En attendant la présidentielle

Si la campagne électorale ne s’ouvre officiellement que le 19 mars, celle du chef de l’État sortant est déjà lancée, sur fond de météo capricieuse et de Mouloud détonant célébré à coups de pétards. Reportage.

Publié le 16 mars 2009 Lecture : 4 minutes.

A quelques jours de l’ouverture de la campagne présidentielle (19 mars-6 avril), l’ambiance à Alger est électrique. En cause : une pratique aussi païenne que tenace et les caprices d’une météo qui a transformé les giboulées de mars en tempêtes successives.

Les Algériens ont la fâcheuse habitude de fêter le Mouloud, l’anniversaire de la naissance du Prophète, en faisant exploser des pétards à tout-va. Tout le monde s’y met : enfants, adolescents, jeunes et adultes. Une manie qui n’aide pas à oublier que nous sommes dans un pays où le langage des armes a toujours cours. Nul ne sait comment ces produits pyrotechniques, généralement de fabrication chinoise, parviennent à entrer en Algérie, où l’état d’urgence est en vigueur depuis près de vingt ans, mais il y en a partout. Ce juteux marché (évalué à quelques dizaines de millions d’euros) encourage la corruption, rendant inopérants les scanners flambant neufs des postes de douane. Bilan de cette folie festive : des centaines de blessés, des pompiers débordés et des services d’urgence saturés. En écho à ces incessantes détonations, et comme pour ruiner tout espoir de quiétude, le ciel s’est mis à tonner. Une violente tempête a secoué toute la partie nord du pays, faisant une dizaine de victimes et des millions de dollars de dégâts.

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Pendant ce temps, Alger déborde d’activité. Qu’il vente ou qu’il neige, les affaires se concluent, les colloques et les salons se tiennent. La présidentielle du 9 avril n’obsède pas les milieux d’affaires, davantage préoccupés par le retour du discours protectionniste et les nouvelles mesures qui imposent à tout investisseur étranger d’associer, à hauteur de 30 %, un partenaire national, public ou privé, pour tout projet économique.

Si, officiellement, la campagne électorale ne débute que le 19 mars, celle d’Abdelaziz Bouteflika est déjà lancée. Son effigie trône sur les frontons des sièges d’associations de quartier, de sociétés de bienfaisance ou de clubs sportifs. Le visage du président est partout. En poster géant ou en pin’s. Sur les lunettes arrière des voitures de particuliers ou sur les pare-brise des camions. Des slogans ont fleuri sur les balcons de la rue Didouche et de la place Audin, le Saint-Germain-des-Prés local, comme « Mon choix, c’est Bouteflika », écrit en arabe, sous un portrait souriant du chef de l’État, une colombe blanche sur l’épaule, symbole sans doute de la paix retrouvée à la faveur de la Réconciliation nationale. Dazibaos et graffitis font parler les murs en rendant hommage au « Aziz » (le chéri). Le soir, au JT de 20 heures, un flot d’images présidentielles – pose de la première pierre d’une nouvelle université, inauguration d’un hôpital flambant neuf – est proposé au télé­spectateur.

En dix jours, entre le 24 février et le 4 mars, le chef de l’État s’est rendu successivement à Oran, Biskra et Sidi Bel Abbès, soit un périple de 2 600 km. Chaque déplacement est assorti d’annonces : augmentation des bas salaires, revalorisation de 50 % de la bourse des étudiants, octroi d’une prime mensuelle de 12 000 dinars (120 euros) pour les chercheurs et doctorants, prise en charge par le Trésor public de la dette de 110 000 agriculteurs (410 millions d’euros)… Tout ceci n’est pas pour plaire aux cinq rivaux du président sortant. Chacun y va de sa dénonciation d’une campagne débutée avant l’heure, de l’utilisation des moyens de l’État ou de la mobilisation des médias publics au profit de Bouteflika. L’installation officielle de la Commission nationale de surveillance des élections n’a pas suffi à apaiser le climat. Présidée par Mohamed Teguia, ancien ministre de la Justice, cette commission est composée de vingt-cinq membres : outre son président, un représentant par parti politique disposant d’élus au Parlement et un délégué pour chacun des deux candidats indépendants, Bouteflika (représenté par le général à la retraite Mustapha Chelloufi) et Mohamed Saïd, dont la formation politique (le Parti pour la liberté et la justice, PLJ) est en instance d’agrément. Cette compo­sition a été rejetée par les quatre autres candidats. « Les partis n’ayant pas investi de candidat n’ont rien à faire dans cette commission ! » s’emporte Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT, trotskiste). « Cela pose un problème d’équité, renchérit Moussa Touati, président du Front national algérien [FNA]. Outre son représentant personnel, Bouteflika disposera de ceux des partis qui le soutiennent. L’équilibre politique de la commission est bancal. » Les quatre candidats ont saisi le Conseil constitutionnel et menacent de se retirer de la compétition si la compo­sition de la commission n’est pas revue. Ambiance…

Le spectre de l’abstention

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L’administration, qui promet neutralité et efficacité, a deux craintes : l’abstention et l’insécurité. Les deux précédentes consultations – législatives et municipales de 2007 – ont battu des records d’abstention : 35 % de participation pour les premières, 41 % pour les secondes. Or, selon la formule de Bouteflika, « en Algérie, un président élu ne saurait gouverner s’il ne dispose pas du soutien d’une majorité écrasante de la population ». En plus de la désaffection des électeurs pour la chose politique, l’abstention pourrait se nourrir des appels au boycott lancés par certains partis et personnalités politiques. Pour y faire face, le gouvernement d’Ahmed Ouyahia a lancé une campagne mobilisant artistes et sportifs, intellectuels et imams prestigieux, pour sensibiliser les jeunes et les convaincre d’accomplir leur devoir civique.

On sait, depuis le 6 septembre 2007, date d’une attaque kamikaze qui le visait à Batna, que Bouteflika est la cible d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les meetings qu’il s’apprête à animer à l’intérieur du pays constituent un vrai casse-tête pour les services chargés de sa protection. Mais le président sortant n’est pas le seul à être menacé par les djihadistes, qui, ayant émis une fatwa contre le scrutin du 9 avril, inscriraient bien à leur tableau de chasse la tête d’un candidat ou d’un observateur étranger. Un dispositif impressionnant devrait être mis en place pour sécuriser l’élection. En attendant la campagne, entre deux rafales de vent et trois coups de tonnerre, Alger continuait d’être secoué par les centaines de détonations des pétards célébrant le Mouloud.

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