djibouti, Centrafrique, Sénégal et Comores), « les pays industrialisés ne veulent plus assumer les risques politiques des conflits sur le continent et donner l’impression de mener des opérations néocoloniales », explique Abraham Ehemba. Pour ce doctorant sénégalais qui prépare une thèse sur le rôle des armées dans les conflits en Afrique de l’Ouest, à l’Institut français de géopolitique (IFG), l’heure est à présent au « soutien logistique et aux interventions multilatérales, de préférence sous onction onusienne ».

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Ce désengagement extérieur suppose une meilleure capacité des armées africaines à gérer les crises. D’abord à travers la formation. Quatorze Écoles nationales à vocation régionale (ENVR) réparties dans neuf pays assurent depuis 1997 l’instruction militaire dans les pays francophones. Au total, 11 000 officiers et sous-officiers issus d’une vingtaine de pays ont été formés dans des domaines tels que le maintien de la paix, la sécurité intérieure ou le déminage.

Autre signe d’évolution, les grandes écoles, comme Saint-Cyr en France (voir pp. 28-29), West Point aux États-Unis et Sandhurst en Grande-Bretagne, accueillent de plus en plus d’élèves subsahariens. Ces cursus sont complétés par de nombreuses opérations visant à améliorer l’efficacité sur le terrain. La plus connue reste le programme Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (Recamp), lancé par la France en 1998.

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Les soldats africains voient également leur rôle renforcé au niveau multilatéral grâce à leur participation dans bon nombre de missions onusiennes. Selon le Centre de recherche sur la coopération internationale de l’université de New York, 72 % des 114 000 Casques bleus déployés dans le monde sont en Afrique, et 30 % d’entre eux sont originaires du continent. Les organisations sous-régionales, voire continentale comme l’Union africaine, s’activent également. Cette dernière peut déjà mobiliser des forces à la demande de ses membres. Par exemple en Somalie (Amisom) ou au Darfour (Minuad). À terme, une Force africaine en attente (FAA) doit être constituée et Recamp basculera dans le giron de l’UE et de l’UA pour donner naissance au dispositif « EuroRecamp » et au cycle « Amani Africa » (« Paix en Afrique », en swahili). Le premier exercice se déroulera en 2010.

Pressions internationales

Plus professionnelles, les armées africaines semblent aussi plus légalistes. « L’époque où la communauté internationale prenait acte d’un putsch en restant les bras croisés est révolue », analyse un haut fonctionnaire du ministère français de la Défense. L’ancien président de la Commission de l’UA, Alpha Oumar Konaré, a donné le ton en critiquant violemment, en 2005, le jeu des militaires togolais portant Faure Gnassingbé à la présidence puis en dénonçant la prise de pouvoir d’Ely Ould Mohamed Vall, en Mauritanie. Cette logique est reprise par son successeur, Jean Ping.

À cela s’ajoute le poids des bailleurs de fonds, qui ont le mérite d’affaiblir la marge de manœuvre des militaires, pressés d’apporter des garanties pour un retour au pouvoir des civils. Une nouvelle présidentielle devrait se tenir en juin en Mauritanie. Une autre avant la fin de 2010 en Guinée. À Madagascar, Andry Rajoelina est sous pression pour convoquer un scrutin avant vingt-quatre mois. L’émergence d’une justice universelle, avec la Cour pénale internationale (CPI) et le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, pèse également dans la balance. Un ancien chef d’État, Charles Taylor, un ancien chef de milice, Jean-Pierre Bemba, dans le box des accusés ; un président en exercice, Omar el-Béchir, poursuivi pour crimes de guerre : de quoi écorner sérieusement le sentiment d’impunité au sud du Sahara.

La maturité des sociétés civiles est un autre signe encourageant. Syndicats, autorités religieuses, associations de défense des droits de l’homme… les groupes de pression se font davantage entendre. « La société civile est un nouvel acteur de résolution des crises. Les populations adhèrent de moins en moins à l’ordre militaire », estime Daniel Bach, directeur de recherche au Centre national de recherches scientifique (CNRS),

Manque de moyens

Il n’empêche, ce plus grand professionnalisme et cette neutralité n’éloignent pas totalement le danger d’une immixtion dans l’arène politique. « La meilleure des formations ne servira à rien si les officiers commandent des hommes en haillons », explique un officier camerounais sous le couvert de l’anonymat. La clochardisation des armées est une réelle menace. En 2002, le délitement des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) était tel qu’elles n’ont pu contenir l’avancée des Forces nouvelles (FN). Plus récemment, les soldats congolais ont été dans l’incapacité de neutraliser le rebelle Laurent Nkunda, au Kivu. Pis, ils se sont rendus coupables d’exactions sur les populations civiles. En fait, les armées sont à l’image des pays et évoluent en fonction de la maturité démocratique des États. Plus ces derniers sont fragiles, plus les militaires sont tentés d’investir le champ politique.

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