Les industriels montrent la voie
Avec un certain retard sur l’Asie, l’Afrique commence à utiliser les mécanismes du protocole de Kyoto. En témoignent les premiers projets d’économie d’énergie et d’énergie propre qui émergent sur le continent.
L’Afrique se met au vert
La faible industrialisation de l’Afrique en fait un émetteur de gaz à effet de serre très mineur : avec 14 % de la population, elle n’est à l’origine que de 3,5 % des émissions mondiales. C’est pourtant le continent qui risque de payer le plus lourd tribut au changement climatique : risques d’aggravation des sécheresses dans les zones sahéliennes, d’accentuation des inondations, cyclones dans les régions australes et montée du niveau des océans, menaçant les zones côtières où se concentrent les grandes villes. Pour ne pas être les grands perdants du réchauffement climatique, les États africains doivent se donner les moyens de peser sur les prochaines négociations sur le climat, qui auront lieu en décembre 2009 lors de la Conférence mondiale de Copenhague, au Danemark, et doivent aboutir à une suite du protocole de Kyoto, qui expire en 2012.
Ils s’y préparent : l’Afrique entend présenter « une plate-forme et une position commune pour permettre au continent de se faire entendre d’une seule voix », a dit le ministre algérien de l’Aménagement du territoire et de l’environnement, Cherif Rahmani, en décembre dernier, à l’issue de la « Conférence africaine sur le climat après 2012 », qui a réuni à Alger en décembre dernier la plupart des ministres africains de l’Environnement. Le texte final, adopté à Alger, insiste sur les obligations des pays riches et pollueurs vis-à-vis des pays pauvres qui émettent peu de gaz à effet de serre. Des mécanismes existent, censés apporter des compensations aux pays en développement de la part des pollueurs, responsables de l’effet de serre. Le Mécanisme de développement propre (MDP), inclus dans le protocole de Kyoto en 1997, permet aux pays développés de compenser une partie de leurs émissions de CO2 en finançant des projets « propres » au Sud portant sur l’énergie ou la reforestation.
Seulement 2 % des projets
Mal informée, manquant de moyens humains pour négocier, l’Afrique a encore insuffisamment profité de ce mécanisme : 2 % des projets qui en sont issus concernent l’Afrique, contre 45 % pour la Chine. Une étude a pourtant mis en évidence les nombreuses opportunités pour des projets MDP en Afrique subsaharienne : 3 200 projets d’énergie propre sont potentiellement réalisables dans ce cadre. Ils fourniraient plus de 170 GW de capacité de production d’électricité supplémentaire, soit environ quatre fois le volume de la production actuelle d’énergie commerciale de la région. Ils concerneraient des domaines très divers comme l’utilisation des résidus agricoles et agro-industriels, des résidus des exploitations forestières et de l’industrie du bois ainsi qu’une utilisation plus efficace des combustibles fossiles. « Les instruments financiers innovateurs et liés au changement climatique offrent une opportunité sans précédent pour valoriser ce potentiel inexploité », souligne cette étude dirigée par un consultant de la Banque mondiale. Seulement, « l’Afrique n’a aucune stratégie pour être présente dans le MDP. Elle ne pèse pas dans les négociations, elle ne saisit pas les opportunités qui s’offrent à elle », s’indigne Thierno Bocar Tall, chef de projet au Fonds africain des biocarburants et des énergies renouvelables (Faber) (lire encadré). La création de ce Fonds ainsi que la tenue, fin 2008 à Dakar, du premier Forum africain du marché du carbone commencent pourtant à faire bouger les choses. Auparavant, quelques rares projets avaient vu le jour comme celui du groupe français Veolia Environnement, qui avait soutenu, en 2006, soit un an après l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto et donc du marché du carbone, un système de captage et de valorisation du biogaz en Égypte. Ce projet, qui permet de récupérer et de transformer en énergie le gaz émis par les décharges municipales d’Alexandrie, deuxième ville d’Égypte, offre à Veolia l’occasion d’acquérir des crédits carbone pour réduire son niveau de pollution comme l’impose le protocole de Kyoto. Au Forum de Dakar, le Faber a signé une convention avec l’Anader (Agence nationale d’appui au développement rural) ivoirienne pour réaliser l’étude de faisabilité d’une centrale électrique fonctionnant avec des résidus agricoles (riz, cabosses de cacao, enveloppes des cerises de café, sciure de bois).
La chaleur obtenue par cogénération servira à sécher le cacao tandis que l’électricité produite sera distribuée dans les villages environnants. La centrale sera installée à Méagui, au sud-ouest de la Côte d’Ivoire, au cœur de la zone cacaoyère. De son côté, le groupe ivoirien Eoulé a trouvé à Dakar des acheteurs pour son projet d’exploitation de biogaz dans la décharge d’Akouédo. En s’appuyant également sur le MDP et les crédits carbone, Eoulé compte réaliser un projet d’énergie éolienne en mer.
Crédit d’émission au Sénégal
Un autre créneau prometteur en termes de réduction de la consommation d’énergie et donc de création de crédits carbone est l’adoption d’ampoules basse consommation (BC). Ces ampoules réduisent la consommation électrique puisqu’elles éclairent aussi bien avec une consommation cinq fois plus faible. « En remplaçant ses ampoules, le Ghana a réussi à supprimer les délestages liés à une trop forte demande, sans augmenter sa capacité de production », indique Thierno Bocar Tall. Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ont décidé d’adopter ce système. Le Sénégal vient de vendre au Community Development Carbon Fund, un fonds carbone géré par la Banque mondiale, un crédit de 120 000 tonnes d’émission de carbone grâce aux économies d’électricité réalisées avec l’installation de 1,5 million d’ampoules qui doivent être mises en place dans le cadre du programme national d’électrification rurale. Le contrat signé durant le Forum de Dakar est le premier impliquant le MDP au Sénégal. Au Bénin et au Togo, c’est le Faber qui va réaliser une étude pour l’introduction des ampoules BC et qui se chargera de monter le dossier pour le rendre éligible au MDP.
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