Les banquiers se mettent à table

Accusée par le fisc américain de protéger les fraudeurs, l’UBS a capitulé et livré les noms de ses clients mis en cause. Est-ce la fin du sacro-saint secret bancaire ?

Publié le 10 mars 2009 Lecture : 4 minutes.

C’est un véritable séisme qui ébranle la Suisse tout entière. Depuis le 25 février, les citoyens de la Confédération helvétique découvrent avec stupeur que le prochain sommet du G20 (Londres, 2 avril) pourrait déboucher sur l’inscription de leur pays sur la liste des paradis fiscaux mis au ban des nations. Par la faute de l’Union des banques suisses (UBS), premier établissement bancaire du pays, qui a mésusé du secret bancaire sur lequel reposent la réputation et la prospérité de la Confédération.

Le 25 février, convaincue d’avoir aidé quelque trois cents riches Américains à soustraire leur fortune au fisc de leur pays et menacée par celui-ci de voir fermée sa filiale d’outre-Atlantique, UBS capitule, accepte de payer une amende de 780 millions de dollars (614 millions d’euros) et de livrer les noms de ses clients délinquants.

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Le 26 février, poussant son avantage, le fisc américain dépose une plainte contre UBS pour l’obliger à lui livrer des informations concernant 52 000 de ses comptes appartenant à des citoyens américains. Lesquels y auraient déposé, au total, 15 milliards de dollars. C’en est trop pour les hommes politiques suisses, qui dénoncent le « comportement de puissance » de Washington. Et pour les banquiers suisses, furieux de « l’honneur perdu d’UBS » et de la mise à mal du sacro-saint principe du secret bancaire. Pour compliquer le tout, le Tribunal administratif fédéral interdit, le 27 février, de transmettre les trois cents dossiers exigés et déjà expédiés depuis deux jours aux États-Unis !

FRAUDE OU ÉVASION ?

Toute la stratégie de la finance suisse repose sur une subtile distinction entre la fraude fiscale, que la Suisse a promis de dénoncer aux autres États parce qu’elle repose sur une falsification de documents, et l’évasion fiscale, qui serait l’art de profiter des complexités et des lacunes législatives et réglementaires pour mettre sa fortune à l’abri de l’impôt… en Suisse.

Ce distinguo a toujours irrité les autres pays, ainsi privés de recettes fiscales. Les autorités helvétiques ont donc accepté des assouplissements. Début 2000, elles ont accepté que les clients américains soient identifiés ; et se sont résolues à faire payer à leurs clients européens un impôt (20 % aujourd’hui, 35 % en 2011) sur les intérêts de leurs comptes suisses.

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Mais il suffit, par exemple, auxdits clients d’entrer dans le capital de l’une des dix mille entreprises étrangères dites « de domicile », car sans activité commerciale en Suisse, pour être totalement exemptés d’impôt.

À Genève, Zurich et Lugano, des trésors d’imagination ont été déployés pour inventer des systèmes obscurs et complexes – on parle alors « d’optimisation fiscale » – qui n’ont rien à envier à ceux en vigueur au Lichtenstein ou dans les îles Caïmans. Et UBS était tellement à la pointe de ces manipulations que ses dirigeants avaient inventé des noms de code pour dissimuler les faits délictueux dont ils tiraient bénéfices.

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L’Union européenne s’est jusqu’ici montrée fort prudente, car désunie sur la question du secret bancaire. Le Luxembourg, la Belgique et l’Autriche en vivent tout autant que la Suisse. Et le Royaume-Uni a développé dans son arrière-cour des îles anglo-normandes des sociétés offshore aussi opaques que le compte à numéro le plus cadenassé de Suisse.

L’affaire UBS a mis un terme aux hésitations européennes. À l’heure où, des deux côtés de l’Atlantique, la crise oblige à creuser monstrueusement les déficits publics et supprime des centaines de milliers d’emplois, il est insupportable que le secret bancaire prive les États de précieuses ressources financières au profit de (très) riches particuliers, voire de trafiquants de drogue ou d’armes.

Sans égard pour les lamentations du gotha bancaire suisse, qui a prévenu que la suppression du secret diviserait par deux l’activité de la corporation, les responsables européens ont commencé à dire haut et fort qu’ils n’acceptaient plus la distinction entre fraude et évasion fiscale.

LISTE NOIRE

Alistair Darling, le chancelier de l’Échiquier britannique, est ainsi monté au créneau : « Si la Suisse veut faire partie de la communauté internationale, a-t-il fait savoir, elle se doit d’être ouverte. […] Le secret qui permet aux gens de mettre à l’abri leur fortune sans payer d’impôts n’est pas acceptable et injuste pour ceux qui n’ont d’autre choix que de les payer. »

Le 1er mars, Nicolas Sarkozy a laissé planer la menace d’une inscription de la Suisse sur la liste noire des paradis fiscaux. « Cela dépend des réponses qu’elle apportera, a-t-il déclaré, ajoutant : il n’est pas admissible qu’on garde des places financières qui ne déclarent ni l’origine ni la destination de l’argent ! »

Commissaire européen chargé de la fiscalité, le Hongrois László Kovács a menacé l’Autriche, autre accusée, en ces termes : « À l’heure où chaque centime compte, comment accepter qu’un pays membre de l’UE fasse obstacle aux autorités fiscales d’un autre pays membre qui souhaite imposer l’un de ses ressortissants ? »

Dans un article remarquable publié le 27 février sous le titre « Secret bancaire, bataille perdue », le quotidien Le Temps, de Genève, évoque l’amertume des banquiers suisses devant le gâchis provoqué par UBS et attribue le mot de la fin à l’un d’eux : « Cela fait des années qu’on se défend en disant que le secret n’est pas fait pour protéger les fraudeurs, que les gens viennent chez nous pour la qualité suisse. Désormais, nous sommes mis en demeure de le prouver ».

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