Retour aux sources

Du 20 au 28 mars, jazzmen américains et musiciens africains se rencontrent pour des concerts exceptionnels au musée du Quai Branly, à Paris. L’occasion de rappeler que les grands noms de la scène américaine ont toujours honoré l’Afrique.

Publié le 17 mars 2009 Lecture : 4 minutes.

En apparence tout éloigne l’Américain Jack DeJohnette de la Mauritanienne Dimi Mint Abba. Le premier, batteur-compositeur élevé sous la férule de Miles Davis dans les années 1970 et sous la coupe du pianiste Keith Jarrett, est un jazzman pur jus. La seconde, joueuse d’ardin (harpe) et chanteuse issue de la grande lignée des iggawin (griots), est la Oum Kalsoum mauritanienne et la prêtresse du « chant brisé », typique de ce pays.

Géographiquement et musicalement, des milliers de kilomètres séparent ces deux musiciens. Ils se retrouveront pourtant à Paris, en France, pour la première fois, pour une série de concerts exceptionnels dans le cadre de l’exposition « Le siècle du jazz » présentée au musée du Quai Branly, jusqu’au 28 juin.

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Ces prestations organisées autour du thème « Africa Jazz » visent à rapprocher des musiciens afro-américains, soucieux de renouer avec leurs racines, et de grandes figures des chants traditionnels africains. DeJohnette et Dimi Mint Abba seront accompagnés pour l’occasion par le saxophoniste américain Rick Margitza et le Français Jean-Jacques Quesada. Grand voyageur et passeur de mondes, c’est à ce dernier que l’on doit d’avoir monté ce projet.

D’autres rencontres du même type sont programmées. La chanteuse éthiopienne Eténèsh Wassié échangera pour deux concerts avec le groupe toulousain Le Tigre des Platanes. La légende américaine Randy Weston offrira pour sa part deux représentations avec sa formation, à laquelle se joindront six musiciens gnaouas du Maroc, descendants islamisés d’esclaves noirs affranchis. Ces sept concerts se dérouleront du 20 au 28 mars. Ils seront agrémentés de conférences avec les musiciens et d’une projection de plusieurs films dont Transes Gnaoua d’Eliane Azoulay, journaliste spécialisée des musiques du monde.

Le choix de DeJohnette et de Weston comme têtes d’affiche n’est pas un hasard. Avocats du retour des Noirs américains vers leurs racines, ils n’ont cessé tout au long de leur carrière d’échanger avec ce continent. DeJohnette y a séjourné dans les années 1970. Ses récents albums Music from the Hearts of the Masters (Golden Beams, 2005) et The Ripple Effect – Hybrids (Golden Beams, 2007) ont été réalisés avec le griot et koriste gambien Foday Musa Suso. Quant à Weston, il est le plus africain des pianistes américains. Né à New York en 1926, l’auteur de Uhuru Afrika (Roulette, 1960) ou encore African Rythms (Chant du monde, 1975) a constamment alimenté son imposante discographie par des chants gnaouas, zoulous ou ouest-africains.

Les concerts au musée du Quai Branly ne se contentent donc pas de créer une formidable alchimie mélodique et harmonique. Ils confirment l’irrésistible attrait que le continent exerce depuis longtemps sur la communauté noire américaine. Un sentiment renforcé par l’élection de Barack Obama. Les Africains-Américains savent ce qu’ils doivent à ce continent duquel leurs lointains ancêtres furent arrachés de force pour gagner, fers aux pieds, les rives de la Nouvelle-Angleterre. De ce voyage sans retour naîtra, on le sait, l’une des plus grande révolution musicale du XXe siècle.

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En ce sens, DeJohnette et Weston ne sont pas des précurseurs. Ils rejoignent la liste de nombreux artistes qui, un jour ou l’autre, ont éprouvé le désir de se pencher sur leur histoire. Certains, à l’instar de John Coltrane, sont restés dans le fantasme de cette Afrique nourricière en lui dédiant plusieurs albums comme Africa Brass (Impulse!, 1962). D’autres, au contraire, y séjourneront pour y puiser à la fois spiritualité et inspiration artistique.

C’est le cas du batteur Art Blakey dans les années 1940. Converti à l’islam sous le nom d’Abdoulaye Ibn Buhaina, ce dernier a vécu au Nigeria, où il assimile les rythmes locaux qui influenceront profondément son jeu, comme le montre The African Beat (Blue Note, 1962) réalisé avec des percussionnistes sénégalais et nigérians. Originaire de Detroit, converti à l’islam ahmadiste sous le nom de Yusef Lateef, le saxophoniste William Huddleston a vécu au sein de la communauté yorouba. Il est une référence pour toute une génération.

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Dans les années 1970, des musiciens comme Barney Wilen ou Archie Shepp s’inspireront à leur tour de cette Afrique. Le premier par un long voyage de Tanger jusqu’à Zanzibar. Le second à travers un périple au Maghreb, notamment auprès des Gnaouas.

Depuis une quinzaine d’années, la relation Jazz-Afrique s’est renforcée, particulièrement en Afrique du Sud, première scène jazzistique du continent, où la fin du régime de l’apartheid a littéralement libéré les talents. De cette rencontre entre une musique et son lointain berceau, on retient d’ailleurs quelques récents bijoux. Le saxophoniste Pharoah Sanders signant Save Our Children (Verve, 1998) avec le percussionniste sénégalais Abdou Mboup, ou encore le pianiste américain Hank Jones, parti au-devant du Malien Cheick Tidiane Seck pour réaliser Sarala (Universal, 1999). Tidiane Seck est également à l’origine du chaleureux Red Earth – A Malian Journey (DDB Records, 2007) que la chanteuse Dee Dee Bridgewater a enregistré avec la crème des musiciens maliens.

S’il fallait une preuve supplémentaire du ciment de cette relation, elle viendrait d’un autre festival prestigieux – celui de Banlieues Bleues, qui se tient en région parisienne jusqu’au 10 avril – au cours duquel le saxophoniste américain Donald Harrison se produira avec le Congo Nation Afro New-Orleans Group.

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