Lettre ouverte à Benoît XVI

Conseiller spécial du président Paul Biya, ancien ambassadeur du Cameroun à l’ONU

Publié le 17 mars 2009 Lecture : 3 minutes.

Pour le continent africain, la justice et la paix se présentent, plus qu’ailleurs, comme un besoin urgent. Cette urgence est sans doute liée à son histoire tumultueuse et traumatisante. Comme Vous le savez, Très Saint-Père, l’Afrique est le seul continent au monde à avoir été le théâtre de la traite esclavagiste, pour près de trois siècles, et de la pratique coloniale pour près de deux siècles. Cinq siècles d’une histoire de dépersonnalisation, de spoliation et d’aliénation culturelle ont laissé chez les Noirs d’Afrique et de la diaspora des marques indélébiles : une humanité humiliée, une conscience blessée et une mentalité appauvrie. Il s’agit, en somme, d’un phénomène « d’annihilation et de paupérisation anthropologiques » (Engelbert Mveng), qui, pour une certaine opinion, justifie le retard de l’Afrique et la pauvreté des Noirs partout ils vivent.

Très Saint-Père, pour nous, l’Église reste et demeure la meilleure institution, sinon l’institution capable de plaider, dans le concert des nations, pour la réhabilitation de l’homme qui est en Afrique, de l’homme noir. L’Église est et sera toujours la « voix des sans-voix ». Dans le passé, elle a joué un rôle essentiel pour l’émancipation de l’Afrique, en dépit de quelques incompréhensions entre autochtones et messagers de la Parole de libération en ­Jésus-Christ. Les missionnaires, dans leur tâche d’évangélisation, ont créé des écoles, des hôpitaux. Nous savons également que les missions chrétiennes ont pris une part active dans la lutte contre le commerce des esclaves.

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La sollicitude de l’Église universelle envers l’Afrique et les Noirs de la diaspora s’est accrue au lendemain du concile Vatican II (1962-1965). Concernant particulièrement le pape Jean-Paul II, les Africains, de génération en génération, se souviendront qu’il est le premier pontife romain à avoir effectué une vingtaine de tournées pastorales en Afrique. De génération en génération, ils apprendront avec émotion à leurs enfants qu’il a été le tout premier pape à s’être rendu, le 22 février 1992, sur l’île de Gorée, au Sénégal, pour rendre hommage aux victimes de la traite la plus honteuse de l’histoire de l’humanité. Et si Gorée a été absoute de l’horreur, si ses murs ont été lavés et purifiés par la prière du Saint-Père, la conscience nègre reste, elle, meurtrie par le traumatisme.

Très Saint-Père, pour des millions d’êtres humains, marginalisés par une histoire dont les conséquences dramatiques se vivent aujourd’hui encore, Vous incarnez l’Espérance. Et Vous seul pouvez leur donner l’espoir d’un avenir meilleur. Nous attendons que l’Église, au début de Votre pontificat, achève l’œuvre commencée par Votre illustre prédécesseur. Nous attendons qu’après avoir, le 22 février 1992, demandé pardon à Dieu pour les atrocités commises, l’Église, Mère et Éducatrice, prolongeant le geste prophétique du Bien-Aimé Serviteur de Dieu, Jean-Paul II, se tourne vers les hommes qui les ont subies, vers les victimes de l’odieux commerce des esclaves, et reconnaisse que cette pratique abjecte est un crime contre l’humanité. Nous implorons ardemment qu’advienne enfin ce jour béni. Nous ne demandons pas de réparations matérielles ou financières. Car il faut savoir pardonner. Mais pardonner ne signifie pas taire la vérité ou encore la détourner.

Très Saint-Père, depuis Votre accession au Trône de Pierre, nous vous sentons habité par l’Afrique, ce « continent de grande espérance », selon vos propres termes. ­Celui-ci, « de la part des grandes puissances, continue à être l’objet d’abus ; et de nombreux conflits n’auraient pas pris cette forme s’il n’y avait pas, derrière, les intérêts des grandes puissances » (Discours au Clergé du Diocèse de Rome). Le 16 avril 2006, Vous avez de façon particulière associé l’Afrique à la célébration de la première Pâque de Votre pontificat par deux signes forts : l’un des sept baptisés de Pâques 2006 était un Africain ; le jeune clerc qui portait le livre des bénédictions lors de la bénédiction de ce dimanche était également africain, un Camerounais. Cette paternelle sollicitude envers l’Afrique rassure. L’Afrique sait pouvoir compter sur Votre implication personnelle pour que justice lui soit faite et que soit restaurée la dignité de l’homme qui vit en Afrique. 

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