A la recherche d’un champion

Après la privatisation et l’assainissement des créances douteuses, les banques consolident leurs fonds propres et se préparent pour une nouvelle bataille : la qualité des conseils et des services. En attendant un ultime mariage de raison.

Publié le 17 mars 2009 Lecture : 6 minutes.

« L’année 2008 a été excellente pour le secteur financier tunisien, avec des taux de croissance à deux chiffres pour la plupart des banques », confie avec un sourire entendu le vice-­président directeur général d’Amen Bank, Ahmed El Karm. C’est sa réponse à ma question sur les risques encourus par la Tunisie à la suite de la crise économique mondiale. Le pays n’est pas à l’abri, loin de là, mais pour le moment les conséquences se limitent aux entreprises exportatrices qui approvisionnent en flux tendu les industries automobiles européennes et les magasins de prêt-à-porter. Les ventes ont baissé de 17,1 % sur les deux premiers mois de l’année, mais elles restent bien supérieures à ce qu’elles étaient en 2007. Les exportations ont atteint 3 163 millions de DT (1 768 millions d’euros) en ­janvier-février 2009, contre 3 814 millions en 2008 et 3 020 en 2007.

Les secteurs du transport aérien et du tourisme, qui sont en période creuse, sont légèrement touchés. Quelques avions ont été cloués au sol faute de passagers et quelques hôtels ont tourné avec moins de dix touristes. Sur instruction de l’État, qui multiplie les aides et les mesures de soutien, il n’y a pas eu de fermetures de grandes usines… Mais tout le monde garde la main sur le cœur en espérant que les bonnes pluies de l’hiver se poursuivront au printemps pour donner de très bonnes récoltes de céréales et d’olives, et que cette valeur ajoutée inespérée de l’agriculture augmentera d’au moins un point de plus que prévu (3,5 % au lieu de 2,5 %, contre – 0,5 % en 2008), compensant la baisse attendue des industries manufacturières (mécaniques, électriques, textiles et cuir) avec une croissance de 2,3 % (voire moins), contre 5,3 % en 2008.

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Augmenter le capital social

Dans cette atmosphère morose, les banques tirent leur épingle du jeu. « Elles profitent de l’élan amorcé en 2008 pour continuer à décaisser au profit des projets déjà engagés », explique Ahmed El Karm, très serein. Selon lui, le secteur est maintenant assaini grâce aux réformes et aux restructurations conduites au cours des dernières années (signe de vigilance accrue, chaque banque est obligée d’utiliser les services de deux commissaires aux comptes). Les créances douteuses et litigieuses (ou accrochées, selon la terminologie locale), principal point noir, ont été réduites de moitié et ne représentent plus que 14 % des encours bancaires. L’objectif est de ramener ce ratio à 10 % en 2011. Des sociétés de recouvrement s’en chargent désormais. En parallèle, les banques ont renforcé leurs fonds propres en augmentant sensiblement leur capital social. Sur les onze banques cotées en Bourse, huit ont procédé à l’opération ou sont en voie de le faire à des niveaux divers. On peut citer notamment Amen Bank, dont le capital devra augmenter de 30 millions de DT (passant de 70 à 85 millions en 2007 et à 100 millions d’ici à la fin de cette année). La Banque nationale agricole a décidé, le 14 mars, de passer de 100 à 160 millions de DT d’ici à 2010 et l’Arab Tunisian Bank de 60 à 100 millions. D’autres banques ont déjà relevé leur capital, de 120 à 170 millions pour la Banque internationale arabe de Tunisie (Biat), de 75 à 90 millions pour la Banque de l’habitat, de 50 à 75 millions pour la Banque de Tunisie et de 100 à 150 millions pour Attijari Bank (ex-Banque du Sud).

Ajoutées à la croissance des dépôts et à l’insuffisance des emplois (crédits et autres), ces ressources se traduisent par des excédents structurels de trésorerie. Pour relancer le financement de l’économie, la Banque centrale a décidé, le 17 février, de réduire son taux directeur de 0,75 % (de 5,25 % à 4,5 %), entraînant une baisse des taux sur le marché monétaire (TMM) à 4,15 % (interbancaire) et des taux d’intérêt pour les entreprises et les consommateurs (TMM + 2 à 7 points maximum). Car l’argent existe abondamment. Les surliquidités quotidiennes dépassent les 500 millions de DT (elles ont atteint 660 millions de DT le 10 mars), que la Banque centrale est obligée d’éponger grâce à ces deux nouveaux guichets (facilité de dépôt rémunérée à 4 % et facilité de prêt à 5 %).

Développement des réseaux

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« Donnez-nous de bons projets, et on s’occupe du reste », s’exclame le patron d’Amen Bank, dont le chiffre d’affaires (produit net bancaire, PNB) a augmenté de 13 % en 2008 et les bénéfices de 37 %, à 40 millions de DT. Sa bataille actuelle porte sur la maîtrise des coûts et l’augmentation du volume d’activités sans prendre trop de risques. Avec un staff de 970 personnes pour 105 agences, Amen Bank poursuivra son implantation sur le territoire national (+ 10 agences par an) et le développement de ses services. « L’agence sera de plus en plus un lieu de conseil, l’essentiel des opérations se faisant de manière électronique », estime Ahmed El Karm.

Pour Slaheddine Ladjimi, directeur général de la Biat depuis mai 2007, c’est le rôle de la banque qu’il faut reconsidérer. Ancien cadre pionnier de la Biat des années 1970 et 1980, il revient à sa tête après une longue expérience passée dans le secteur financier et industriel. Il a retrouvé – bonne surprise – un staff très attaché à l’entreprise (on est « biatiste » ou on ne l’est pas, dit-on) et une volonté d’aller plus que jamais de l’avant. C’est la moindre des choses que l’on attend de la première banque du pays par son chiffre d’affaires. « Les banques sont créatrices de richesse et cela va continuer. Dans ce mouvement, les métiers de la Biat vont se restructurer en trois pôles, explique-t-il : le pôle de la banque de détail, le pôle des grands comptes (entreprises) et le pôle du financement et de l’investissement. » La plus importante banque privée du pays, créée en 1976 par l’ancien ministre des Finances Mansour Moalla, est forte aujourd’hui d’un staff de 2 400 employés et d’un réseau de 123 agences (qui seront plus de 160 en 2012). Son PNB s’est accru de 14 % en 2008, ses dépôts de 18 % et ses crédits de 10 %. Résultat, son ratio de liquidités dépasse 130 %, et son ratio de solvabilité Cooke 13 % (5 points au-dessus de la norme). Que demander de plus au premier des « biatistes » ? Sauvegarder ses parts actuelles du marché (14 % du chiffre d’affaires et 17 % des dépôts) et développer les emplois (la Biat est au 4e rang, avec 11 % des crédits).

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La BT en plein renouveau

Car la concurrence sera de plus en plus rude, avec notamment l’arrivée de banquiers étrangers, comme Attijari, qui a pris en 2005 le contrôle de la Banque du Sud (publique) pour la somme de 61 millions de DT (33,54 % du capital). La banque marocaine, qui est associée au groupe espagnol Santander, est aujourd’hui à 54,61 %. Elle est déterminée à aller plus loin pour augmenter sa part du marché. Idem pour la Société générale, qui a repris l’Union internationale des banques (UIB) en 2002 (52,36 % du capital), ou le groupe Caisse d’épargne, qui a déboursé 300 millions de DT pour le rachat en 2007 de 60 % de la Banque tuniso-koweïtienne (BTK). La Banque de Tunisie (BT), une des premières banques historiques du pays (elle a été fondée en 1884, cinq ans après la Banque franco-tunisienne), est en plein renouveau depuis sa reprise partielle par le groupe de Belhassen Trabelsi et la nomination à sa tête d’Alia Abdallah, une ancienne dirigeante de l’UIB et cadre de la Société tunisienne de banque (STB). La BT est la première banque tunisienne par sa capitalisation boursière (834 millions de DT au 31 décembre 2008).

Il n’empêche. Sur le marché tunisien, les banques sont à l’étroit. On compte vingt-quatre établissements pour une population de 10,4 millions d’habitants. La Tunisie est certes le pays maghrébin le plus bancarisé, avec un réseau de plus de 1 200 agences (autant pour le réseau postal), 1 300 guichets automatiques, 6 millions de comptes bancaires et plus de 2 millions de cartes de crédit. Après les fusions-absorptions des banques de développement (par la STB et la Banque nationale agricole), le secteur gagne encore à être consolidé. Des projets sont en cours pour la création d’une grande banque mixte tuniso-libyenne (rapprochement de trois banques existantes) et la cession partielle de la Banque de Tunisie et des Émirats (comme ce fut le cas pour la BTK). Ces projets demeurent d’une envergure très limitée. La capitalisation des onze banques tunisiennes placées en Bourse (4,3 milliards de DT) pèse deux fois moins que le seul numéro un marocain Attijariwafa Bank… Quand Ahmed El Karm parle de la nécessité d’avoir une banque tunisienne capable de rayonner à l’échelle régionale, il ne se trompe certainement pas.

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