Un deuil africain

La mort africaine n’est pas une affaire privée. Surtout lorsque, à l’instar d’Édith Lucie Bongo Ondimba, décédée le 14 mars à Rabat à l’âge de 45 ans, la défunte était à la fois fille et épouse de chef d’État.

Publié le 30 mars 2009 Lecture : 2 minutes.

Très proche de son père Denis Sassou Nguesso et mariée depuis 1990 à Omar Bongo Ondimba, dont elle avait deux enfants, ce médecin pédiatre très investi dans l’humanitaire mais aussi la politique – elle était présidente d’honneur du parti au pouvoir au Gabon et elle apporta à son père un soutien décisif lors de sa traversée du désert – savait mieux que nul autre la gravité du mal dont elle souffrait depuis trois ans et contre lequel elle se sera battue jusqu’à l’ultime seconde. 

Rite de passage

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Signe d’une culture où l’on appartient à sa propre famille plus qu’à son conjoint, c’est à Edou, en terre mbochie, dans le nord du Congo, que « Maman Édith » a été inhumée le 21 mars après qu’un hommage solennel lui a été rendu la veille à Libreville en présence de neuf chefs d’État*. Le roi Mohammed VI avait mis à la disposition des deux présidents un Boeing 747 pour transporter la dépouille de la défunte. C’est toute une partie de l’Afrique centrale qui, aujourd’hui, porte le deuil.

En Afrique, on ne meurt pas seul. Contrairement à l’Occident, où l’on décède dans la déréliction de l’anonymat et le déni de la mort, cette dernière est ici un moment du cycle vital. Certes, on souffre, on pleure – il suffisait d’observer le visage inondé de larmes de Denis Sassou Nguesso et le masque figé de douleur d’Omar Bongo Ondimba pour s’en rendre compte –, mais les affres du deuil sont à ce point codifiées et soutenues par la croyance qu’elles finissent par apporter au groupe les moyens de se régénérer. Le rite funéraire est un rite de passage, un changement de lieu. Et l’inacceptable annonce un surplus de vie.

L’entourage d’Édith Lucie aura vécu dans sa chair cet extraordinaire processus, sur fond d’angoisse et de familiarité avec l’invisible. D’abord, le refus d’une mort « anormale » perçue comme une défaite, une agression insupportable qui aurait dû être évitée, d’autant qu’elle battait le tam-tam depuis longtemps. D’où l’incontournable rituel de conjuration et d’interrogation qui a imprégné les conclaves entre les deux familles. Puis l’abattement, les deuilleurs disparaissant, symboliquement, du monde des vivants. Enfin, le nouveau départ, qui suit les obsèques. La mort n’est pas une fin, elle est la continuité de la vie. Comme un oiseau échappé de sa cage, la défunte plane au-dessus de ses proches, qu’elle aide à se recomposer en les obligeant à transcender leur douleur. Et à qui elle apporte un surcroît de cohésion et de détermination. 

La douleur transcendée

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Cette progression, qui fait de la mort une source de vie et explique en quoi l’Africain est mieux armé que l’Européen pour l’affronter – « les Blancs connaissent toutes choses, seule la mort leur échappe », dit un proverbe – n’exclut évidemment pas la souffrance. Surtout quand la dimension affective était aussi intense que celle qui unissait Édith Lucie à son père. Mais elle devrait donner à réfléchir à ceux qui estiment déjà que, à la veille de l’élection présidentielle de juillet, Denis Sassou Nguesso sort durablement affaibli du malheur qui le frappe. C’est exactement le contraire qui risque de se produire. 

* Idriss Déby Itno, François Bozizé, Teodoro Obiang Nguema, Yayi Boni, Faure Gnassingbé, Laurent Gbagbo, Amadou Toumani Touré, Raimundo Pereira, Fradique de Menezes, mais aussi Claude Guéant, Alassane Ouattara, Mesdames Kabila et Diouf, les veuves Bokassa, Houphouët et Mobutu…

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