Auguste Senghor

À Saint-Briac-sur-Mer, en Bretagne, le neveu du « poète-président » sénégalais entame son cinquième mandat à la tête d’une commune française de moins de 5 000 habitants.

Publié le 10 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

Saint-Briac-sur-Mer, son port de plaisance, son yacht-club, ses galeries d’art et son château XIXe : lovée au creux d’un golfe bordé par une longue plage de sable, cette coquette station balnéaire de la côte bretonne, à un jet de pierre des non moins chic Dinard et Saint-Lunaire, est très prisée des stars du show-biz et des capitaines d’industrie parisiens.

Depuis 1995, la commune ne se choisit pour maire que des célébrités. D’abord, Brice Lalonde, candidat écologiste à l’élection présidentielle de 1981, ancien ministre et, accessoirement, cousin de John Kerry, le candidat démocrate à la présidentielle américaine de 2004. Et aujourd’hui Auguste Senghor, 69 ans, vétérinaire à la retraite, neveu de feu Léopold Sédar Senghor, l’illustre « poète-président » du Sénégal, et l’un des très rares élus « de la diversité » à diriger une collectivité française de moins de 5 000 habitants.

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Lors des dernières municipales, en mars 2008, Auguste Senghor, qui est né à Dakar en 1939 et vit en France depuis cinquante ans, a réussi le tour de force d’être élu dès le premier tour, alors que trois listes étaient en lice – « du jamais vu à Saint-Briac » – et que sa résidence dans la commune n’était encore que « secondaire ». « Ma femme est briacine, c’est ici que je me suis marié. Nous venons en vacances en Bretagne depuis plus de quarante ans », précise l’édile, pour couper court à la réputation de « parachuté » dont ses adversaires continuent de l’affubler.

La performance est d’autant plus remarquable que Monsieur le Maire s’est lancé dans la bataille électorale sans grande préparation. « Le projet s’est dessiné en juin 2007, d’abord sur le ton de la plaisanterie, confie-t-il. J’avais alors l’intention de couler une retraite paisible à Saint-Briac, mais des amis qui voulaient constituer une liste d’opposition m’ont sollicité. Et ma femme, à qui j’avais pourtant promis d’arrêter la politique, m’a autorisé à y aller, parce qu’elle était certaine qu’on allait se planter ! »

Sa longue expérience électorale a fait le reste. « Nul doute que dans une ville importante il aurait gagné aussi, estime Valérie Declairieux, dans l’opposition à l’époque de Lalonde, aujourd’hui conseillère municipale déléguée aux affaires sociales. Sa stratégie était habile. Plutôt que de taper sur les sortants, il a préféré mettre en avant les compétences, la jeunesse et la mixité de sa liste. »

À l’époque, Auguste Senghor compte déjà six campagnes et autant de mandats à son actif. Au May-sur-Èvre, petite commune du Maine-et-Loire, dans l’agglomération de Cholet, où il s’est installé en 1966, il a exercé les fonctions de maire pendant vingt-quatre ans, après une première expérience de conseiller municipal (1971-1977).

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« J’ai fait deux fois deux mandats », insiste-t-il, preuve qu’il n’a jamais totalement digéré sa défaite aux municipales de 1989 – la seule de sa carrière. « J’ai été battu de huit voix, parce que je ne me suis pas assez vendu. Nous étions tellement sûrs de passer… », rumine-t-il, non sans un soupçon d’amertume. Mais la défaite lui a manifestement appris l’humilité.

De son récent succès breton, Auguste Senghor ne tire en effet aucune vanité. Pour un élu, il tient même un discours surprenant. À l’en croire, il n’aspire nullement à devenir sénateur ou député. Il gère, ne fait pas de politique et fuit les ors de la République. S’il s’est toujours présenté « sans étiquette », c’est précisément pour éviter « les compromissions » inhérentes à la vie des partis. Bref, son engagement ne serait que le fruit de « son tempérament ».

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« J’ai été conseiller paroissial et parent d’élève. Mon implication dans la vie publique s’inscrit dans cette logique », explique-t-il. Au ministère de l’Intérieur, Auguste Senghor est pourtant classé divers droite. « C’est parce que, dans le Maine-et-Loire, tout le monde est de droite ! » ironise-t-il, tout en concédant avoir été proche d’Hervé de Charette, l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Alain Juppé.

Le seul autre mandat qu’Auguste Senghor ait accepté de briguer dans sa carrière est un siège au conseil de l’ordre des vétérinaires de la région Pays de la Loire. Il y est entré pour la première fois en 1990, en a pris la présidence au bout de quelques mois et ne l’a plus quittée depuis. Même après son départ à la retraite, en 2006.

C’est que l’ex-« véto » reste très attaché à son ancienne profession. « J’ai toujours été passionné par les animaux. Petit déjà, à Dakar, j’avais des pigeons. J’allais aussi très souvent en vacances sur la Petite Côte, chez un oncle qui élevait des porcs. En France, je suis tombé amoureux de la vache de la région Maine-Anjou, la fameuse “rouge des prés”, auprès de laquelle je suis resté… » L’état d’esprit des ruraux lui plaît. « En pays sérère comme à Angers, les paysans sont des gens sains. Ils vous jugent sur vos compétences, pas sur la couleur de votre peau. Faire vêler une vache, ça ne s’invente pas ! »

S’il n’avait pas guéri les bêtes, Auguste Senghor aurait sans doute soigné les humains. « J’ai fait toute ma scolarité à Dakar, chez les pères maristes, avant de rejoindre le lycée Van-Vollenhoven, où j’ai fait “science ex” [la filière, aujourd’hui disparue, sciences expérimentales, NDLR]. Si j’y étais resté, je me serais inscrit à la faculté de médecine, car la filière vétérinaire n’existait pas. Mais à l’époque, l’université de Dakar était souvent en grève. Comme je voulais bosser, je suis parti pour la France et j’ai choisi véto. »

Le jeune homme atterrit à Paris le 28 septembre 1958, le jour du référendum sur la création de la Ve République. Il intègre une classe préparatoire au lycée Marcelin-Berthelot, à Saint-Maur-des-Fossés, où « tonton Léopold enseigna le français », puis l’École vétérinaire de Maisons-Alfort, la plus cotée de France.

Diplômé en 1964, il ouvre son cabinet deux ans plus tard au May-sur-Èvre, après avoir pris la décision de rester en France. « J’ai rapidement abandonné l’idée de retourner au Sénégal. Les conditions dans lesquelles j’aurais dû y travailler ne me satisfaisaient pas. Je serais resté enfermé dans un bureau alors que je voulais faire du terrain », raconte-t-il. Basile et Adrien, ses deux frères, sont en revanche restés au pays.

« Peu à peu, les attaches se rompent. Mes copains d’école sont morts, les rues changent de nom. Le pays s’appauvrit et n’a plus grand-chose à voir avec celui où j’ai grandi. » Curieusement, Auguste Senghor n’a jamais voulu devenir sénégalais. « J’ai quitté Dakar avant l’indépendance. À l’époque, j’étais donc français. Ensuite, je n’ai jamais fait les démarches pour obtenir la double nationalité, qui, à mes yeux, n’est qu’une stratégie pour profiter des avantages des deux systèmes. » À l’heure où la « diversité » fait figure de nouvelle profession de foi politique, le discours peut choquer. Mais, après tout, quoi de plus normal dans la bouche d’un homme qui se définit lui-même comme « un vieux colonial » !

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