Rupture consommée

Après le rappel de son ambassadeur à Tel-Aviv et l’annonce du gel des relations entre les deux États, Nouakchott demande au personnel de la chancellerie de l’État hébreu de quitter le pays.

Publié le 16 mars 2009 Lecture : 4 minutes.

La rupture a été lente mais indolore. La majorité des Mauritaniens a même accueilli avec satisfaction le nouveau coup porté aux relations diplomatiques que le pays entretient avec Israël depuis octobre 1999. Le 6 mars, le personnel de l’ambassade de l’État hébreu a été prié de quitter Nouakchott dans les 48 heures. Il n’a eu d’autre choix que d’obtempérer, les autorités mauritaniennes ayant annoncé qu’elles n’assureraient plus la sécurité de la chancellerie. Attaquée dans la nuit du 1er au 2 février 2008 par une poignée d’assaillants munis d’armes automatiques, cette grande bâtisse située en plein centre de Nouakchott bénéficiait jusqu’alors de la protection des forces de l’ordre locales. Un dispositif qui, pour les autorités mauritaniennes, n’a plus lieu d’être aujourd’hui, les relations ayant été officiellement gelées le 16 janvier.

Rapidement après le coup d’État du général Ould Abdelaziz, le 6 août 2008, l’axe Nouakchott/Tel-Aviv a commencé à battre de l’aile. C’est Maaouiya Ould Taya, au pouvoir de 1984 à 2005, qui l’avait créé, il y a tout juste dix ans, faisant de son pays le seul État de la Ligue arabe, avec la Jordanie et l’Égypte, à accueillir une représentation diplomatique de l’État hébreu. À l’époque, le colonel à la fine moustache est isolé sur la scène internationale : il vient de se brouiller avec son premier allié, Paris, qui a arrêté et inculpé pour crimes de torture le capitaine mauritanien Ely Ould Dah. En se rapprochant d’Israël, Nouakchott peut raisonnablement espérer compenser cette perte par un appui américain. Rapidement, des liens d’ordre sécuritaire sont établis entre les services de renseignements des deux pays. Certains officiers supérieurs, dont le général Ould Abdelaziz, alors chef de la garde présidentielle, jouissent même d’une bonne image auprès des Israéliens. Mais le rapprochement avec Tel-Aviv est parallèlement perçu par beaucoup en Mauritanie comme une trahison des « frères » palestiniens.

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Fraternisation « honteuse »

Les années passent, mais le ressentiment reste. Il transcende même les clivages politiques. Ces relations « créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent », déclare à Jeune Afrique Ahmed Ould Daddah, le leader du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), le premier parti du pays (voir J.A. n° 2513). Pour Jemil Ould Mansour, chef de Tawassoul, formation à référentiel islamique, la rupture avec Israël est un credo. Idem pour Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée nationale et leader de l’Alliance populaire progressiste (APP), qui n’a jamais caché son hostilité à toute fraternisation avec l’État hébreu, allant jusqu’à la qualifier de « honteuse » lors de l’offensive israélienne contre Gaza (décembre 2008-janvier 2009).

Si de rares voix s’élèvent pour souligner l’intérêt que peuvent présenter de telles relations, les coups de gueule anti-Israël rencontrent nettement plus d’écho auprès de la population. À chaque regain de tension au Moyen-Orient, des manifestations appellent à la rupture. L’une des dernières en date, le 7 janvier, en pleine offensive israélienne sur Gaza, a rassemblé des milliers de personnes. Réuni sur l’avenue Nasser, à Nouakchott, le long cortège s’est dirigé vers l’ambassade d’Israël avant de se disperser après des échauffourées avec les forces de l’ordre.

Malgré la pression de la rue, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le chef de l’État renversé le 6 août, n’avait jamais tranché. Avant son élection comme pendant les quinze mois de sa présidence, il a toujours répété que la question devait être soumise à la volonté populaire. En clair, faire l’objet d’un référendum ou être débattue au Parlement. Un moyen de préserver le statu quo, car si la coopération entre Tel-Aviv et Nouakchott se résume à quelques projets agricoles et médicaux (et à une très discrète collaboration entre services), couper les ponts aurait pu marginaliser le pays. À l’époque, la Mauritanie sort d’une élection jugée exemplaire qui lui vaut l’attention particulière de bailleurs de fonds occidentaux, séduits par l’expérience de la démocratie mauritanienne. Une marque d’hostilité à l’endroit de leurs alliés, et le soutien pouvait être compromis.

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En attendant Kadhafi

La communauté internationale lui refusant toute légitimité, le tombeur de « Sidi », lui, a considéré qu’il n’avait rien à perdre en rompant avec Israël. Sa cote de popularité pouvait même s’en trouver renforcée. Pour multiplier les retombées, le général a donc orchestré une rupture en plusieurs actes. Il y a d’abord eu, le 5 janvier, le rappel de l’ambassadeur mauritanien en Israël pour « consultations » alors que les bombes pleuvaient sur Gaza. Puis, le 16, l’annonce, depuis Doha, où Mohamed Ould Abdelaziz participait à un minisommet arabo-musulman sur la situation en Palestine, du « gel » des relations. Une décision qui lui a valu un retour triomphal à Nouakchott, sous les youyous et les applaudissements.

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L’expulsion du personnel de l’ambassade le 6 mars est donc le troisième acte de la rupture. Elle est intervenue trois jours avant l’arrivée en Mauritanie de Mouammar Kadhafi, qui a choisi d’y célébrer cette année la naissance du Prophète. Le calendrier n’est pas fortuit : le « Guide » libyen, désormais médiateur dans la crise politique mauritanienne, a toujours fustigé l’attitude de Nouakchott à l’égard d’Israël. Mais de calculs en coups d’éclat, on finit par se demander où est passée la motivation initiale de la rupture : la « solidarité avec les frères palestiniens ».

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