Ahmed Oul Daddah : « Dans les conditions actuelles, une élection serait une mauvaise idée »

Eternel opposant aux régimes militaires, le leader du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) explique pourquoi il n’a pas condamné le putsch du 6 août 2008. Et fait part de son inquiétude face à la mainmise du général Ould Abdelaziz sur le pays.

Publié le 10 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Le 6 août 2008, le général Ould Abdelaziz a pris le pouvoir pour « sauver la démocratie ». A-t-il rempli sa mission ?

Ahmed Ould Daddah : À la veille du coup d’État, il y avait un blocage institutionnel. Tout le monde a cru que Mohamed Ould Abdelaziz redresserait la situation. Mais, pour l’instant, rien n’a changé. Et tout porte à croire qu’il sera candidat à la présidentielle. S’il s’avère qu’il est venu pour organiser une élection « sur mesure », nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Il n’y aura pas eu de redressement. Pis, nous aurons replongé dans la situation qui a conduit aux différents coups d’État depuis 2003 : instabilité, implication de l’armée dans la vie politique, hold-up sur les voix des citoyens.

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À ceci près que le Parlement n’a pas été dissous et continue à légiférer.

On ne peut pas dire que notre Parlement fonctionne normalement. Depuis les législatives de 2006, il est constitué en majorité de députés « indépendants » capables de soutenir des mesures antidémocratiques, ou de voter comme un seul homme des textes qu’ils critiquaient la veille.

Vous dites défendre la démocratie. Pourquoi n’avoir pas condamné le coup d’État ?

Tout le monde le sait, les militaires ont imposé Sidi Ould Cheikh Abdallahi à la présidentielle de 2007. Les pressions, la corruption et la fraude l’ont aidé à remporter l’élection. Au départ, ce président n’était pas légitime. Il aurait pu le devenir pendant son mandat, mais cela n’a pas été le cas. Un mois et demi avant le coup d’État, j’avais déclaré au congrès du RFD qu’il n’y avait ni gouvernement ni président. Je voyais mal mon parti se dédire en soutenant un chef d’État dont il demandait la démission. Nous n’étions pas pour le putsch, mais nous n’allons pas verser des larmes de crocodile.

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Si la présidentielle n’a pas été transparente, pourquoi n’avoir pas dénoncé le résultat ?

Je l’ai fait, mais seul le communiqué où je souhaitais bonne chance au nouveau chef de l’État a été retenu.

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Vous avez ensuite accepté le statut de chef de l’opposition. C’est une manière de reconnaître le scrutin.

C’est la loi : le président du parti d’opposition qui a le plus de députés en est le chef. Je n’ai pas cherché à l’être.

Vous auriez pu refuser.

Bien que les débuts n’étaient pas légitimes, j’avais espéré une démarche positive après coup. Cela n’a pas été le cas. J’aurais pu aussi refuser de participer à l’élection compte tenu de la fraude. Mais on m’a trop reproché d’avoir boycotté la présidentielle de 1997. Sauf cas exceptionnel, je ne suis pas dans cette posture.

Vous avez hésité à entrer au gouvernement formé par la junte, et finalement refusé. Trois mois plus tard, vous avez accepté de prendre part aux journées de concertation [censées définir les grandes orientations politiques, NDLR], puis suspendu votre participation. Quelle est votre position par rapport à la junte ?

Le dialogue. Nous dialoguons pour faire avancer la démocratie. Mais nous nous arrêtons lorsque nous sentons que nous risquons la compromission. On nous a proposé beaucoup de postes au gouvernement. En contrepartie, nous avons posé trente-cinq conditions, dont la non-candidature des militaires. Mais elles n’ont pas été retenues. Alors nous avons renoncé à participer. On essaie de faire bouger les choses. Si elles ne bougent pas, on rend notre tablier.

Être ni dans le camp des putschistes ni dans celui de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, n’est-ce pas aussi le moyen de saisir les opportunités quand elles se présentent ?

Si vous parlez d’opportunités pour le pays, oui. Mais s’il s’agit d’opportunités individuelles, non. L’histoire du RFD montre que nous sommes très attachés à nos principes.

Avez-vous vu Sidi Ould Cheikh Abdallahi depuis le 6 août ?

Non, et je n’ai pas cherché à le rencontrer.

Pourquoi ?

L’occasion ne s’est pas présentée.

Fin janvier, les forces de l’ordre l’ont empêché de rentrer à Nouakchott. Qu’en pensez-vous ?

La façon dont Sidi Ould Cheikh Abdallahi a été traité ces derniers temps est absolument indigne. Il a parlé au nom du pays et l’a représenté pendant quinze mois. Le minimum qu’on lui doit, c’est le respect.

Êtes-vous favorable au gel des relations diplomatiques entre la Mauritanie et Israël, annoncé en janvier ?

La position du RFD a toujours été claire : ces relations n’ont pas d’intérêt pour la Mauritanie et créent plus de problèmes qu’elles n’apportent de solutions. Apparemment, les actes terroristes dans notre pays ne sont pas sans liens avec ces relations. Et si c’est pour faire avancer la paix au Moyen-Orient, l’Égypte, la Jordanie et la Syrie n’y sont pas parvenues. Alors ce n’est pas la Mauritanie qui va y arriver.

Le 5 février, l’Union africaine a souhaité que des sanctions soient prises contre la junte. L’Union européenne pourrait entériner le gel de la coopération avec la Mauritanie. Êtes-vous favorable à ces mesures ?

Je suis contre les sanctions collectives. Les Mauritaniens ont déjà un régime qu’ils n’ont pas choisi. Ils ne doivent pas être punis une seconde fois. Mais les sanctions ciblées peuvent inciter les intéressés à réfléchir.

En février, vous avez proposé l’organisation d’une présidentielle anticipée à laquelle les auteurs du coup d’État ne seraient pas autorisés à se présenter. En contrepartie, vous leur promettez une « sortie honorable ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Il faut considérer Ould Abdelaziz comme un ancien chef d’État et accorder aux membres de la junte des positions appropriées dans l’armée ou l’administration. Et leur garantir qu’ils ne feront l’objet d’aucune poursuite.

Cela suffira-t-il à écarter l’armée du jeu politique ? Depuis le coup d’État de 1978, elle se sent naturellement investie du pouvoir.

Les coups d’État surviennent quand le terrain est favorable. J’ai la naïveté de croire qu’un gouvernement capable d’inspirer confiance, doté d’un programme et de la volonté de mettre en œuvre un processus de transformation sociale n’aura pas de souci à se faire.

Quel calendrier proposez-vous ?

Il devra être défini par consensus. Mais organiser l’élection n’est pas très long. Ce qui compte, c’est qu’un gouvernement d’union nationale l’organise, afin qu’elle soit transparente.

Si une présidentielle est organisée par la junte le 6 juin, comme prévu actuellement, serez-vous candidat ?

Cela m’étonnerait. Tenir une élection dans les conditions actuelles serait une très mauvaise idée. Son résultat serait très difficilement fiable. L’augmentation de la caution, le nombre de signatures, toutes les conditions ont été taillées sur mesure pour Ould Abdelaziz. Et par principe, je n’aime pas ce qui est fait sur mesure.

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