Ayman Nour, le retour

Figure de proue de l’opposition laïque, le fondateur du parti Al-Ghad, arrivé deuxième à la présidentielle de 2005, a été libéré le 18 février après trois ans de détention. Il se dit déterminé à reprendre son combat politique et prêt à briguer la magistrature suprême en 2011.

Publié le 16 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

Des tas de cendres jonchent le sol, vestiges de l’incendie de novembre 2008. Personne pourtant, dans la foule compacte qui a envahi les locaux d’Al-Ghad (« Demain »), le parti d’Ayman Nour, en ce jeudi 19 février, au Caire, ne prête attention aux murs carbonisés, où l’on a suspendu des ballons orange, en référence à la révolution ukrainienne. Pendant de longues minutes, les youyous et les slogans à la gloire de l’opposant égyptien se succèdent. Il a été libéré la veille pour « raisons médicales », après plus de trois années passées derrière les barreaux, et ses partisans exultent. Ayman Nour prend finalement la parole pour répondre aux questions des journalistes. « Non, je n’ai conclu aucun accord avec le gouvernement pour être libéré », répète-t-il inlassablement.

La libération surprise du leader de l’opposition laïque égyptienne soulève en effet beaucoup de questions. Le 18 février, l’avocat de 44 ans a été reconduit en voiture à son domicile de Zamalek (dans le centre du Caire) sans explication. On lui a simplement dit qu’on lui ferait parvenir bientôt ses effets personnels. « Il n’y avait personne à la maison ! J’ai appelé ma femme et mes deux fils. Le plus jeune, Shahadi, est arrivé pour m’ouvrir », raconte, amusé, Ayman Nour.

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L’ombre d’Obama

Beaucoup à Al-Ghad pensent que cette libération est due à l’intervention du nouveau président américain. « Obama est un grand homme ! » s’exclame Samira, une dame d’une cinquantaine d’années, voilée de noir, le sourire aux lèvres. Pour la plupart des analystes, il s’agit plutôt d’un geste de l’Égypte pour s’attirer les faveurs de la nouvelle administration américaine. On évoque un éditorial du Washington Post, publié début février, qui conseillait à Barack Obama de poser deux conditions à une visite de Hosni Moubarak à la Maison Blanche : la libération d’Ayman Nour et l’abandon des charges contre Saad Eddine Ibrahim, le directeur du Centre Ibn Khaldoun, une organisation de défense des droits de l’homme. « Je crois que les raisons qui ont poussé le pouvoir à me libérer maintenant sont multiples », estime de son côté Ayman Nour. Il évoque la guerre de Gaza et la colère d’une partie des Égyptiens face à la politique de Moubarak envers Israël : « Peut-être que le régime a voulu détourner l’attention en me libérant. »

Mais il ne veut pas se perdre en conjectures. Sa priorité est de reconstruire son parti. Une semaine après sa libération, il alterne meetings et interviews, recevant les journalistes chez lui. Derrière ses fines lunettes, ses yeux fatigués se plissent légèrement. Il décrit ses conditions de détention d’une voix posée. « J’ai dû adresser des protestations au ministère de l’Intérieur pour pouvoir être suffisamment nourri et obtenir des médicaments, alors que je suis diabétique, raconte-t-il. Plusieurs fois, on m’a emmené dans un endroit inconnu où des officiers me passaient à tabac pendant des heures. » Sa femme, Gamila, elle-même militante, n’a pas cessé de dénoncer le déni de ses droits de prisonnier. Il assure que cette expérience a renforcé sa détermination. « Si je suis éligible [il ne peut se présenter à aucune élection tant que Moubarak ne l’aura pas gracié, NDLR] et si le parti me désigne, alors oui, bien sûr, je serai à nouveau candidat en 2011. » Dans le cas contraire, son parti présentera un autre candidat, assure-t-il.

« Le régime ne va pas lui faciliter la tâche, mais nous allons nous battre pour qu’il soit le prochain président égyptien », affirme Mohamed, 28 ans, un membre d’Al-Ghad venu de Kafer el-Sheikh, près d’Alexandrie. Avant le coup d’éclat de 2005, le parcours d’Ayman Nour a été assez classique. Né dans une famille bourgeoise à Al-Mansoura, une ville du delta du Nil, il fait des études de droit, puis s’engage dans le parti libéral Al-Wafd. Il travaille comme journaliste pour le quotidien du parti. En 1995, il est élu député du quartier populaire de Bab el-Shahriya, au Caire, et réélu en 2000. Un an avant l’élection présidentielle de 2005, il décide de créer son propre parti, Al-Ghad. Il sillonne le pays sans relâche et réussit par son charisme à susciter un certain engouement. À la présidentielle de 2005, il recueille 7,6 % des suffrages, au grand dam du régime. Trois mois après le scrutin, il est arrêté et condamné à quatre ans de prison pour avoir falsifié des documents nécessaires à l’agrément de son parti, ce qu’il a toujours nié.

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Sa popularité semble aujourd’hui intacte. Dans les petites rues d’un quartier modeste de Gizeh, au Caire, les habitants le reconnaissent dans sa voiture et lui font signe. « Avant son emprisonnement, il venait souvent parler avec les gens dans la rue, il était humble et gentil », témoigne Mahmoud, un cafetier de Khan el-Khalili, un quartier proche de la circonscription d’Ayman Nour. Mais tous les Égyptiens n’apprécient pas le leader libéral. « Ce n’est pas parce qu’il a été en prison que c’est un héros », lance Fatma, une étudiante en histoire proche des Frères musulmans. Ayman Nour, de son côté, essaie de ne pas se poser en concurrent des islamistes : « Nous ne sommes pas en compétition avec les Frères, nous nous battons comme eux contre ce régime. »

Conquérir la rue

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Al-Ghad est loin d’avoir la même influence que la puissante confrérie islamiste. « Nous avions plus de 250 000 membres en 2005, nous n’en avons plus que 400 aujourd’hui, note Wael Nawara, président du comité directeur du parti. Mais nous allons ouvrir des bureaux un peu partout dans le pays. » S’il veut conquérir la rue égyptienne, Al-Ghad doit en effet se remettre en ordre de bataille. « Lors d’un meeting à Alexandrie [le 25 février, NDLR], nous avons reçu plus de 1 000 demandes d’adhésion, surtout des jeunes », se réjouit déjà Ayman Nour. Sans changer de cap – il réclame toujours une réforme de la Constitution pour limiter les pouvoirs du président égyptien –, le leader d’Al-Ghad prend soin de ne pas froisser le pouvoir. Il répète qu’il n’est pas opposé à un dialogue avec le régime. Mais lorsqu’on lui demande si l’arrivée au pouvoir de Gamal Moubarak, le fils du raïs, peut marquer une période d’ouverture démocratique, il fait la moue. « Il ne s’est jamais positionné clairement en faveur d’un changement démocratique, je ne crois pas que cela fasse partie de ses projets. » 

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