Cinq challengeurs dans l’arène

Une semaine a suffi au Conseil constitutionnel pour rendre publique la liste officielle des candidats à la présidentielle du 9 avril. Au vu de leur parcours, les adversaires d’Abdelaziz Bouteflika ne sont pas forcément les faire-valoir annoncés.

Publié le 10 mars 2009 Lecture : 7 minutes.

Une semaine avant l’ouverture de la campagne présidentielle (19 mars-6 avril), les états-majors des cinq challengeurs du chef de l’État sortant sont en ordre de bataille. Mais la reconduction d’Abdelaziz Bouteflika pour un troisième mandat ne faisant aucun doute au sein de l’opinion, l’enjeu majeur reste le taux de participation. Dans tout le pays jusqu’à la moindre bourgade fleurissent des affiches collées par des agents de l’administration. On a ressorti les oriflammes, et les couleurs nationales drapent les quartiers et cités populaires. Après une longue période de mutisme, le président a multiplié discours et déplacements : inauguration du Salon de l’emploi à Alger, Journée du chahid (martyr de la guerre de libération) à Blida, deux conférences nationales, l’une sur le renouveau agricole et rural, à Biskra, l’autre sur la formation professionnelle, à Sidi Bel-Abbès. Avec, à la clé, l’annonce d’une série de mesures chocs : règlement des arriérés de salaires dans les entreprises publiques défaillantes, revalorisation du salaire national minimum garanti (SNMG), création d’un fonds national d’investissement doté de 1,7 milliard d’euros dédié à la PME-PMI (lire p. 67), annulation de la dette des agriculteurs (plus de 410 millions d’euros pris en charge par le Trésor public). Campagne électorale avant l’heure ? « Pas du tout, réplique un proche collaborateur du chef de l’État, il ne s’agit pas de promesses mais de décisions d’un président en exercice. Son statut de candidat ne le libère pas de ses charges. » Peu convaincant pour Moussa Touati, président du Front national algérien (FNA), qui craint « de graves dérives et l’utilisation des moyens de l’État au profit d’un seul candidat ». Un sujet qui ne devrait pas tarder à faire débat.

Une phrase prononcée par Bouteflika à Biskra a suscité beaucoup de remous. C’était le 28 février. Évoquant le spectre de l’abstention, le président a usé d’une formule dialectale populaire newakkal alikoum rabbi (« je m’en remets à vous devant Dieu »), transformant le devoir civique en obligation religieuse. Le message a porté, puisque ce passage du discours a relégué au second plan l’annulation de la dette des agriculteurs et alimenté toutes les conversations, deux jours durant. En utilisant cette formule, Boutef vise un double objectif : contrecarrer les appels au boycott lancés par certains partis de l’opposition et riposter à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui a émis une fatwa décrétant le vote comme hérétique, donc passible de la peine de mort. Face aux menaces de la nébuleuse islamiste, les forces de sécurité ont renforcé leur dispositif pour quadriller les zones les plus sensibles : la Kabylie, fief traditionnel d’AQMI, les maquis de Tébessa à la frontière algéro-tunisienne et les monts du Zaccar (Centre), où un groupe d’une trentaine de maquisards multiplie les attentats contre les personnes et les infrastructures.

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Les grands palaces d’Alger vivent aussi à l’heure de la présidentielle. L’Union africaine, sollicitée pour dépêcher une mission de surveillance des élections, a envoyé une équipe d’éclaireurs. L’ONU et l’Organisation de la conférence islamique (OCI) s’apprêtent à en faire de même. On évoque également une mission du Parlement européen, et certaines ONG internationales spécialisées dans l’observation des élections ont émis le souhait de superviser le scrutin du 9 avril.

En attendant la campagne électorale et les débats (constructifs) d’idées dont rêvent les Algériens, l’attention se focalise sur les protagonistes de la course à la présidence. La liste des candidats a été dévoilée le 2 mars par Boualem Bessaieh, président du Conseil constitutionnel. « Après délibérations, la liste des candidats à l’élection présidentielle est arrêtée, suivant l’ordre alphabétique arabe, comme suit : Bouteflika Abdelaziz, Touati Moussa, Hanoune Louisa, Ali Rebaïne Fawzi, Mohand Oussaïd Belaïd (alias Mohamed Saïd, NDLR), Younsi Mohamed Djahid.

Premier constat : Abdelaziz Bouteflika est le seul candidat à se présenter en tant qu’indépendant. Ses cinq challengeurs ont tous été investis par leur parti. Qui sont-ils ? Que pèsent-ils ? Sont-ils les lièvres du président, comme le prétendent les partisans du boycott ?

Une femme d’état et d’exception

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Louisa Hanoune, 55 ans, incarne l’exception algérienne. Première femme leader d’une formation politique dans le monde arabe, qui plus est le premier parti d’opposition (26 députés sur 389), la secrétaire générale du Parti des travailleurs brigue la magistrature suprême pour la seconde fois (elle avait recueilli 1 % des voix en 2004). Charismatique et de plus en plus populaire, la benjamine de l’élection a réussi à imposer l’image d’une femme d’État au sein d’une classe politique marquée par un net vieillissement. Si le discours est toujours ancré à gauche, les références à la révolution permanente et internationaliste se font de plus en plus rares. L’idéologie trotskiste a laissé place à un nationalisme souverainiste sourcilleux. Elle plaide la renationalisation des entreprises publiques privatisées, la récupération de toutes les richesses nationales, ainsi qu’une meilleure répartition des revenus au profit des « masses laborieuses ». Au plan international, Louisa Hanoune plaide, sans surprise, pour la poursuite de la « lutte anti-impérialiste », rejette toute présence des « multinationales, y compris dans le secteur des hydrocarbures », préconise une coopération Sud-Sud, notamment avec les régimes « révolutionnaires » (Cuba, Venezuela ou Bolivie), et milite pour la création d’un Maghreb des peuples.

Le passé politique de Louisa Hanoune (son militantisme lui a valu plusieurs séjours en prison dans les années 1980), son hostilité manifeste à l’égard du système en place et sa réputation d’intégrité ne cadrent guère avec l’étiquette de lièvre de Bouteflika que veulent lui accoler les partisans du boycott, qu’elle traite, en retour, de démissionnaires de la démocratie.

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Autre candidat qui a eu maille à partir avec le système, Ali Faouzi Rebaïne, membre fondateur de la Ligue algérienne des droits de l’homme en 1985 et leader de Ahd 54, une petite formation nationaliste. Arrêté en septembre 1983 pour atteinte à la sûreté de l’État, il a passé plus d’une année en prison. Mais, contrairement à Louisa Hanoune, Rebaïne ne se réclame pas d’une opposition de gauche, mais d’une appartenance « contrariée » à la famille révolutionnaire (tous les partis et associations se réclamant de la guerre de libération). Fils de chahid, il est entré en dissidence contre le FLN pendant le régime de parti unique, encadrant les jeunes nationalistes pour les inciter à entrer en rébellion contre le système. Cela lui a valu plusieurs arrestations et quelques séances de tortures. À la faveur de l’introduction du multipartisme, en 1989, il crée son parti en utilisant le réseau des fils de chahid, mais ne réussit pas à lui donner une envergure nationale. Avec quelques dizaines d’élus locaux et l’apport de deux députés à la Chambre basse du Parlement, il est parvenu, pour la seconde fois consécutive, à réunir le nombre de parrainages nécessaires pour être candidat à la présidentielle. Mais son passé de militant démocrate ne devrait pas suffire à lui donner un poids suffisant pour peser sur la compétition. Ce n’est pas le cas de Moussa Touati.

Recalé en 2004 par le Conseil constitutionnel, le président du FNA savoure sa revanche. « Si le corps électoral participe à 60 %, je suis sûr d’imposer au candidat favori [Bouteflika, NDLR] un second tour », affirme-il, confiant. Moussa Touati est une énigme. Membre à part entière de la famille révolutionnaire, entré en dissidence au milieu des années 1990, il est sans doute le seul homme politique à pouvoir se targuer « d’avoir détourné les voix promises au puissant FLN ». Nationaliste pur et dur, Touati a pour principale référence idéologique Larbi Ben M’Hidi, héros de la guerre d’indépendance. Et résume sa stratégie électorale en le paraphrasant : « Je la confie au peuple, il la prendra en charge. » Moussa Touati est sûr de son coup : « Mon électorat est constitué des laissés-pour-compte et comme ils sont les plus nombreux, ma victoire est inéluctable. À condition qu’ils y croient en allant voter. »

Tous nationalistes

La présence de Mohand Oussaïd Belaïd, plus connu sous le nom de Mohamed Saïd, est assez surprenante. En 2004, il était directeur de campagne d’un candidat recalé : Ahmed Taleb Ibrahimi, personnalité historique du système, ancien ministre et ex-conseiller de Houari Boumédiène. Comment expliquer que Taleb n’ait pas été en mesure de réunir 75 000 parrainages en 2004 et que son directeur de campagne y soit parvenu cinq ans plus tard ? Les voies du système sont impénétrables. Âgé de 62 ans, Mohamed Saïd, qui a créé récemment le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), est diplômé en droit public international et en sciences politiques. Il a fait l’essentiel de sa carrière dans la diplomatie, quand son mentor, Taleb Ibrahimi, était ministre des Affaires étrangères. Son discours est un cocktail de nationalisme et d’islamisme, avec un zeste de réformisme moralisateur.

La première formation islamiste du pays, le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, d’obédience Frères musulmans), ayant apporté son soutien au candidat Abdelaziz Bouteflika, le courant islamiste sera représenté par Djahid Younsi, chef d’El-Islah (2 députés). Successeur d’Abdallah Djaballah, une grande figure islamiste dont il n’a ni le charisme ni l’envergure, Djahid Younsi fait figure du « Petit Poucet » de la compétition.

Avec ses soutiens de poids (les partis les plus influents, les mastodontes de la société civile, les syndicats et le patronat), Abdelaziz Bouteflika fait donc face à cinq challengeurs qui se réclament tous – Louisa Hanoune à un degré moindre – de la Déclaration du 1er novembre, acte fondateur de la guerre de libération, référent d’un nationalisme ombrageux et d’un islamisme bon teint. Même si les observateurs et l’opinion sont convaincus que l’élection est jouée d’avance (Bouguerra Soltani, président du MSP, prédit une victoire de Bouteflika avec plus de 85 % des voix), les cinq outsiders croient ferme en leurs chances. En attendant le 19 mars, date de l’ouverture de la campagne électorale, ils ont d’ores et déjà constitué leur staff, arrêté leur programme de meetings et bouclé leur budget, en sus des 15 millions de dinars (150 000 euros) de financement public accordés aux candidats retenus par le Conseil constitutionnel. 

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