Un carnaval et deux enterrements

Après l’assassinat du président João Bernardo « Nino » Vieira, la vie reprend son cours à Bissau. En apparence, tout au moins. Le pays reste traumatisé par des années de violences politiques et rien ne garantit que la prochaine élection se déroule sereinement.

Publié le 16 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

« Nous sommes fatigués. Nous en avons assez de la pauvreté et de l’instabilité. Tuer, toujours tuer, ce n’est pas bon », se désole Amido, chauffeur de taxi à Bissau au lendemain des obsèques de João Bernardo « Nino » Vieira, le président assassiné le 2 mars. Alors que sa vieille Mercedes bleu et blanc cabossée a du mal à grimper la pente au sommet de laquelle trône l’Assemblée nationale, où travaille le président intérimaire Raimundo Pereira, il ne pleure ni sur le sort du défunt chef de l’État, ni sur celui du général Batista Tagmé Na Waié, le chef d’état-major général des armées, tué dans un attentat à la bombe quelques heures avant Nino. « On repense parfois aux événements, dit-il, mais ce qui nous intéresse vraiment, c’est l’avenir de notre pays. » À Bissau, la vie a repris son cours. Interrompu par l’assassinat de Nino Vieira, le carnaval a repris au surlendemain de ses obsèques. Mais au-delà des apparences, le mal de la Guinée-Bissau reste profond.

« Il y a eu trop de crimes non élucidés et impunis, particulièrement au cours des dix dernières années », rappelle un militant d’un parti politique sous le couvert de l’anonymat. « Tagmé est quand même le troisième chef des armées à être liquidé [après Ansumane Mané en 2002 et ­Veríssimo ­Correia Seabra en 2004, NDLR]. Sans la vérité, il n’y aura ni pardon, ni réconciliation », avertit-il. Une commis­sion interministérielle d’enquête, dirigée par le procureur de la République Luís Manuel Cabral, a été mise sur pied après les assassinats. Elle devra bien évidemment faire la lumière sur ces deux crimes, l’armée enquête de son côté sur le meurtre de son chef d’état-major. « Sans cela, le pays tomberait dans la violence, car certains seront tentés de faire justice eux-mêmes », analyse cette même source.

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En apparence, tout est « normal » dans le quartier où habitait Vieira. Les voisins du défunt président, fidèles à leurs habitudes, papotent tranquillement sur les trottoirs. Mais rien n’est plus comme avant. Les murs endommagés de la résidence d’Isabelle, la première dame, où le chef de l’État a été tué, et le Hummer noir criblé de balles donnent un aspect lugubre à la ruelle bordée de maisons ocre. Un lourd climat de suspicion s’est aussi installé dans les administrations, en particulier du côté de la primature où les réunions entre membres du gouvernement et officiers de l’armée s’enchaînent à un rythme effréné, dans le plus grand secret.

Au sein des principaux partis politiques, la situation suscite beaucoup de commentaires et d’interrogations, toujours proférés à voix basse. L’élection présidentielle, supposée se tenir soixante jours après la déclaration de la vacance du pouvoir, est source d’inquiétude. Beaucoup se demandent si elle pourra se tenir dans un climat apaisé. « Tout le monde sait qui a tué Nino et Tagmé, mais dix jours après les meurtres, sous prétexte que les gens étaient occupés par les obsèques, personne n’a été arrêté. Il y aurait eu des auditions, mais on sait que les coupables circulent toujours librement », dénonce un cadre de l’opposition.

Du côté du Parti africain pour ­l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC, au pouvoir), on se veut plus rassurant : « La commission d’enquête a commencé à travailler et on devrait aller vers des élections calmes, car le peuple sait que c’est une des conditions du retour à la stabilité », dit-on.

Après sa très large victoire aux législatives du 16 novembre 2008, le PAIGC, dirigé par le Premier ministre Carlos Gomes Junior, a, selon des observateurs, toutes les chances de remporter l’élection présidentielle. Le choix du futur candidat reste néanmoins délicat. Le parti compte plusieurs cadres respectés comme Malam Bacai Sanha ou Martinho Ndafa Cabi, tous deux candidats malheureux à la présidence du mouvement en 2008. Officiellement, aucun parmi eux, ni parmi les personnalités de l’opposition, n’a encore déclaré ses intentions, et les tractations se déroulent en toute discrétion. « Celui qui affiche ouvertement ses ambitions alors que le président vient à peine d’être enterré deviendra suspect aux yeux de l’opinion, qui verra en lui l’un des commanditaires possibles de l’assassinat », explique un membre du PAIGC préférant garder l’anonymat.

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Sauf surprise, Kumba Yala, le leader du Parti de la rénovation sociale (PRS), deuxième force politique avec 28 députés à l’Assemblée (contre 67 pour le PAIGC), sera dans la course. Absent de Bissau, il se trouve depuis plusieurs semaines à Dakar pour « raisons de santé ». Sur la vingtaine de formations que compte le pays, seules quelques-unes sont représentées au Parlement. Parmi elles, l’Alliance démocratique (AD) dirigée par le député Victor Mandinga. Pour lui, la priorité aujourd’hui, c’est la réconciliation. « La réflexion doit porter sur les causes profondes de la division et les moyens d’en finir avec la violence, dit-il. Tant que nous ne saurons pas ce qui s’est passé et pourquoi, les élections ne serviront à rien, car l’instabilité pourra resurgir à tout moment. »

Cercle vicieux

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Instabilité et pauvreté sont la cause de bien des maux. Par un étrange cercle vicieux, elles paralysent ce petit pays pratiquement ignoré de la communauté internationale et des investisseurs. « Pour débloquer des aides, les pays riches exigent la stabilité. Et comme nous sommes pauvres, ça favorise l’instabilité », déplore Manuel Serifo Nhamadjo, président intérimaire de l’Assemblée nationale. « Notre pays est connu pour de mauvaises choses. La drogue, les assassinats. Pourtant, nous voulons nous en sortir. Mais avec quels moyens ? » s’interroge-t-il. « Nous avons de l’or, du pétrole, de la bauxite, du poisson… Comment exploiter nos ressources sans argent ? » se demande, de son côté, un militant du PAIGC. « On nous demande de réduire le nombre de fonctionnaires [environ 13 000 pour à peine 1,5 million d’habitants, NDLR] et de réformer l’armée. Mais comment ? » L’État n’a en effet jamais eu les moyens de payer régulièrement fonctionnaires et militaires qui lui coûtent chaque mois plus de 2 milliards de F CFA. Si la principale arme des premiers est la grève, les seconds peuvent recourir à la violence. Et même si, officiellement, les exécutions de Tagmé et de Nino ne sont plus attribuées à des soldats, des observateurs considèrent que l’armée, en proie à de graves divisions, reste un vivier de criminels en puissance. Selon eux, il n’est pas impossible que des affrontements comme ceux qui sont survenus en 1998 entre clans rivaux déclenchent une nouvelle guerre. Un scénario catastrophe que refusent catégoriquement le PAIGC et l’opposition. Au moment où les mots « vérité » et « réconciliation » sont sur bien des lèvres, la tension reste palpable. Ainsi le 8 mars, aux environs de onze heures, l’avion de l’armée sénégalaise transportant le cercueil fabriqué à Dakar pour Nino Vieira a bien failli ne pas se poser sur le tarmac de l’aéroport de Bissau. Quand les militaires au sol ont su ce qu’il transportait, ils ont voulu l’empêcher d’atterrir : « Pour Tagmé, il n’y a pas eu ça. Alors pourquoi pour Nino ? »

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