Sept médiateurs pour deux présidents
Nations unies, Union africaine, Organisation internationale de la Francophonie… Tout le monde dépêche ses émissaires et ses ambassadeurs au chevet d’un pays de plus en plus divisé.
Plus le temps passe, moins la crise paraît soluble. Au cours du mois de mars, la Grande Île comptait pas moins de deux présidents : le chef de l’État démocratiquement élu, Marc Ravalomanana, et le chef autoproclamé de l’autorité de transition, Andry Rajoelina, alias « TGV ». Le pays comptait également deux gouvernements et deux Premiers ministres. Quant à l’armée, elle a choisi de contribuer à la confusion générale en se dotant d’un second chef d’état-major. Le 11 mars, le commandement militaire portait à sa tête le colonel André Andriarijaona, en remplacement du général nommé quelques semaines auparavant par le chef de l’État.
On est loin du face-à-face du mois de janvier. Le bras de fer entre Ravalomanana et Rajoelina s’est transformé en affrontement de clans, l’écurie du premier fédérant contre elle tous les opposants frustrés par l’omnipotence du chef de l’État. Et l’intervention sanglante de la garde présidentielle contre les manifestants, le 7 février, a encore changé la donne, provoquant la réaction tardive d’une armée passablement divisée.
Pour dénouer l’écheveau, les médiations se multiplient. La planète entière semble s’être donné rendez-vous au chevet de Madagascar, de la Commission de l’océan Indien – qui intervient d’abord en raison de sa proximité – aux Nations unies, en passant par tous les échelons intermédiaires possibles.
Risque de télescopage ?
Au nom des relations de bon voisinage, les protagonistes de la crise ont reçu la visite du secrétaire exécutif de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), à laquelle Antananarivo adhère depuis août 2005. Le commissaire pour la paix et la sécurité de l’Union africaine, Ramtan Lamamra, a évoqué de son côté avec le chef de l’État le prochain sommet de l’organisation, qui doit se réunir début juillet à Tana.
Mais le suivi du dossier reste du ressort de l’Ivoirien Amara Essy, qui fut déjà émissaire à Madagascar lors de la crise post-électorale de 2002, opposant Marc Ravalomanana à son prédécesseur, Didier Ratsiraka.
Le président sénégalais Abdoulaye Wade, qui avait également joué un rôle important à l’époque, a été pressenti pour reprendre du service. Sa médiation ayant été réclamée simultanément et dans les mêmes termes par Rajoelina et Ravalomanana, Wade les a invités à venir dialoguer à Dakar. Ses bons offices ne risquent-ils pas de télescoper ceux de son prédécesseur, Abdou Diouf, aujourd’hui secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ? « Pas de danger, estime un diplomate sénégalais. Si Wade peut faire quelque chose pour dénouer la crise, l’OIF soutiendra son initiative. Cela s’est d’ailleurs déjà produit lors de la médiation menée à Dakar entre le Tchad et le Soudan, en mars 2008. »
Ce qui n’a pas empêché l’OIF d’envoyer Edem Kodjo en émissaire à Tana, le 12 mars. Ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), l’ex-Premier ministre togolais a pour mission de rechercher une sortie de crise « en liaison étroite avec les autres partenaires internationaux ». « Madagascar est un membre éminent de la famille francophone, et nous avons décidé d’y organiser notre prochain sommet en 2010, explique-t-on au siège de l’OIF. On ne peut pas rester les bras croisés et compter les balles en attendant que ça se tasse. »
Edem Kodjo va donc travailler en étroite collaboration avec Amara Essy et, surtout, avec Tiébilé Dramé, ancien ministre malien des Affaires étrangères et envoyé spécial de l’ONU à Madagascar. Arrivé à Tana le 4 mars, ce dernier est chargé de poursuivre la médiation engagée par Haïlé Menkerios, sous-secrétaire général chargé des affaires politiques. Le Malien joue un rôle central dans les événements en cours. Les Nations unies, qu’il représente, ont décidé de placer Andry Rajoelina sous leur protection, et militent avec le Conseil des Églises chrétiennes (FFKM) en faveur de la tenue d’assises nationales pour trouver une issue à la crise.
La multiplication des interlocuteurs – émissaires, envoyés spéciaux, facilitateurs, médiateurs – n’aide pas vraiment à la compréhension du dossier malgache. Mais « on n’y peut rien, résume un diplomate en poste à Antananarivo. Il est normal que les organisations supranationales s’impliquent, dans la mesure où leurs principes les y obligent. Pour les émissaires de l’OIF, de l’UA ou de la SADC, il est de leur devoir d’être là. »
Ce que certains dénoncent comme un « effet congénital du multilatéralisme » n’est pas forcément une mauvaise chose : « Lorsque survient une crise, on voit se constituer des groupes de contact, souligne un expert de l’ONU. Cela permet à la communauté internationale de parler d’une seule et même voix et, parfois, de gagner en efficacité, comme lors des discussions avec la junte en Guinée-Conakry. »
500 millions de dollars en jeu
D’ailleurs, à Tana aussi s’est constitué un groupe informel qui rassemble plusieurs ambassadeurs, notamment ceux des États-Unis et d’Allemagne, le représentant de l’UE et la chargée d’affaires française, Marie-Claire Gérardin. Ces diplomates n’ont pas hésité à intervenir. La France, qui ne veut pourtant pas être accusée de parti pris par l’un ou l’autre camp, a accueilli brièvement Rajoelina dans les locaux de la résidence de France, ce que les partisans de Ravalomanana n’ont pas du tout apprécié.
Pour sa part, l’ambassadeur américain Niels Marquardt a menacé les dirigeants malgaches de priver le pays de l’aide de Washington : 500 millions de dollars sont en jeu. Dans la foulée, l’Union européenne a prévenu qu’un putsch aboutirait à une suspension immédiate de sa coopération, conformément aux accords de Cotonou. La Banque mondiale et le FMI, eux, ont déjà suspendu le versement de leurs contributions. Toujours fiers de leur identité insulaire, les Malgaches se méfient des ingérences étrangères, africaines ou occidentales. Cette fois, ils auront peut-être du mal à s’y soustraire. Et à s’y retrouver.
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