Un concentré des Mille et Une Nuits

Quiconque découvre Kairouan est subjugué par la majesté de ses édifices – ses remparts, ses mosquées et mausolées –, mais aussi par sa lumière toute particulière.

Publié le 30 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

Comment, en ce matin ensoleillé de mars, ne pas penser à la lumière qui a ébloui et ensorcelé les peintres Paul Klee et August Macke à leur arrivée dans la médina de Kairouan, en 1914, il y a bientôt un siècle… Un moment qui a marqué l’histoire de la création artistique. De cette luminosité intense et de la variété des formes et des couleurs des monuments centenaires, des souks, Klee écrit dans son journal : « D’abord, un grand vertige. Kairouan, ce ne sont pas des détails. C’est un tout. Et quel tout ! Un concentré des Mille et Une Nuits à 99 % de réalité. Quel arôme ! Comme il pénètre, enivre et rend en même temps toutes choses plus claires ! » Puis d’ajouter : « La couleur est en moi. Je n’ai pas besoin de chercher à la saisir. Je sais qu’elle me possède pour toujours, je le sais. Voilà le sens de ce moment heureux : la couleur et moi ne formons plus qu’un. Je suis peintre. »

Comme Klee, il faut une fusion presque mystique pour apprécier cette médina en flânant dans ses ruelles. Ici, comme dans tout autre lieu saint, spiritualité, légendes et réalité se mêlent pour conter les mystères d’un patrimoine culturel qui se perpétue depuis treize siècles. Et, surtout, d’une médina qui, selon Mourad Rammah, son conservateur (voir pp. 64-65), « est la plus préservée de toutes ses semblables ailleurs dans le monde, ce qui a permis à Kairouan de garder son cachet et son authenticité architecturale ».

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Première ville sainte du Maghreb, Kairouan est la quatrième ville sainte du monde musulman (après La Mecque, Médine et Jérusalem). Sa Grande Mosquée, joyau de l’architecture et de l’art arabo-musulman, fut construite en 670-675, bien avant la mosquée Al-Azhar du Caire (970). La Grande Mosquée de Kairouan est en effet la plus ancienne du Maghreb et d’Afrique. Selon les historiens, elle fut la première à se doter d’un minaret dans l’histoire de l’Islam – un minaret à la fois sobre et imposant, composé de trois niveaux (dont seul celui du bas est d’origine) – et a servi de source d’inspiration pour des édifices similaires au Maghreb. Dans la salle des prières, le minbar (trône du prêcheur) est en bois de teck venu d’Inde. La maqsura (bibliothèque) est la plus vieille conservée au sein d’une mosquée dans le monde musulman. Les carreaux de céramique qui cernent le mihrab (niche indiquant la qibla, c’est-à-dire la direction de La Mecque, vers laquelle se tourner pour prier) datent du IXe siècle. Venus de Mésopotamie, ils constituent une curiosité pour le monde des arts : décorés de monochrome vert, brun et ocre, ils se teintent de reflets métalliques, jaune doré, bleu et vert, selon l’angle et l’éclairage.

Cent mosquées ?

Bien entendu, le patrimoine de Kairouan ne se réduit pas à sa grande mosquée. Elle qui est réputée être « la ville aux cent mosquées »… Selon l’Institut national du patrimoine (INP), à la suite de nombreuses réaffectations et disparitions, on n’en compte plus « que » 66 dans la médina. Un peu plus d’une centaine si l’on y ajoute la cinquantaine de zaouïas, petits édifices sacrés et mausolées de poche à la gloire d’ascètes vénérés par la population locale et qui servent de lieux de prière.

La compréhension de la spiritualité de Kairouan serait incomplète si l’on ne tenait pas compte de l’importance du saint patron de la ville, Abou Zama el-Balaoui, plus connu sous le nom de Sidi Sahbi, parce qu’il était compagnon (sahaba) du prophète Mohammed. Décédé en l’an 654 (34 H.) dans une bataille contre l’armée byzantine, Sidi Sahbi serait venu en Ifriqiya pour y répandre l’islam et fut enterré à Kairouan, avant sa construction. Son tombeau – situé en dehors de la médina – est aujourd’hui plus communément appelé mausolée du Barbier, autre surnom de Sidi Sahbi, qui gardait sur lui trois poils de la barbe du Prophète. Vénéré par les Kairouanais et par les Tunisiens en général, son mausolée est un haut lieu de pèlerinage pour les fidèles musulmans ainsi qu’un site incontournable pour les touristes. On y vient pour se recueillir, faire des vœux, célébrer des contrats de mariage ou des circoncisions, et c’est là que, chaque année, on fête le Mouled (la naissance du Prophète).

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Parce que l’effort de sauvegarde y est peut-être plus marqué qu’ailleurs dans le pays, la médina de Kairouan est sans doute celle qui reste la plus vivante et la moins désertée par ses habitants d’origine. Ceinte de 3,5 kilomètres de remparts, elle continue en effet d’abriter 15 000 habitants (sur les 150 000 que compte la ville), au sein de 1 340 logements à l’architecture introvertie, organisée autour de patios, qui couvrent environ 80 % des 54 hectares de la superficie de la médina. Cependant, malgré les efforts de sauvegarde et de restauration des maisons, qui ont été construites au cours des trois derniers siècles, certaines d’entre elles – plus d’une centaine – paraissent abandonnées. Il est vrai qu’elles sont beaucoup moins fonctionnelles sur le plan sanitaire que les demeures modernes.

Une cité bien vivante

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Les Kairouanais restent très attachés à leur médina. « Nous avons quitté notre maison de la médina pour un logement dans un quartier résidentiel moderne, raconte Manal, une étudiante. Mais nous en gardons la nostalgie et retournons souvent à la médina pour replonger dans son ambiance. » En revanche, « Tante Essia », une grand-mère moderne et pieuse, couverte d’un châle de l’artisanat local, nous reçoit dans sa maison, à proximité de la Grande Mosquée. Elle ne quitterait pour rien au monde sa médina où, soit dit en passant, on voit moins de femmes portant le hijab que sur l’avenue Bourguiba à Tunis. Tante Essia a donné une éducation universitaire et moderne à ses sept filles et trois garçons, aujourd’hui tous mariés, qui réussissent dans la capitale ou à l’étranger. « Certaines de mes filles qui habitent dans la banlieue de Tunis insistent pour que j’aille chez elles et elles me gâtent quand j’y vais, raconte-t-elle. Mais, finalement, j’ai toujours hâte de retourner dans la médina de Kairouan. La vie y est tellement plus simple et plus pratique. Je m’y sens mieux au milieu de mes amis du quartier. Et plus en sécurité. » Certaines familles, signale l’Institut du patrimoine, participent volontiers aux opérations de rénovation, comme celle de la place Jraba, point de passage du circuit touristique. Ainsi, la famille Zouabi a confié à l’Association de sauvegarde de la médina (ASMK) la charge de rénover sa propriété, qui donne sur cette place, avec des matériaux traditionnels et en assumant la totalité des frais.

Les différents travaux de restauration menés depuis 1987 au niveau des mausolées, des mosquées, des oratoires et des artères principales de la médina de Kairouan ont coûté plus de 7 millions de dinars (3,9 millions d’euros) et en font un projet pilote pour toutes les médinas tunisiennes, voire nord-africaines et arabes. 

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