Ode à la joie

Après cinq ans d’absence, la diva malienne Oumou Sangaré revient sur le devant de la scène avec Seya (« joie »). Un cinquième album intense et haut en couleur.

Publié le 31 mars 2009 Lecture : 4 minutes.

Quiconque tente de joindre Oumou Sangaré à l’hôtel qu’elle possède à Bamako a de fortes chances de buter sur cette réponse du réceptionniste : « Madame n’arrête pas de bouger. » Il y a bien une affichette posée là qui annonce « Tous les samedis, à 21 heures, la grande diva de la musique malienne » en concert au restaurant, mais mieux vaut envisager une solution de repli, au cas où…

Oumou Sangaré est insaisissable, court après les avions, avale les kilomètres. Il y a quelques mois, elle était aux États-Unis où elle chantait à l’université Harvard de Boston. « Là où a étudié Obama ! » s’enthousiasme-t-elle. Début février, la semaine suivant la sortie au Mali de son nouvel album, Seya (« joie »), après s’être produite au festival sur le fleuve Niger à Segou, elle s’envole pour le Burkina.

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Sur la route de l’aéroport, la chanteuse fait un détour pour saluer Dembélé Maly, présidente de l’Association pour la sauvegarde de l’enfance (ASE-Mali). Tout le monde l’appelle « Bibi ». C’est une sœur de cœur, une femme debout, comme elle. « Un jour, elle est venue me voir et m’a raconté son histoire. Elle voulait ouvrir un orphelinat mais ne savait pas comment faire pour obtenir l’agrément des autorités. J’ai décidé de l’aider. » Depuis son ouverture en 2001, l’orphelinat Niaber, qui accueille également des enfants dont les parents ne peuvent pas s’occuper, reçoit les visites régulières – toujours généreuses – de la diva.

Le 17 février, Oumou est venue accueillir la rappeuse Diam’s, qui venait à Bamako, invitée par un animateur radio. « Quand on a la chance de pouvoir aider les autres, il faut le faire », déclare Oumou Sangaré, installée à une table du restaurant de son hôtel.

Grâce aux bénéfices tirés de son succès international, elle a ouvert cet établissement place Sogolon, sur la route de l’aéroport, au printemps 2002. À l’époque où l’on a vu fleurir les hôtels dans la ville, avec les encouragements du gouvernement, soucieux de fournir une capacité d’accueil suffisante lors de la Coupe d’Afrique des nations, qui se tenait, cette année-là, dans la capitale malienne.

Oumou Sangaré a appelé son hôtel Wassulu, pour que ce nom « soit gravé dans la mémoire de tous les Maliens ». C’est celui de la région de sa mère, au sud, la plus verte du Mali, à 120 km de la capitale, là où les règles de castes ailleurs en vigueur n’ont pas cours. Où donc l’on peut chanter sans appartenir à un lignage de djelis (griots), personnages clés de la société traditionnelle mandingue, généalogistes, conteurs, historiens, chanteurs de louanges… Oumou Sangaré n’est pas griotte. Les griottes d’ailleurs viennent à elle lui chanter des louanges. À l’instar de Bintou Dembélé, qui début février a fait le voyage depuis le Burkina pour lui remettre en main propre sa dernière cassette dans laquelle elle lui rend hommage.

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Née à Bamako, en 1969, Oumou Sangaré est profondément attachée à la terre natale de sa mère. Chanter les rythmes de cette région en wassoulou n’ke, une variante du bambara, c’est rendre hommage, dit-elle, à celle qui a fait ce qu’elle est aujourd’hui. « Ma mère a toujours été une battante et elle n’arrête pas de bouger. » Oumou Sangaré avait 2 ans lorsque son père a pris une seconde épouse, puis est parti en Côte d’Ivoire, sans se retourner. « Il y a quelques années, je l’ai retrouvé et lui ai pardonné. Je l’ai fait venir à Bamako avec sa famille, lui ai offert une maison. J’ai découvert qu’il était un homme doux, ouvert d’esprit. Je n’ai hélas pas eu le temps de le connaître davantage. Il est décédé fin 2005. »

Oumou Sangaré a souvent vu sa mère pleurer. Elle tentait de la consoler, l’aidait à nourrir la famille en allant chanter dans les baptêmes et les mariages. La souffrance de sa mère nourrit plus tard son inspiration. « Mon premier album est né des questions que je me posais seule dans ma chambre sur les raisons de la douleur qu’éprouvait ma mère. »

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Après une carrière dans l’ensemble Djoliba Percussions, avec lequel elle tourne en Europe, Oumou Sangaré sort son premier album en 1990, Moussolou (« Les femmes »), enregistré l’année précédente à Abidjan. La cassette fait mouche immédiatement dans toute l’Afrique de l’Ouest. Oumou Sangaré a 21 ans. Elle est en route pour la gloire. Ses chansons brisent des tabous, parlent ouvertement de sujets sensibles. Elle encourage les femmes à plus de lucidité, à prendre en main leur destin. Elle dénonce la polygamie, les mariages arrangés, chante « les frissons de la passion ».

Oumou Sangaré s’affirme telle qu’elle est, jusqu’à aujourd’hui, gonflée, têtue, guerrière. Militante ? Le mot est trop fort. Elle rectifie en riant. « Résistante plutôt, ça me va mieux. En tant que femme et mère, si je peux profiter de ma voix et de ma notoriété pour dénoncer certaines choses, je le ferai jusqu’à la fin. »

Au sommet de ses combats : la cause des femmes. « Il y a encore du travail à faire ! » Dans Seya, « Wele Wele Wintou » dénonce les mariages précoces arrangés par les familles. Oumou Sangaré rit et sourit, déploie des trésors d’élégance, s’amuse, batifole et gazouille comme si rien ne l’atteignait. Elle semble joyeuse à longueur de temps.

Une légèreté d’apparence. L’injustice, la révolte, c’est l’une de ses raisons de chanter, le moteur de ses engagements, de son implication contre la faim, le paludisme, l’excision, et en faveur des enfants… Oumou Sangaré chante en prenant du plaisir, mais reste en éveil. Vigilante.

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