Des réformes sous tension

Consommation et importations en hausse… Si l’urgence est à la sécurisation de l’approvi­sionnement, l’enjeu de la politique énergétique est d’armer le pays pour qu’il assure son essor économique et social. En aura-t-il les moyens ?

Publié le 17 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

Huit mois après l’annonce du Plan énergie par le gouvernement, c’est dans un contexte de crise économique mondiale et de forte volatilité des cours des hydrocarbures que se sont tenues, le 6 mars, à Rabat, les premières Assises nationales de l’énergie. Organisé par le ministère de l’Énergie, le symposium a réuni des décideurs politiques et économiques, des consultants et des chercheurs, marocains et étrangers, des différentes filières du secteur de l’énergie.

Les réformes engagées à travers la nouvelle stratégie énergétique nationale à l’horizon 2020-2030 et le plan d’actions prioritaires 2008-2012 (voir Repères) sont soutenus par un Fonds pour le développement énergétique de 1 milliard de dollars, financé par une donation de 500 millions de l’Arabie saoudite, de 300 millions des Émirats arabes unis et une contribution de 200 millions de dollars du Fonds Hassan-II pour le développement économique et social.

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En outre, le 12 janvier dernier, l’Union européenne a octroyé au Maroc un don de 855 millions de DH (77 millions d’euros) pour l’aider à financer son programme de réforme du secteur énergétique. C’est le premier partenariat en ce domaine entre l’UE et un pays de la rive sud de la Méditerranée.

Cependant, si les experts reconnaissent que la stratégie marocaine est raisonnée et pertinente, le pays parviendra-t-il, en ces temps de crise, à financer sa mise en œuvre ? C’était l’un des volets débattus lors des premières Assises nationales.

S’il veut poursuivre ses réformes et accélérer son développement économique et social, le Maroc – qui dépend des approvisionnements étrangers pour 97 % de ses besoins en énergie – n’a en effet pas d’autre choix que de se donner les moyens de garantir sa sécurité énergétique. D’autant que la demande en électricité n’a jamais été aussi importante et augmente de 8 % par an (l’équivalent de la consommation annuelle de Rabat), tirée par le développement économique, l’industrialisation, la hausse du niveau de vie, mais aussi par le Programme d’électrification rurale global (PERG, qui a porté le taux d’électrification rurale à 98 %).

Or, ces dix dernières années, les pouvoirs publics ont sous-évalué la rapidité et l’importance de l’urbanisation, de l’essor de l’économie et de l’équipement des ménages. « Les autorités, confie un industriel, ont mal anticipé l’augmentation des besoins et paient aujourd’hui le prix du manque d’infrastructures. » Un trop peu d’investissements qui s’est traduit par un déficit des capacités de production, de transport et de distribution, ainsi que par une dépendance accrue vis-à-vis de l’interconnexion avec l’Espagne, dont la part dans la satisfaction de la demande nationale d’électricité est passée de 4,5 % en 2005 à 16 %. Dans le même temps, la surchauffe du parc de production existant a accéléré son vieillissement et altéré sa fiabilité. « Depuis les années 1990, on n’avait pas connu de délestages. Il y a quelques mois, c’est arrivé deux fois. Ce qui est désastreux pour notre production », explique ce même capitaine d’industrie.

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La production nationale non dépendante des importations, principalement hydroélectrique, peine à se développer. Une situation qui pèse lourd dans le budget du royaume puisque la facture énergétique explose, à près de 71 milliards de DH (8,2 milliards de dollars) contre 51,7 milliards en 2007, la seule facture pétrolière caracolant à 30,8 milliards de DH (3,6 milliards de dollars) en 2008, en hausse de 17,5 % par rapport à 2007.

La majorité de l’électricité produite au Maroc provient de centrales thermiques au charbon, également importé (5 millions de tonnes en 2008). En raison du faible coût et de l’abondance du combustible sur le marché international, le charbon restera à moyen terme au cœur du système énergétique marocain, malgré son impact négatif sur l’environnement – les centrales à charbon émettant deux fois plus de CO2 que les centrales à gaz.

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Cependant, le gaz naturel gagne du terrain. Il contribue désormais à hauteur de 13 % à la production nationale d’électricité (contre 0,4 % avant 2005, année de la mise en service de la première centrale à cycle combiné du pays, à Tahaddart, près de Tanger) et devrait combler 23 % des besoins d’ici à 2020. Rappelons à cet égard que le Maroc n’importe pas de gaz naturel stricto sensu, mais bénéficie d’une redevance de transit sur son territoire du Gazoduc Maghreb-Europe (GME). Celle-ci représente plus de 800 millions de m3 par an, dont la moitié alimente la centrale de Tahaddart. Des travaux ont été lancés début 2008 pour raccorder, dès cette année, le GME à la centrale thermo-solaire d’Aïn Beni Mathar, près d’Oujda (d’une capacité de 470 MW), ainsi que pour alimenter, à partir de l’an prochain, le site Renault-Nissan de Tanger.

Enfin, le Plan énergie joue la carte des énergies renouvelables (voir p. 74). Avec plus de 3 000 heures de soleil par an dans le Sud et des régions fortement ventées, le Maroc a tous les atouts en main pour faire passer la part du renouvelable de 4 % à 10 % dans le bilan énergétique national d’ici à 2012.

Nucléaire : l’Horizon lointain

Au-delà de la diversification des sources d’énergie, une autre priorité du gouvernement est de mieux rationaliser leur utilisation : c’est l’objet du volet « Efficacité énergétique » (EE), qui implique la sensibilisation et la participation des industriels, des collectivités et des ménages. Dès 2005, un code d’efficacité énergétique avait été lancé dans le domaine du bâtiment, qui devrait être prochainement étendu à l’industrie, aux transports et à l’éclairage public. La tarification en « heures creuses », de « pointe » et « superpointe » est encouragée, de même que le renouvellement du parc automobile par des véhicules plus économes en carburant et le recours aux transports publics. Autre initiative : la généralisation des chauffe-eau solaires et des lampes à basse consommation dans les administrations et les collectivités locales.

Reste la question du développement, ou non, du programme nucléaire civil. Le pays dispose déjà d’un petit réacteur de 2 MW – utilisé notamment pour les applications dans le domaine de la santé. On se souvient que, lors de sa visite d’État en juin 2008, le président français Nicolas Sarkozy avait annoncé la décision commune des deux pays de « lancer un nouveau grand chantier, celui de l’énergie nucléaire civile ». Par ailleurs, en octobre dernier, le royaume a adhéré au Partenariat mondial pour l’énergie nucléaire (GNEP).

Pour Moulay Abdellah Alaoui, président de la Fédération nationale de l’énergie (FNE), l’avenir du Maroc se situe indéniablement de ce côté : « Le nucléaire nous permettra de produire une énergie bon marché et nous introduira dans le club des pays compétitifs. Cette option gagnerait donc à être concrétisée le plus tôt possible », soulignait-il récemment.

Cependant, les autorités restent prudentes, en raison des très lourds financements que le développement de ce programme suppose, mais aussi des implications géopolitiques et sécuritaires liées à l’utilisation de la technologie nucléaire. Par exemple, les Canaries voisines voient d’un mauvais œil la construction d’une centrale. Du côté des décideurs économiques, compte tenu de la conjoncture internationale actuelle, l’enthousiasme n’est pas non plus de mise. Et le remplacement en novembre dernier à la tête de l’Office national de l’électricité (ONE) de Younes Maamar, fervent défenseur de l’option nucléaire, par Ali Fassi Fihri, autrement plus sceptique, pourrait repousser aux calendes grecques la construction de la première centrale marocaine.

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