Descente aux enfers

Crise oblige, les pays du G20 se sont enfin résolus à éradiquer ces trous noirs de la finance mondiale que sont les places offshore et autres « territoires non coopératifs ». Mais l’ingéniosité des fraudeurs étant ce qu’elle est – sans limites –, il y a loin de la coupe aux lèvres !

Publié le 30 mars 2009 Lecture : 6 minutes.

Sale temps pour les places « offshore », les « territoires non coopératifs » et autres paradis fiscaux ! Depuis que, le 13 mars à Londres, les ministres des Finances du G20 les ont réprimandés sans ménagement excessif, Andorre, la Suisse, l’Autriche, le Luxembourg, le Liechtenstein et quelques autres promettent à qui veut les entendre de communiquer aux services fiscaux des pays qui leur en feront la demande tous les renseignements utiles concernant les riches expatriés qui tentent d’échapper à l’impôt dans leurs pays respectifs. La perspective de figurer sur une « liste noire » que les pays du G20 pourraient adopter, sanctions à la clé, le 2 avril à Londres, les a incités à rentrer dans le rang. Au moins en apparence.

Il y a plusieurs façons de décrire ces « trous noirs » de la finance internationale. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a la sienne, qui fait autorité depuis 1998. Mais le Groupe d’action financière (Gafi) en a mis au point une autre qui cible plus précisément la criminalité financière et le blanchiment d’argent. Dans tous les cas de figure, un paradis fiscal est un pays ou un territoire qui offre aux particuliers et aux entreprises étrangères de domicilier chez lui des fonds qui seront exemptés d’impôts locaux (ou très faiblement taxés) et bénéficieront d’un strict anonymat, grâce au secret bancaire.

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Les détenteurs d’un patrimoine ou de revenus importants peuvent ainsi échapper, en totalité ou en partie, aux impôts sur le revenu et/ou sur la fortune. Et les entreprises, se soustraire à l’impôt sur les bénéfices. On estime que 11 500 milliards de dollars ont ainsi été mis à l’abri. Le manque à gagner pour les budgets des États dépasserait 250 milliards de dollars par an.

On comprend que les gouvernements concernés apprécient modérément ce véritable hold-up. Certains, comme Nicolas Sarkozy, se bornent à exiger davantage de transparence : « On ne reproche à aucun pays d’avoir des taux de fiscalité très bas, commente le président français, mais la règle c’est de dire d’où vient l’argent et ce qui en est fait. » D’autres vont plus loin. Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), envisage par exemple de « dynamiter » ces fauteurs d’injustices que sont les paradis fiscaux.

FRAUDE OU ÉVASION ?

Comment ces derniers ont-ils réussi à se maintenir pendant si longtemps ? En partie parce que nombre d’entre eux bénéficient de la protection d’un pays respectable. Onze des 37 pays jugés « suspects » par l’administration fiscale américaine ont ainsi des liens avec le Royaume-Uni. La France offre asile à Monaco dans son arrière-cour, et les États-Unis ont laissé se développer dans l’État du Delaware une législation offshore très efficace.

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Les paradis acceptaient de collaborer et d’ouvrir leurs comptes en cas de procédure pénale, mais s’y refusaient lorsqu’une administration fiscale en faisait la demande. En Suisse, où le secret bancaire est légal, les banquiers n’acceptaient par exemple de le lever que dans l’hypothèse d’une fraude caractérisée, non en cas de simple « évasion fiscale », c’est-à-dire d’utilisation astucieuse des règlements en vigueur.

Deux affaires ont fait sortir de leurs gonds les États victimes de cette émigration financière. La première a été la découverte, début 2008, d’un réseau d’évasion fiscale au bénéfice de riches Allemands qui avaient placé leur fortune au Liechtenstein. La seconde a été l’aveu par l’Union des banques suisses (UBS) qu’elle avait organisé l’expatriation du patrimoine d’Américains fortunés. Depuis, Berlin mène une guerre sans merci aux paradis fiscaux. Et l’administration Obama a obtenu, le 18 février, que les données de 300 comptes secrets d’UBS lui soient communiquées. Elle réclame à présent des informations concernant 52 000 autres comptes…

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Cette offensive en règle est très largement due à l’aggravation de la crise financière mondiale. Pour protéger leurs banques ou sauvegarder leurs économies, les États engagent des sommes tellement gigantesques qu’ils ne peuvent plus tolérer que leurs budgets soient amputés par la fuite des capitaux de certains de leurs ressortissants. Il leur semble par ailleurs inadmissible que les riches soient les seuls à échapper au fisc, alors que les impôts sur les sociétés et/ou le revenu sont partout en (forte) baisse. Enfin, les zones franches leur sont apparues non comme les responsables du déclenchement de la crise, mais comme les agents de sa transmission, les plus grands spéculateurs y faisant transiter leurs opérations risquées.

Avec les fonds spéculatifs et les agences de notation, les paradis fiscaux sont désormais au nombre de ces dangers publics que le G20 se propose de mater. Le 13 mars, les ministres des Finances se sont enfin résolus à dresser une liste noire des territoires « non coopératifs » et à se doter d’une « boîte à outils » contenant tout un attirail de sanctions contre les récalcitrants.

MAUVAISE RÉPUTATION

Ces « outils » sont-ils vraiment efficaces ? Un spécialiste de la fiscalité en est convaincu. Non que le fait de figurer sur la liste noire – et la mauvaise réputation qui en découle – puisse dissuader les paradis fiscaux de poursuivre leurs très lucratives activités. En revanche, la non-déductibilité des fonds versés par une entreprise à sa filiale domiciliée en Suisse serait de nature à décourager l’optimisation fiscale qui en résulte actuellement. L’effet serait le même en cas d’augmentation des retenues à la source sur les capitaux en partance pour un territoire « non coopératif ». Ou en cas de dénonciation des conventions bilatérales supprimant la double imposition entre le pays d’émission des fonds et le paradis fiscal.

Ces perspectives ont terrifié les gardiens du secret bancaire. La Banque nationale suisse (BNS) estime à 648 milliards d’euros le montant des dépôts étrangers dans les banques de la Confédération. D’autres évaluations avoisinent 1 400 milliards. En tout cas, la finance représente 11,8 % du produit intérieur brut suisse.

Cette extrême vulnérabilité explique que le prince Aloïs von und zu Liechtenstein ait déclaré son intention « d’adapter le système d’entraide judiciaire » de sa principauté ; que l’île de Jersey se soit empressée de signer des conventions avec l’Allemagne et la France ; et que la Suisse ait baissé pavillon le 12 mars – jour historique ! – en acceptant de renoncer au secret bancaire.

Certes, le gouvernement de ce dernier pays conteste qu’il s’agisse d’une reddition, mais c’est sans importance : il a bel et bien accepté de ne plus faire de distinguo hypocrite entre fraude et évasion fiscales, et de communiquer les informations demandées par les services fiscaux étrangers. Sa seule réserve – aussitôt reprise par le Liechtenstein, le Luxembourg et Monaco – tient à ce que cette communication se fera « au cas par cas », sur « demande concrète et justifiée », et non à partir de listes préétablies, comme celle, comportant 52 000 noms, transmise à Berne par l’administration américaine.

Coopération « sans précédent »

Tim Geithner, le secrétaire américain au Trésor, se déclare enchanté de cette coopération « sans précédent ». Angel Gurría, le secrétaire général de l’OCDE, note pour sa part que « la suppression de l’usage abusif du secret bancaire s’intègre dans un effort plus général visant à assainir l’un des domaines les plus obscurs de l’économie mondialisée ».

L’un et l’autre feraient bien de ne pas se réjouir trop vite, tant est grande l’ingéniosité des financiers pour contourner les obstacles réglementaires. Deux exemples. 1. Le « trust » britannique, inventé il y a bien longtemps à l’intention des chevaliers en partance pour la Croisade, permet à n’importe quelle personne de confier, contre rémunération, la gestion de ses biens à un tiers de telle sorte que son nom n’apparaisse jamais. Nul besoin, dans ces conditions, de domicilier cette entité juridique dans un paradis fiscal pour devenir invisible : Londres regorge de trusts.

2. Il suffit à une entreprise désireuse d’échapper à l’imposition de manipuler le prix du produit qu’elle vend à l’une de ses filiales à l’étranger – et pas forcément dans un centre offshore – pour mettre son bénéfice à l’abri du fisc le plus avide.

La fin des paradis demandera un peu plus de temps – et un peu plus de volonté – que les cocoricos de ces derniers jours ne le laissent augurer.

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