Un pas en avant, deux pas en arrière

Publié le 30 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

Tripoli, le 11 mars 2009. Baghdadi Mahmoudi, reconduit une semaine plus tôt au poste de Premier ministre, donne une réception en l’honneur du nouveau gouvernement. Seif el-Islam figure parmi les convives. Pourtant, le nouveau cabinet ne comporte aucun de ses proches. Du reste, le fils de Mouammar Kadhafi n’a proposé aucun nom, confirmant tacitement son choix de se consacrer désormais à la société civile, après avoir contribué à normaliser les relations de la Libye avec les pays occidentaux et, pour reprendre son expression, « mis sur les rails » un programme de développement économique baptisé « La Libye de demain ». « Le train de “la Libye de demain” est en train d’avancer rapidement sous la conduite du “Guide” de la Révolution [Mouammar Kadhafi] et personne ne peut l’arrêter », a-t-il déclaré.

Par sa présence, Seif voulait non seulement signifier qu’il entendait s’exiler à l’étranger, comme la rumeur en a couru en Europe il y a quelques semaines, mais aussi se démarquer des critiques lancées par ses partisans « réformateurs », qui ont mal accueilli les résultats de la session annuelle du Congrès général du peuple (CGP, Parlement), qui s’est tenue du 1er au 4 mars à Syrte. Au cours de celle-ci, le « Guide » a maintenu au sein du nouveau gouvernement la vieille garde du régime proche des Comités révolutionnaires. Et en a écarté des fidèles de Seif el-Islam, comme Mahmoud Jibril, qui occupait les fonctions de président du Conseil de la planification et du développement économique. Plus grave aux yeux des « réformateurs », le « Guide » n’a fait aucune mention du nouveau projet de Constitution, pourtant prêt, qui aurait permis aux Libyens de vivre pour la première fois dans un État de droit. Kadhafi a été jusqu’à confirmer à son poste le procureur général Mohamed Mesrati, ancien ponte des services de sécurité, dont Seif el-Islam avait pourtant réclamé le limogeage quelques semaines plus tôt en raison de ses pratiques contraires aux droits de l’homme, notamment dans l’affaire Jomaa Attiga, cet « opposant constructif » arrêté le 31 janvier, puis libéré sur intervention de Seif (voir J.A. n° 2511). « Je suis troublé par tous ces revers, confie un réformateur vivant à Tripoli. Je ne sais plus où l’on va. J’ai l’impression que Mouammar [Kadhafi] a la tête ailleurs. »

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Deux fers au feu

Est-ce là un coup d’arrêt donné à la dynamique de réformes imprimée par Kadhafi fils ? Autant que l’on sache à Tripoli, on n’en est pas encore là. Depuis l’entrée de Seif el-Islam en politique, la stratégie du « Guide » a toujours été de garder deux fers au feu, s’appuyant tantôt sur les Comités révolutionnaires, tantôt sur Seif el-Islam. Ce dernier a rallié ceux qu’on appelle les « opposants constructifs » et s’est posé, de facto, comme une alternative pour les jeunes avides d’ouverture et de liberté. Le mouvement de Seif el-Islam étant vu par les puissances occidentales et par certains Libyens comme un moindre mal, le « Guide » ne peut s’offrir le luxe de l’éliminer purement et simplement. Bon gré mal gré, il a choisi pour le moment d’alterner deux approches, la sienne et celle de son fils. Même si, comme on le raconte à Tripoli, Mouammar Kadhafi, pourtant orfèvre en la matière, se montre de plus en plus irrité par des déclarations publiques de Seif, qu’il juge « prématurées » ou « embarrassantes » pour les responsables de l’État.

Peut-on pour autant conclure que l’ascension de Seif el-Islam a fait long feu ? Bien malin qui peut dire ce que Kadhafi a dans la tête s’agissant de l’avenir de son fils. Mais ce qui est sûr, c’est que, depuis l’été dernier, il occupe le devant de la scène, tandis que Seif donne l’impression de s’en éloigner. Il en sera probablement ainsi durant toute l’année 2009. La priorité pour le « Guide », élu président de l’Union africaine le 2 février, proclamé « roi des rois traditionnels d’Afrique » et qui célèbre cette année ses quarante ans de règne, c’est de jouer un rôle historique et de représenter le continent dans les sommets internationaux. Le hasard a voulu que la Libye assure, en mars et ce pour un mois, la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’ONU, dont la Jamahiriya est membre jusqu’en décembre 2009. Lors de sa visite à Tripoli, le 2 mars, le président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, s’est empressé d’inviter Kadhafi à assister au prochain sommet du G8, prévu en Sardaigne, au début de juillet, pour y représenter l’Afrique. Le « Guide » envisage aussi, en septembre, de s’exprimer, au nom du continent, devant l’Assemblée générale de l’ONU, à la tête de laquelle, fort opportunément, Ali Triki, son « Monsieur Afrique », devrait être coopté. Comme ce sera la première fois que Kadhafi foule le sol des États-Unis, un cabinet de lobbying américain, Livingston (voir encadré), s’active pour en faire un grand événement et organiser une rencontre avec le président Barack Obama. Entre-temps, le « Guide », qui se considère comme le président de l’Afrique tout court, veut tenter de résoudre, ou d’envenimer disent les mauvaises langues, toutes les crises qui secouent le continent, qu’elles soient internes, bilatérales ou régionales.

Koussa, chef d’orchestre

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Pour mener à bien ce programme digne d’un « Guide international » traitant avec les grands de ce monde, il fallait un chef d’orchestre. Kadhafi l’a trouvé en la personne du sulfureux Moussa Koussa, qu’il a nommé ministre des Affaires étrangères. Ce n’est pas la première fois en Libye qu’un des chefs des services extérieurs passe à la tête de la diplomatie. Ce fut le cas de feu Ibrahim Bishari, resté à la tête de la diplomatie libyenne de 1990 à 1992. Le choix de Koussa n’est pas fortuit. Il a vécu aux États-Unis, où il a obtenu un mastère de sociologie à l’Université du Michigan en 1978, avant de rejoindre les Comités révolutionnaires (et les services de sécurité) à son retour en Libye. Nommé ambassadeur à Londres, il en sera expulsé en 1980 pour avoir, selon les Britanniques, supervisé la traque des opposants exilés libyens, dont plusieurs ont été assassinés. C’est aussi un fin connaisseur de l’Afrique, où il a mené des missions secrètes entre 1984 et 1992, lorsqu’il était à la Mathaba, branche des services extérieurs libyens. Enfin, Koussa a fait équipe avec Seif el-Islam entre 1999 et 2003 lors des négociations secrètes avec la France, puis avec le Royaume-Uni et les États-Unis, en vue de normaliser les relations avec les pays occidentaux. Pour cela, il a fallu résoudre les crises nées des affaires Lockerbie et UTA, établir une coopération dans la lutte antiterroriste jugée « positive » par Washington et démanteler le programme d’armes de destruction massive de la Libye. Longtemps honni par Londres, Paris et Washington, Koussa est aujourd’hui un homme qui compte du fait de son influence grandissante. Sa nomination est « un très bon choix », a récemment déclaré au Financial Times Gene Cretz, ambassadeur des États-Unis à Tripoli depuis deux mois. « Il a traité avec nos diplomates, a-t-il ajouté. C’est un homme d’envergure. Il nous tarde de travailler avec lui. »

Désormais, ce n’est donc pas seulement à Kadhafi père que Seif doit céder la vedette, mais aussi au nouveau chef de la diplomatie – qui continuera néanmoins de superviser les services extérieurs de sécurité. Après tout, Koussa n’est-il pas, depuis la fin des années 1990, le « chaperon » de Seif ? Une relation qui rappelle à s’y méprendre celle d’Omar Souleimane, chef des moukhabarat égyptiennes, avec Gamal Moubarak, lui aussi successeur présumé de son père.

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