Un Fespaco en demi-teinte
Pour son quarantième anniversaire, le plus grand festival du continent n’a pas été un très grand cru. Et le jury n’a guère fait preuve d’audace.
Pour son quarantième anniversaire, le Fespaco a consacré Teza de l’Éthiopien Haïlé Gerima. Un très beau film épique, digne des meilleures productions de l’histoire du cinéma africain, sur les années révolutionnaires de l’émancipation du continent qui ont conduit à des régimes sanguinaires comme celui de Mengistu à Addis-Abeba (voir J.A. n° 2488).
Le jury, présidé par un ancien lauréat, le cinéaste burkinabè Gaston Kaboré, ne pouvait s’y tromper. Avec ses récompenses aux festivals de Venise (Prix spécial du jury) et de Carthage (Tanit d’or), Teza faisait figure de grand favori. Mais mis à part la sympathique comédie algérienne de Lyes Salem, Mascarades (Étalon de bronze), on ne peut pas dire que le choix des lauréats permettra de célébrer beaucoup de talents confirmés ou de découvrir des espoirs incontestables. L’Étalon d’argent a été décerné à Nothing but the Truth du Sud-Africain John Kani. Un film au sujet potentiellement riche : l’enterrement dans son pays natal d’un ancien héros de l’ANC, jamais revenu de son exil en Europe, fait resurgir dans sa famille toute une série de non-dits fort gênants sur son passé lors de la lutte antiapartheid. Mais la réalisation théâtrale manque d’idées et sombre dans le très « politiquement correct ».
Robin des bois de Soweto
Un autre long-métrage sud-africain, Jerusalema (de David Ziman), récompensé par plusieurs prix (meilleure image, interprétation masculine et meilleur montage), endosse a contrario les apparences du « politiquement incorrect » en racontant l’ascension d’un jeune de Soweto qui a décidé de se lancer dans une carrière criminelle faute d’avoir obtenu une bourse d’études. Partisan de la prise d’assaut d’immeubles de riches propriétaires qu’il rançonne, il se fera bientôt une réputation usurpée de Robin des Bois. Résultat : un film rythmé, mais à la manière des séries télévisées américaines les moins originales.
Les deux longs-métrages burkinabè, Le Fauteuil et Cœur de Lion, respectivement Prix RFI du public et Prix de l’Union européenne, ont eu les faveurs du public. Mais leur contenu était on ne peut plus consensuel. Le premier, de Missa Hébié, dénonce sur un mode comique la corruption et le népotisme dans les sphères du pouvoir. Le second, de Boubacar Diallo, loue les vertus des chasseurs et des éleveurs du XIXe siècle qui doivent faire face à la menace aussi bien des lions que des esclavagistes. Mais auraient-ils pu être sélectionnés dans un autre festival ? On peut en douter. Missa Hébié, qui a déjà obtenu de grands succès à la télévision, n’utilise que les ficelles de la sitcom. Quant à Boubacar Diallo, qui a acquis en l’espace de quatre ans et de sept longs-métrages la réputation méritée de champion du box-office burkinabè avec de petits films parfois plaisants mais vite tournés et sans aucune prétention artistique, il s’est aventuré dans un cinéma d’auteur qu’il ne peut que caricaturer.
Lente dérive
Outre Teza, les quelques films abordant des sujets difficiles ou dotés d’un véritable style n’ont guère retenu l’attention d’un jury frileux. Le Prix d’interprétation féminine est venu saluer en fait surtout le thème courageux du film marocain Les Jardins de Samira (une jeune femme confrontée à l’impuissance de son mari). Mais la réalisation de Latif Lahlou est bien lisse. Et un curieux Prix du scénario pour L’Absence – car il ne s’agissait pas là du point fort de ce long-métrage crépusculaire aux accents de polar qui se passe à Dakar – a mis en valeur par raccroc le talent du Guinéen Mama Keita.
Mais des réalisations qui avaient peut-être le handicap d’être dérangeantes ont été ignorées par un palmarès qui multiplie pourtant les récompenses (18 pour 19 films en compétition). Comme Ramata de Léandre-Alain Baker, qui évoque la lente dérive, à Dakar, d’une femme interprétée par l’ex-mannequin Katoucha, disparue peu après le tournage et qui aurait pu recevoir en hommage à titre posthume un prix d’interprétation. Ou, surtout, comme Triomf, assurément le meilleur film d’Afrique australe présenté cette année, dans lequel le réalisateur Michael Raeburn nous fait assister à la déchéance d’une famille incestueuse de petits Blancs à l’heure où disparaît le régime d’apartheid.
Côté documentaire, l’on a pu apprécier un travail novateur et audacieux. Notamment de réalisateurs qui ont reçu des prix tout à fait justifiés, comme la Marocaine Leila Kilani (avec Nos Lieux interdits sur l’histoire de la répression dans le Maroc d’Hassan II), l’Égyptienne Jihan el-Tahri (Au-delà de l’arc-en-ciel, portrait acide de l’ANC post-Mandela) et la Camerounaise Oswalde Lewat (Une affaire de nègres, qui retrace courageusement les dérives d’une unité spéciale chargée de la lutte contre le banditisme qui fit un millier de morts dans la région de Douala en 2000).
Au final, le Fespaco 2009 n’aura pas été un très grand cru. Comment aurait-il pu en être autrement alors même que, pénalisé par le désintérêt des États africains et la politique peu lisible des bailleurs de fonds occidentaux, le cinéma du continent manque cruellement de moyens et de reconnaissance. Et que pour sa 21e édition le festival n’a pas pu compter sur la présence en compétition de plusieurs des réalisateurs phares – Abderrahmane Sissako, Mahamat Saleh-Haroun, Idrissa Ouédraogo, Souleymane Cissé, Raja Amari… – qui seront, espérons-le, présents à la prochaine biennale avec de nouveaux films déjà annoncés pour d’ici à 2011.
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