Nègre debout
Un peu de tendresse dans ce monde de brutes : Jean-Pierre Ndiaye est de retour ! Pour les anciens de J.A., JP était ce personnage fulgurant et erratique, béret éternellement vissé sur des dreadlocks poivre et sel, qui arpentait couloirs et bureaux, ponctuait ses phrases d’une (rude) bourrade sur l’épaule, puis disparaissait des semaines entières après avoir abandonné un texte incandescent griffonné sur un coin de table. Jean-Pierre a aujourd’hui 71 ans, et sa fille Shuana a eu l’heureuse idée de rassembler une centaine de ses articles, dont certains inédits, pour la plupart publiés dans Jeune Afrique et qui, tous, valent qu’on les revisite. Ndiaye, c’est une vie dans le siècle. Sénégalais de Conakry, il s’embarque en 1952 sur un bateau chargé de tirailleurs pour l’Indochine, saute à quai à l’escale de Bordeaux, s’inscrit en sociologie à Paris, trouve en Alioune Diop, le mythique fondateur de Présence africaine, un père de substitution, fréquente Jean-Paul Sartre et Léon-Gontran Damas, puis s’envole pour les États-Unis. Enseignant, il vit à fond sa période jazz et Black Panthers, se lie d’amitié avec Malcolm X et Dizzy Gillespie, revient en France, publie les premiers livres-enquêtes sur les étudiants noirs, les travailleurs immigrés et la jeunesse africaine, s’affiche marxiste tendance Césaire, rencontre BBY, qui lui ouvre, en toute liberté, les colonnes de J.A.
Ce sont des textes des années de braise, où le Nègre debout qu’est Jean-Pierre Ndiaye oscille du Vietnam à Steve Biko, de Neto à Cabral, de Sékou Touré à Ngouabi, de Sankara à Nkrumah. Années d’espoirs, de combats justes, d’erreurs tragiques aussi, années de fièvre surtout où mille fois plus qu’aujourd’hui l’historien de l’instant qu’était Ndiaye pouvait se sentir utile. Bien avant tout le monde, cet hyperréactif aussi mobile qu’individualiste a vu, sur place, la nature discriminatoire du régime soudanais. Dès 1990, dans Il faut sauver le Rwanda, il tente d’exorciser les démons du génocide à venir. Quant à ses relations orageuses et fascinées avec Senghor, ponctuées d’échanges épistolaires, elles valurent à J.A. d’être interdit au Sénégal avant que de cette déchirure naisse une vraie passion.
Et puis, un jour, sans que l’on sache très bien pourquoi, alors qu’il était sorti acheter des cigarettes, Jean-Pierre s’est éloigné pour ne plus revenir, emportant avec lui une part de notre ADN. Shuana m’assure qu’il va bien, dans le maquis de sa retraite. Apaisé ? Sûrement pas. « Les combattants de la liberté, de la liberté tranquille, silencieuse, respectueuse ne peuvent pas perdre », écrivait-il. Un conseil : si vous voulez garder confiance en l’avenir de l’Afrique, lisez (ou relisez) Jean-Pierre Ndiaye.
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