Immobilier : coup de froid sur la Ville rouge
« Éclatement » de la bulle spéculative pour les uns, « assainissement » du marché pour les autres, la frénésie qui avait saisi les opérateurs depuis 2004 est en tout cas retombée, notamment à Marrakech.
C’est l’éternelle histoire du verre à moitié vide. Quand certains annoncent déjà « un effondrement » ou « l’éclatement » de la bulle spéculative, d’autres diagnostiquent « une correction » ou « un assainissement » du marché. En tout cas, la frénésie qui avait saisi les opérateurs de l’immobilier marocain depuis 2004 est bien retombée. « Cela ne pouvait pas continuer comme ça », admet Adil Bouhaja, vice-président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI) et président de l’Association des lotisseurs et promoteurs immobiliers de Marrakech (Alpim).
Déjà locomotive du tourisme national, la Ville rouge a également concentré les espoirs les plus fous et les pires dérives du marché immobilier marocain. Entre 2005 et 2008, les prix ont atteint des sommets quasi surréalistes, aiguisant l’appétit des propriétaires nationaux et étrangers. Un hectare de terrain à construire à 12 km de Marrakech, sur la route menant aux sommets enneigés de l’Oukaïmeden, était proposé en 2005 à 30 000 euros. Trois ans et quelques publi-reportages enchanteurs plus tard, le même terrain s’est vendu… 300 000 euros. Soit la bagatelle de 900 % d’augmentation ! Un rendement de 30 % mensuel explique l’assurance, voire la morgue, affichée par les vendeurs et les agences pendant cet âge d’or. Idem pour le locatif, où certaines villas des quartiers prisés de l’Hivernage ou du camp militaire Ghoul ont vu leur loyer doubler en deux ans avec ce message clair des propriétaires : « C’est la loi du marché, vous comprenez, Marrakech, c’est devenu comme Paris. » Un cynisme payé au prix fort par des milliers de Marrakchis modestes, comme les habitants de la cité Fouque, au centre du Guéliz, ou ceux de Sidi Ghanem, obligés de s’exiler en dehors de la ville pour pouvoir se loger.
L’odeur du dirham facile, l’explosion de la fréquentation touristique, l’image tellement « tendance » de la Ville rouge dans les magazines, l’arrivée, en 2007, de l’autoroute de Casablanca, l’offre toujours plus attractive des compagnies aériennes low-cost, une fiscalité avantageuse et la qualité du climat ont attiré les promoteurs, les artisans, les agents immobiliers, les retraités venus des quatre coins du royaume, mais aussi d’Espagne, de France ou d’Angleterre. Avec la certitude que cet engouement pour la « Californie de l’Europe » reposait sur du solide. Mais la crise mondiale ne s’est pas diluée dans les eaux du détroit de Gibraltar.
A Marrakech, aujourd’hui, promoteurs et spéculateurs retiennent leur souffle. Officiellement, on parle toujours simplement de « tassement », de « pause ». En réalité, même si l’on rase encore quelques joyaux architecturaux historiques (comme l’hôtel des Ambassadeurs, dont la splendide façade Arts-Déco vient d’être démolie), les bulldozers se sont enfin calmés. Dans la Palmeraie ou sur la route de Fès, les grues immobiles bornent le vol des cigognes. Le petit monde des spéculateurs (grandes familles, bazaristes, agents immobiliers varois ou belges, « samsars », propriétaires de ryads revendus une demi-douzaine de fois depuis 2004, retraités reconvertis dans l’hôtellerie « de charme ») est dans l’expectative.
Prix « non délirant »
Chacun semble avoir le doigt sur la détente, comme en témoigne ce dialogue type décliné quotidiennement dans le microcosme des aventuriers étrangers à l’heure de l’apéritif : « Pierre va vendre. » « Mais non, je l’ai vu hier à la terrasse des Négociants, il m’a dit qu’il restait. » « Je te dis que son ryad est en vente sur Internet, il va manger la grenouille… » Dans les gratuits d’annonces immobilières, qui ont fleuri dans la Ville rouge comme des coquelicots, des textes comme « part. vend magnifique ryad, Jemaa el-Fnaa, prix “non délirant” » ont fait leur apparition, même si le temps du « sauve-qui-peut » général semble encore différé. Concernés dans une moindre mesure, les marchés de Fès, Agadir ou Tanger accusent également le coup, avec une baisse de 20 % à 30 % du prix moyen au mètre carré, contre près de 50 % à Marrakech. Mais le relatif sang-froid des authentiques professionnels, ajouté aux réels besoins en logement de la population marocaine, permet encore de résister aux scénarios catastrophes enregistrés en Espagne ou au Royaume-Uni.
« À l’exception de l’étroit segment du haut de gamme à destination d’une clientèle étrangère, l’immobilier au Maroc se porte bien », assure Adil Bouhaja, qui met en avant « du travail pour vingt ans » en raison d’un besoin estimé à 900 000 logements au niveau national. La preuve de cette santé, selon lui, réside dans la poursuite de tous les programmes de construction, y compris les plus ambitieuses villes nouvelles à destination des classes populaires ou moyennes. « Le secteur bancaire marocain, qui a très bien résisté à la crise financière internationale, maintient ouvert le robinet du financement pour les ménages », ajoute Adil Bouhaja. Poussé dans ses retranchements, le porte-parole des promoteurs admet tout juste « un rétrécissement du débit de commercialisation ». En clair, on continue de construire, mais les délais de ventes s’allongent.
« Enfin ! Nous assistons à un assainissement de l’ensemble des acteurs du marché. Tout ce qui a été exagéré et déraisonnable revient dans la norme », explique, de son côté, Vincent Benvenuti, directeur de l’une des principales agences immobilières de Marrakech, qui souligne « la moralisation » du secteur : recours moins systématique au versement d’une partie de la transaction au noir, augmentation du niveau des finitions, disparition des intermédiaires autoproclamés « professionnels de l’immobilier », versatilité mieux contrôlée des vendeurs, dont certains n’hésitaient pas à augmenter leur prix de vente la veille du passage chez le notaire. « Maintenant que certains comportements désinvoltes et intéressés sont en repli, que l’époque du grand n’importe quoi est révolue, il y a de très belles opportunités à réaliser », estime Vincent Benvenuti. À Marrakech comme ailleurs, le verre peut aussi être vu à moitié plein.
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