Le Maghreb résiste au choc de la crise
Les investisseurs étrangers n’ont pas fui les pays du Maghreb en 2008. Enfin, moins qu’ailleurs. Autre bonne nouvelle : les transferts de production depuis l’Europe se multiplient, favorisant l’essor des services.
Le projet Tanger Med II est-il compromis ? Inquiet du brutal ralentissement du trafic maritime, le troisième opérateur portuaire mondial, le groupe danois AP Moller, revoit la copie de ses investissements. En juillet 2008, deux de ses filiales (Maersk et APM Terminals) décrochaient avec le marocain Akwa la concession du Terminal 3 de Tanger Med II, d’une capacité future de 3 millions de conteneurs par an. Déstabilisé par l’effondrement de 20 % du transport mondial de conteneurs en janvier 2009, comparé à la même période en 2008, AP Moller a indiqué le 13 mars qu’il se laissait jusqu’en mai pour trancher s’il continue, reporte ou donne un coup d’arrêt au projet. Le groupe n’est pas le seul à s’interroger sur l’opportunité d’investir au Maghreb en ces temps de crise. Lafarge doit reporter la construction d’une cimenterie en Algérie. Et, dès la fin de novembre 2008, le groupe émirati Damac Properties annulait des projets immobiliers en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Une décision suivie par son compatriote Emaar en Algérie.
« Le flux des investissements directs a reculé en 2008. Des projets sont gelés ou annulés », confirme Pierre Henry, responsable de l’observatoire Mipo (Mediterranean Investment Project Observatory), du réseau Anima. Ce dernier regroupe les agences de promotion des investissements de la région Meda, qui s’étend au sud de la Méditerranée du Maroc à la Turquie, et qui a mis en ligne le 19 mars son rapport annuel sur les investissements directs étrangers (IDE) pour l’année 2008. Et si le nombre de projets n’a régressé que de 6,2 % (722 projets d’IDE) par rapport à 2007, l’impact de la crise se traduit depuis le dernier trimestre 2008 par la dégringolade des montants investis, en chute libre de 33 % l’an passé, à 40,6 milliards d’euros (voir graphique page ci-contre). L’effet s’est fait ressentir en matière d’emploi avec 76 000 créations de postes l’année écoulée, contre 101 000 deux ans plus tôt.
Le Golfe gèle certains projets
Après avoir abandonné en 2006 aux monarchies pétrolières la place de premier investisseur étranger sur la rive sud de la Méditerranée, l’Europe confirme son retour au premier plan avec plus de 16 milliards d’euros investis, contre 8,5 milliards aux pays de la péninsule Arabique (15,3 milliards en 2007), principalement dans le domaine de l’immobilier et du tourisme. « En 2008, de gros projets à cinq ou dix ans ont été annoncés par des investisseurs du Golfe. On peut craindre qu’ils n’aboutissent pas tous, au moins dans leur dimension initialement prévue. Certains seront réduits, arrêtés à la fin de la première tranche de réalisation, ou bien annulés », redoute Pierre Henry. De fait, les montants investis dans l’immobilier, qui représentent 19 % du total des IDE, ont été divisés par deux en 2008, à 7,6 milliards d’euros.
Dans ce contexte, le Maghreb, qui passe sous la barre des 200 projets (198), est malgré tout moins sévèrement affecté par le mouvement à la baisse : les IDE y ont « seulement » chuté de 23 %, glissant de 9,4 milliards d’euros en 2007 à 7,55 milliards l’an passé. L’énergie est aux avant-postes avec 2,7 milliards d’euros pour une cinquantaine de projets, suivie du BTP et du tourisme, qui totalisent 2,5 milliards d’euros dans 70 projets, et de la banque-assurance (1,2 milliard d’euros pour 23 projets). Toutefois, l’ensemble des pays ne sont pas logés à la même enseigne. La Libye devient la première destination des investisseurs étrangers et double ses IDE, à 3,24 milliards d’euros en 2008. Le Maroc, de son côté, résiste et enregistre une petite baisse de 7 % (1,74 milliard d’euros). À la différence de la Tunisie, qui s’effondre de 75 % à 1,23 milliard – la privatisation de Tunisie Télécom avait dopé les IDE à 4,8 milliards d’euros en 2007. En Algérie, le bilan s’établit à 2 milliards d’euros (+ 17,6 %), loin des annonces tonitruantes de l’Agence nationale de développement de l’investissement (Andi), qui parle de 7,6 milliards d’IDE en 2008 – mais elle répertorie les annonces sans vérifier leur réalisation effective.
« Ce qui est surprenant, c’est qu’il n’y a pas de fuite des investisseurs étrangers. Même si le reflux est net, le sud de la Méditerranée a bien mieux résisté que l’Europe, les États-Unis ou le Japon. Car il y a une vraie dynamique régionale. Les investissements seront maintenus pour la plupart dans l’énergie. Le secteur du BTP sera porté par le boom du logement social. Enfin, les transferts de capacités de production depuis l’Europe devraient se poursuivre », analyse Pierre Henry. Même si des secteurs souffrent et sont touchés par le chômage, comme la sous-traitance automobile en Tunisie et au Maroc, cette activité bénéficiera très vite du retournement de conjoncture. « Dès que les excédents de production seront absorbés, les chaînes repartiront très fort au Sud quand la demande décollera à nouveau et exigera des modèles plus simples et moins chers », prédit Pierre Henry.
Ces transferts de capacités de production, qui se poursuivront par ailleurs en 2009, touchent de nombreux secteurs : matériel ferroviaire, électroménager, aéronautique… La Tunisie a profité de l’implantation du fabricant d’avions de tourisme italien Storm Aircraft et a bénéficié, au début de l’année, de la création d’Aerolia, la nouvelle filiale d’Airbus, qui entraîne dans son sillage de très nombreuses PME européennes créatrices d’emplois.
Le boom de la logistique
« Le Maghreb est un recours pour l’Europe », souligne Bénédict de Saint-Laurent, le directeur du réseau Anima. Y compris dans le textile et l’habillement. « “Le sourcing long-courrier” présente des risques », justifie Najib Karafi, le directeur du Centre technique du textile tunisien (Cettex). Après les H&M, Zara et Décathlon, les marques européennes redécouvrent les vertus de la proximité géographique du Maghreb (voir encadré). Premier investisseur étranger du secteur en Tunisie, l’italien Benetton a décidé d’ouvrir quatre nouvelles usines en 2008 et projette la création de dix unités de sous-traitance en 2009. Alors que le Groupe Galeries Lafayette confectionnait 95 % de ses produits en Asie, il réoriente ses acheteurs vers le sud de la Méditerranée. Après soixante-dix ans d’absence, l’enseigne signera son retour au Maroc en 2010 avec l’ouverture d’un magasin de 13 000 m² dans le futur Marocco Mall de Casablanca. Démarche identique pour Carrefour. Le distributeur limite désormais ses approvisionnements en vêtements en Asie à hauteur de 60 % et recherche des fournisseurs maghrébins pour les séries courtes. Un renforcement du tissu industriel local qui favorise l’essor du tertiaire.
Dans les services aux entreprises (comptabilité, certification, manutention de sites industriels, gardiennage…), le conseil (arrivée d’Ernst & Young en Algérie) ou l’informatique, les implantations se multiplient. Même la logistique se développe. Geodis (groupe SNCF) s’est installée à Tanger Med, et Gefco, la filiale logistique automobile du groupe Peugeot Citroën, à Tit Mellil, au sud de Rabat. De son côté, le groupe logistique suisse Kuehne & Nagel construit un entrepôt de 2 000 m² dans la banlieue d’Alger pour distribuer les produits du fabricant d’appareils électriques Legrand dans le pays. « Avec la présence croissante d’investisseurs étrangers, il y a des places à prendre au sud de la Méditerranée dans la logistique comme dans le transport frigorifique ou express. Ces investissements profiteront aux entreprises locales et amélioreront leur compétitivité », conclut Pierre Henry.
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