Didier Drogba : « La Côte d’Ivoire doit voter, et vite »
Footballeur international ivoirien, attaquant de Chelsea
À une quarantaine de kilomètres au sud-est de Londres, Cobham, petite commune huppée de 10 000 habitants, abrite le centre d’entraînement du Chelsea FC. Didier Drogba, l’attaquant des Éléphants, tout juste 31 ans, habite à quelques minutes de là. Pendant plus d’une heure, l’ancien joueur de Marseille nous a parlé football. Mais pas seulement. La politique et l’avenir de son pays sont aussi des sujets qui le passionnent.
Jeune Afrique : Aucune date n’a été fixée pour les élections, maintes fois reportées, en Côte d’Ivoire. Comment voyez-vous cette situation ?
Didier Drogba : Le pays est sorti récemment d’une période très difficile, et tout n’est pas encore réglé. Actuellement, les choses ne bougent pas beaucoup, ce qui peut s’expliquer compte tenu de ce que le pays a vécu. La Côte d’Ivoire traverse une relative période de stabilité, et j’ai l’impression que cette situation d’immobilisme est un peu un mal nécessaire… Mais il faut que les élections puissent avoir lieu rapidement.
Certains prédisent que si Gbagbo est réélu ou si Ouattara lui succède le pays connaîtra de nouveau une crise…
Je ne pense pas que les Ivoiriens aient envie d’un nouveau conflit. Il y aura un président de la République, élu démocratiquement, qui disposera des moyens nécessaires pour faire avancer le pays. Il devra pouvoir accomplir son mandat normalement. Ensuite, on fera son bilan et le peuple tranchera.
Et si on vous demande le nom de votre candidat favori ?
[Rires] Je ne vous répondrai pas, bien sûr.
On a beaucoup raconté que, pendant le conflit, les belligérants avaient multiplié les tentatives de récupération des joueurs de l’équipe nationale…
Sincèrement, nous n’avons jamais ressenti de pression particulière. Bien sûr, tous les joueurs sont libres d’avoir leurs opinions et leurs préférences. Mais quand nous sommes ensemble, une seule chose compte : la Côte d’Ivoire. D’ailleurs, nous nous sommes d’une certaine façon servis de la qualification pour la Coupe du monde de 2006 en Allemagne pour faire passer un message d’union. Je ne sais pas si cela a influé sur le processus de réconciliation nationale. Même si on a pu un tout petit peu y contribuer, c’est déjà bien.
Vous êtes originaire de la même région que Charles Blé Goudé, leader des Jeunes patriotes ivoiriens, un homme très proche de Laurent Gbagbo. Quelles sont vos relations avec lui ?
Nous avons eu l’occasion de nous croiser de temps en temps. Mais nos relations se sont limitées à de simples échanges de politesse.
En juin 2007, vous avez très largement contribué à organiser à Bouaké un match entre la Côte d’Ivoire et Madagascar comptant pour les éliminatoires de la CAN 2008…
Oui, et je le referais s’il le fallait ! Vous ne pouvez pas imaginer à quel point les gens étaient heureux de voir les Éléphants jouer à Bouaké ! Ce match a eu un impact énorme sur place.
Vous qui êtes franco-ivoirien, que pensez-vous de l’évolution des relations entre Paris et Abidjan ?
Il y a eu, il est vrai, un sentiment antifrançais, notamment après les événements de novembre 2004 à Abidjan [NDLR : l’armée française avait tiré sur des manifestants devant l’hôtel Ivoire, faisant une cinquantaine de morts]. La politique française en Côte d’Ivoire n’était sans doute pas la bonne. Mais depuis, cela s’est atténué. Des Français installés à Abidjan depuis quinze, vingt ou trente ans et qui étaient rentrés en France pendant cette période difficile sont revenus, parce qu’ils s’y sentent chez eux. La France et la Côte d’Ivoire entretiennent des liens très étroits du fait de leur passé commun. D’ailleurs, la colonisation a eu aussi des vertus. Aujourd’hui, la France a besoin de la Côte d’Ivoire pour des raisons économiques et stratégiques et, réciproquement, la Côte d’Ivoire a besoin de l’aide de la France. La répartition des intérêts doit simplement être plus juste.
L’Union africaine a un nouveau président, le colonel Kadhafi. Est-ce que cela vous choque de le voir occuper cette fonction ?
Il n’a pas fait que de bonnes choses dans sa vie. Mais il a droit à une seconde chance. Attendons la fin de son mandat pour le juger.
Comment avez-vous vécu l’élection de Barack Obama à la présidence américaine ?
J’ai beaucoup de respect pour les États-Unis. Que ce pays qui a longtemps pratiqué l’esclavage puisse élire un Black, je trouve cela extraordinaire. Cependant, attention : Obama n’a pas été élu seulement parce qu’il est noir, mais aussi pour ses compétences.
Et en France, pensez-vous qu’une telle révolution soit possible ?
Je crois que cette question des minorités visibles dans les partis politiques et les médias ne sera pas facile à résoudre en France. C’est pour cela que des gens comme Harry Roselmack, Pape Diouf, qui est président de l’Olympique de Marseille, ou Antoine Kombouaré [NDLR : l’entraîneur calédonien du club de football de Valenciennes] doivent montrer la voie. Si Obama a pu être élu aux États-Unis, un président noir en France, ce n’est pas près d’arriver. Et cela me choque, oui !
Quelles sont vos relations avec Vahid Halilhodzic, le sélectionneur bosniaque des Éléphants, que l’on présente volontiers comme un homme d’une très grande rigueur ?
C’est un homme passionné, donc parfois excessif, mais le courant passe très bien entre nous. Il a une image dans les médias qui ne correspond pas forcément à la réalité. On travaille dans la bonne humeur mais aussi dans la rigueur, sans laquelle on ne peut arriver à rien.
Carlo Ancelotti, l’entraîneur du Milan AC, a déclaré qu’il accepterait d’entraîner gratuitement la Côte d’Ivoire si elle se qualifiait pour la Coupe du Monde 2010…
C’est flatteur. Cela prouve que notre statut a évolué. La Côte d’Ivoire fait partie des meilleures équipes africaines, et elle doit être capable d’assumer la pression qui pèse sur elle. Cette pression, tous ceux qui composent ou qui composeront la sélection devront l’assumer. Et on va tout faire pour obtenir la qualification pour la Coupe du monde de 2010.
Faites-vous confiance à l’Afrique du Sud, confrontée à des problèmes de sécurité et à de sérieux retards dans sa préparation, pour organiser la prochaine Coupe du monde ?
L’insécurité existe, c’est un problème, mais le Brésil, qui doit organiser la Coupe du monde 2014, n’est pas épargné non plus. On parle aussi de certains stades qui ne seraient pas dans les temps… mais la crise est partout, et pas seulement en Afrique ! Regardez la Pologne et l’Ukraine, qui doivent organiser l’Euro 2012. Elles aussi rencontrent des difficultés ! À partir du moment où l’Afrique du Sud a été désignée, c’est que sa candidature tenait la route. Maintenant, il faut aller jusqu’au bout et aider ce pays. C’est une chose formidable pour le continent africain d’organiser un tel événement. J’espère qu’en tant qu’Africain je pourrais y participer. Mais je sais aussi que rien n’est gagné d’avance.
Quel est votre meilleur souvenir de footballeur ?
[Sans hésiter] Notre qualification pour la Coupe du Monde 2006, lors d’un match gagné au Soudan. Nous venions de l’emporter 3 à 1, et on attendait le résultat du Cameroun face à l’Égypte. Quand nous avons compris que nous étions qualifiés, on a improvisé une danse sur la pelouse de Khartoum. Et les deux jours qui ont suivi à Abidjan furent mémorables.
Et votre plus mauvais ?
Le décès de Mama Ouattara, notre sélectionneur adjoint, en 2004, alors que nous étions en train de préparer une rencontre avec l’Égypte.
Vous n’avez joué qu’une saison à Marseille, où votre popularité est restée intacte. Aimeriez-vous y retourner un jour ?
Oui, je ne m’en suis jamais caché. J’ai toujours aimé l’OM, avant même d’y jouer. Mais entre ce que je veux et ce qui est réalisable, il y a un fossé…
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