Baroud d’honneur pour Kamerhe

La brouille entre Joseph Kabila et le président de l’Assemblée est consommée. Mais celui dont on attendait la démission a décidé de jouer les prolongations. Guerre des nerfs à Kinshasa.

Publié le 30 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

Lorsque Kinshasa s’éveille le 16 mars, elle ressemble déjà à une ruche géante d’où se répandent les rumeurs les plus folles. Dans la chaleur moite du petit matin, la question est sur toutes les lèvres : l’ouverture de la session de l’Assemblée nationale aura-t-elle lieu ? Chacun y va de son commentaire. Les uns affirment que le Palais du peuple, où siège le Parlement, est cerné par les forces de sécurité. D’autres soutiennent que les députés de la majorité bloquent l’entrée de l’édifice. En réalité, un dispositif de sécurité très dissuasif a vidé les abords du siège du Parlement.

À l’intérieur, la grande salle, où se réunissent les députés, est quasiment déserte. L’espace habituellement occupé par la majorité est vide, en dehors de quelques électrons libres qui ont bravé l’interdit de leur camp. L’opposition, elle, est bien présente. En tout, une centaine de députés, mais, fait rare, aucun représentant de l’exécutif ou du pouvoir judiciaire. Les diplomates étrangers, debout, semblent s’ennuyer et s’impatientent. Il est 10 heures, Vital Kamerhe, qui est censé prononcer son discours à cet instant, est invisible. Le mot d’ordre de boycott a été bien suivi. Seul le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo, est là.

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Rêve de primature

Peu avant 11 heures, l’homme du jour, le président de l’Assemblée nationale, dont la démission est exigée par son propre camp, entre dans la salle. Costume bleu, chemise blanche, cravate rayée, visage serein, il se dirige vers la tribune. L’assistance l’applaudit à tout rompre. Il le sera encore davantage par les députés de l’opposition. Mais c’est seul qu’il va s’asseoir à la tribune. Toutes les chaises réservées à ses collègues du Bureau sont vides : ils ont été contraints à la démission. Son discours d’ouverture de la session dans lequel il affirme sa « détermination à préserver du naufrage la démocratie et l’institution Assemblée nationale » ne sera pas diffusé sur les antennes de la radiotélévision nationale, ni en direct ni en différé.

La hargne avec laquelle ses camarades du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) cherchent à l’éliminer de la scène politique est l’épilogue du désamour entre Vital Kamerhe et le chef de l’État, Joseph Kabila. Si d’aucuns ne retiennent que l’intervention du président de l’Assemblée nationale sur une radio locale le 21 janvier, durant laquelle il affirmait n’avoir pas été informé de l’entrée de l’armée rwandaise dans le Nord-Kivu, la crise entre les deux hommes est plus ancienne. Elle remonte au lendemain de la présidentielle de 2006. Ayant largement contribué à la victoire de Kabila, Kamerhe rêvait d’occuper la primature. Mais l’alliance inattendue entre le camp présidentiel et le Parti lumumbiste unifié (Palu) d’Antoine Gizenga l’en privera. Il se retrouve à la tête de l’Assemblée nationale. Et décide de transformer la Chambre basse du Parlement en « creuset de la démocratie » et en « lieu où la majorité et l’opposition devraient s’exprimer librement afin de réduire la tension politique dans les rues et les cités du pays ». Son style, résolument convivial, en séduit plus d’un. Mais il devient gênant dès qu’il souhaite voir l’Assemblée nationale assumer pleinement sa mission de contrôle de l’exécutif et des entreprises publiques. Ses propres amis de la majorité l’accusent de faire la part trop belle à l’opposition. Grâce à un budget mensuel de 3 millions de dollars, il se montre très généreux envers tout le monde. Et renforce ainsi sa popularité.

Exclu du sérail

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Malgré l’obstination de ses adversaires à l’exclure du sérail, Kamerhe réussit à reprendre la main en janvier 2008 lors de la Conférence de Goma consacrée au rétablissement de la paix dans les deux provinces du Kivu. Kamerhe apparaît à cette occasion comme un homme de dialogue et de consensus. Pourtant, les faucons de l’entourage présidentiel ne ménagent pas leurs efforts pour minorer son influence. Agissent-ils au nom de Kabila ou de leur propre chef ? Difficile à dire. Toujours est-il que Vital n’a plus tout à fait l’oreille du chef de l’État et n’arrive plus à placer ses poulains dans les rouages du pouvoir. Le 29 octobre 2008, Gizenga démissionne. Le nom de Kamerhe est cité parmi ses potentiels successeurs. L’intéressé le souhaite-t-il vraiment ? En tout cas, le fait que les médias en parlent avec insistance amène le chef de l’État à penser que le président de la Chambre basse cherche à lui forcer la main. Et c’est finalement Adolphe Muzito qui est choisi. Mais le fond du problème est peut-être ailleurs. L’entourage du président Kabila a réussi à convaincre ce dernier de se méfier de Kamerhe, devenu plus un adversaire qu’un allié. Pour appuyer cette thèse, ils citent différents articles qui lui sont consacrés dans la presse. Ils évoquent aussi ses contacts avec les différents ambassadeurs accrédités à Kinshasa, lesquels n’hésitaient pas à déclarer que la Chambre basse du Parlement était l’une des rares institutions du pays à bien fonctionner. Mais selon les proches de Kamerhe, en dépit de ses ambitions affichées, le président de l’Assemblée est resté loyal à Kabila.

Depuis janvier, le PPRD, principal parti de la majorité, a décidé d’avoir sa tête. Au fil des jours, le camp adverse n’a cessé d’exercer des pressions sur ses alliés pour le désarçonner. Des réunions se sont multipliées au domicile de Katumba Mwanke, l’homme de l’ombre du camp présidentiel, lui-même député. Certaines personnalités de la majorité se sont illustrées dans la campagne de déstabilisation de Kamerhe. C’est le cas des ministres Augustin Thambwe Mwamba, Lambert Mende Omalanga et Olivier Kamitatu, ou encore d’Évariste Boshab, secrétaire général du PPRD. Différents scénarios sont ainsi échafaudés sans qu’aucun ne se révèle efficace.

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Tout en acceptant de partir, Kamerhe a choisi de s’en remettre à la plénière plutôt que de se soumettre au diktat de son parti. De quoi user les nerfs de ses camarades. Bien que désavoué par ces derniers, il ne manque pas de soutiens. Parmi eux, des députés de sa province, le Sud-Kivu, dont il est le leader incontesté, et l’archevêque de Bukavu, qui le soutient dans sa démarche. Pour preuve, Radio Maendeleo, une station de Bukavu appartenant à l’Église catholique, a diffusé en direct son discours à partir d’un téléphone portable. De son côté, le camp présidentiel semble miser sur une autre personnalité issue de son fief : le ministre de l’Agriculture, Norbert Basengezi Kantitima.

Que deviendra Kamerhe, tout juste âgé de 50 ans, après avoir quitté le perchoir ? S’il n’est pas exclu du PPRD (ce qui semble improbable), il conservera son mandat de député. Certains lui conseillent de créer son propre parti. À moins qu’il ne rejoigne les rangs de l’opposition. Pour ses proches, il consacrera une partie de son temps à consolider ses relations sur le plan international, afin de se forger une stature d’homme d’État dans la perspective de l’élection présidentielle de 2011. 

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