Le coup de trop ?

Le 17 mars, Marc Ravalomanana s’est résigné à quitter le pouvoir. Son rival, Andry Rajoelina, pavoise. Mais, déjà, la communauté internationale conteste les conditions de cette « transition » fort peu démocratique.

Publié le 30 mars 2009 Lecture : 7 minutes.

Le 17 mars, à midi, se joue le premier acte d’une tragédie qui en compte trois, et dont Marc Ravalomanana n’est déjà plus le personnage principal. Tout au plus la victime expiatoire.

Andry Rajoelina, alias TGV, lui a définitivement volé la vedette. Depuis la veille au soir, les soldats mutins occupent le palais d’Ambohitsorohitra, en plein centre de Tana, et les partisans du « maire » ont investi les lieux dans la matinée.

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Isolé à Iavoloha, édifice austère aux lignes strictes tracées par des architectes nord-coréens, « le président est triste », confie son porte-parole. Triste, mais serein… Il doit recevoir dans quelques minutes l’émissaire de l’ONU, Tiébilé Dramé, et les ambassadeurs d’Afrique du Sud et des États-Unis pour leur remettre l’ordonnance par laquelle il confère les pleins pouvoirs à un directoire militaire.

En attendant les diplomates, Ravalomanana se repasse sans doute le film des événements qui l’ont finalement conduit à abandonner la partie. Certes, l’interdiction des émissions de Viva TV, propriété du maire de Tana, fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Certes, ses refus répétés de dialoguer avec son challengeur ont conduit à tous les excès. Certes, les tirs à balles réelles de la garde présidentielle sur les partisans de TGV, le 7 février, au cœur de Tana, ont été déterminants. Mais en son for intérieur, Ravalomanana n’ignore pas que les causes de sa rupture avec les Malgaches sont plus anciennes.

Arrogant avec ses adversaires jusqu’à les mépriser, le tombeur de Ratsiraka n’a jamais véritablement permis à l’opposition d’exister. Gouvernant avec une ostentation qui frisait souvent l’indécence, il a multiplié les décisions impopulaires, la plus récente étant de s’offrir un nouveau Boeing présidentiel pour la modique somme de 60 millions de dollars tandis que les ménages malgaches voyaient leur pouvoir d’achat s’effondrer chaque jour un peu plus. Ignorant totalement la sensibilité de ceux qui le portèrent au sommet, il a même tenté, en novembre 2008, de vendre plus d’un million d’hectares de terres agricoles à la multinationale Daewoo, un crime dans un pays où la terre des ancêtres revêt un caractère sacré. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’une des toutes premières décisions d’Andry Rajoelina sera, avant même son investiture, d’annuler le projet d’accord avec le groupe sud-coréen.

En 1863, pour avoir voulu céder le sol malgache à un aventurier français, le roi Radama II fut assassiné. Étranglé avec une cordelette de soie, ainsi qu’il convenait aux personnes de son rang. Cent quarante ans plus tard, le président Marc Ravalomanana a échappé au pire. Mais il demeure poursuivi pour haute trahison.

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17 mars, 16 heures, acte II.

À l’invitation de l’archevêque de Tana, Mgr Odon Razanakolona, les représentants du corps diplomatique rencontrent les protagonistes de la crise au siège de l’épiscopat, dans le quartier d’Antanimena.

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Du côté des militaires loyalistes, le vice-amiral Hippolyte Rarison Ramaroson, officier le plus ancien dans le grade le plus élevé, s’est fait accompagner des deux généraux pressentis pour former avec lui le directoire. Du côté des mutins, les colonels qui ont pris la tête de la dissidence, favorables au maire de Tana, sont présents. Andry TGV, arrivé sous bonne escorte, est flanqué de son Premier ministre, Monja Roindefo. Parmi les observateurs, les dirigeants du Conseil des Églises chrétiennes de Madagascar (FFKM) et les représentants des organisations internationales, le Burkinabè Ablassé Ouedraogo pour l’Union africaine, et le Togolais Edem Kodjo pour la Francophonie.

D’emblée, Tiébilé Dramé lit l’ultime ordonnance prise par Ravalomanana. À peine a-t-il achevé que le maire de Tana lance violemment : « Je n’accepterai jamais cela ! » Et son Premier ministre de renchérir : « Gardez votre papier ! Cela vous fera un souvenir des vacances que vous avez passées à Madagascar. » TGV se lève et quitte la salle. S’ensuit une confusion générale qui va durer plus de vingt minutes.

Profitant de ce flottement, une poignée de sous-officiers mutins investissent la salle, arme au poing, pour manifester leur opposition au directoire. À leur tête, le commandant Charles Randrianasoavina exige que le pouvoir soit confié à Andry Rajoelina. Sentant le vent tourner, l’ex-Premier ministre Norbert Ratsirahonana – véritable mentor de TGV – décide de quitter les lieux : « Ça pourrait barder », dit-il aux journalistes présents à l’extérieur de l’enceinte. Finalement, religieux et diplomates évacuent l’épiscopat, laissant les militaires entre eux. Les mutins se saisissent alors des officiers censés faire partie du directoire et les embarquent pour la prison militaire du Capsat (Corps des personnels et des services administratifs et techniques).

17 mars, 20 heures, Acte III. Si les conditions de détention des officiers du directoire n’ont pas été dévoilées, on sait seulement que leurs geôliers ont su se montrer persuasifs. Au cours de la soirée, le vice-amiral Hippolyte Rarison Ramaroson annonce, depuis le camp des mutins, que le directoire refuse catégoriquement la mission que lui a confiée Ravalomanana : « Nous conférons totalement le pouvoir à Andry Rajoelina pour présider la transition », conclut-il. L’épilogue suivra quelques heures plus tard. Et, une fois encore, c’est l’éminent juriste Norbert Ratsirahonana, ancien président de la Haute Cour constitutionnelle, qui clarifie la situation : « Une ordonnance qui donne les pleins pouvoirs à Andry Rajoelina a été signée, révèle-t-il, toujours soucieux de préserver les apparences juridiques de la transition. Cette mesure a été prise dans l’intérêt supérieur de la nation, pour préserver l’unité du pays et de l’armée. » La manœuvre ne posera d’ailleurs aucun problème aux membres de la Haute Cour constitutionnelle (HCC), qui approuveront dès le lendemain, à 10 heures, le transfert des pouvoirs au président de la Haute Autorité de transition (HAT).

« Pourtant, tout le processus est contraire à la Loi fondamentale, explique un spécialiste du droit malgache. L’ordonnance par laquelle Ravalomanana a transféré les pouvoirs à l’armée est anticonstitutionnelle, puisqu’il aurait dû logiquement démissionner au bénéfice du président du Sénat, seul habilité à assurer son intérim. Toutes les décisions qui en découlent le sont également. » Mais lors des crises précédentes, la HCC n’a jamais brillé par son indépendance. Déjà en 2002, elle avait changé de camp, prenant finalement position contre Ratsiraka au profit de Ravalomanana. « C’est un peu la putain de la République », conclut cet expert.

Est-ce pour mieux s’en assurer les faveurs sur le long terme que le tout nouveau président a d’ores et déjà annoncé son intention de modifier la composition de la HCC ? Elle sera à l’avenir composée de onze membres, dont quatre nommés par le nouveau président et six par des membres de son gouvernement. De quoi s’assurer un soutien sans faille lorsque le moment de rédiger la Constitution de la IVe République sera venu.

Car, là encore, le nouvel homme fort de Madagascar a d’emblée affiché ses intentions. Il compte diriger la Grande Île pour une période de transition de vingt-quatre mois, à l’issue de laquelle le pays devra être doté d’une nouvelle Constitution. Ce qui n’a pas manqué de susciter une interrogation majeure : le futur texte abaissera-t-il l’âge légal – fixé à 40 ans – pour permettre à Rajoelina, 34 ans, de se présenter à la magistrature suprême ? Dès le début de la crise, celui-ci a bien spécifié qu’il ne voulait pas devenir chef de l’État. Cette bonne résolution résistera-t-elle à deux années d’exercice solitaire du pouvoir ?

Le jeune dirigeant a déjà décidé de suspendre les activités de l’Assemblée nationale et du Sénat. Dans le même temps, il a entrepris de renforcer l’exécutif, intégrant dans son équipe un certain nombre de personnalités de l’establishment politique. Soutenu depuis le début de la crise par la plupart des ténors de l’opposition, il semble avoir trouvé son mentor en la personne de ­Norbert Ratsirahonana, figure omniprésente de la scène nationale (voir encadré). Son ministre des Affaires étrangères n’est autre que Ny Hasina Andriamanjato, fils aîné du pasteur Richard Andriamanjato, pilier de la vie politique malgache depuis l’indépendance. Enfin, il a nommé à la primature le fils de Monja Jaona, leader du Mouvement national pour l’indépendance de Madagascar (Monima). Originaire de Tuléar, ce dernier passe pour la caution côtière du nouveau régime, alors que les populations du littoral sont restées à l’écart du bras de fer entre Ravalomanana et Rajoelina, tous deux originaires des hauts plateaux.

Autant de personnalités qui tiennent aujourd’hui leur revanche sur le petit laitier devenu roi du yaourt parachuté dans le marigot politique et dévoré, au bout de sept ans, par des caïmans plus vieux que lui.

Sept ans, c’est le nombre d’années nécessaires pour boucler un cycle, depuis l’accession de Madagascar au multipartisme. De 1995, date du début de la crise institutionnelle qui coûta son siège au président Zafy, à 2002, date du départ en exil de Ratsiraka, sept années se sont en effet écoulées. Et de l’éviction de Ratsiraka à celle de Ravalomanana, on retrouve le même intervalle… Un bégaiement de l’Histoire qui commence à lasser la communauté internationale. Dès le 20 mars, l’Union africaine suspendait Madagascar, dénonçant un changement de gouvernement « non constitutionnel ». L’Union européenne et la France, par la voix de son président Nicolas Sarkozy, ont clairement qualifié l’accession au pouvoir de Rajoelina de « coup d’État », alors que Washington jugeait la transition malgache « non démocratique ». Quant aux diplomates en poste à Tana, la plupart d’entre eux ont choisi de bouder la « cérémonie d’installation » de TGV, prévue le 21 mars au stade de Mahamasina.

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