John Numbi, le bras armé de Kabila
L’inspecteur général de la police a été l’un des artisans de la récente opération militaire menée dans le Kivu par les armées rwandaise et congolaise. Enquête sur un homme de l’ombre, dont l’influence s’étend jusqu’à Kigali.
C’est devenu presque une habitude. Chaque fois que l’inspecteur général de la police congolaise, le général John Numbi, accomplit une mission en rapport avec la crise qui mine les provinces de l’est de la RD Congo, il déchaîne les passions. Ce fut le cas en janvier 2007 lorsque, sous les auspices du Rwanda, il rencontrait secrètement Laurent Nkunda à Kigali. L’entrevue avait abouti au fameux processus de « mixage », dont l’objectif était d’intégrer les combattants du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP) à l’armée régulière. Très décriée, l’entreprise fit long feu. Deuxième tempête, celle provoquée par l’opération Umoja Wetu (« Notre unité », en swahili). Négociée secrètement par John Numbi, elle s’est traduite par des actions conjointes des armées congolaise et rwandaise au Nord-Kivu, officiellement pour traquer les membres des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda). Mais les dommages collatéraux de cette opération dont il a assuré la coordination sont importants, notamment au sein de la majorité présidentielle. Bien qu’il ait agi au nom du chef de l’État, l’inspecteur général de la police est la cible de vives critiques émanant de la classe politique. À ses détracteurs, le général répond, lapidaire : « Je ne me préoccupe pas des rumeurs. Il y a des choses qui relèvent du secret défense. Quand il s’agit d’un plan pour sauver le pays, on ne peut y associer tout le monde. »
Numbi, « c’est le militaire le plus puissant du pays après le chef de l’État, tout comme l’est Katumba Mwanke, l’éminence grise du président, sur le plan politique. Il traite directement avec Kabila », explique l’un de ses compagnons d’armes. Fidèle parmi les fidèles, il appartient au premier cercle des collaborateurs du numéro un congolais, ce groupe que l’on qualifie à Kinshasa de « gouvernement parallèle ». Né en 1962, il est originaire du Haut-Lomami (Nord-Katanga). En 1983, il décroche un diplôme en électronique à l’Institut supérieur pédagogique technique de Likasi. Selon lui, sa première rencontre avec les Kabila, père et fils, remonte à 1989, à Pweto. À cette époque, le Katanga s’appelle encore Shaba. Laurent-Désiré Kabila, rebelle errant depuis les années 1960, n’imagine pas un seul instant qu’il prendra un jour le pouvoir. Mais ce n’est qu’à l’occasion d’une nouvelle rencontre, en 1992, que John Numbi sympathisera avec le jeune Joseph Kabila.
À Kinshasa, le président Mobutu Sese Seko a décrété la démocratisation de son régime depuis avril 1990. La scène politique est en ébullition. Au Shaba, toutes les dérives sont permises : les « autochtones », sous la houlette principalement de l’Union des fédéralistes et des républicains indépendants (Uferi), le parti de Nguz a Karl-i-Bond, se livrent à une épuration ethnique. Principales victimes, les Kasaïens, priés de rentrer « chez eux ». Ceux qui ont vécu ces événements se souviennent de John Numbi, l’un des « activistes les plus fous » de la jeunesse de l’Uferi. Il aurait exécuté de « sales besognes ». Ce que l’intéressé réfute : « J’ai toujours dit que si une seule famille kasaïenne a été endeuillée à cause de moi, qu’elle se fasse connaître. Jusqu’à ce jour, je n’ai vu personne. » En 1996, soupçonné d’entretenir des liens avec les adversaires du régime zaïrois, il est arrêté à Lubumbashi et emmené à Kinshasa. Mais il réussit à échapper à ses geôliers et à se réfugier dans l’enclave de Cabinda, où sont établis des gendarmes katangais – issus de l’armée de Moïse Tshombe constituée lors de la sécession de 1960 – avec lesquels il est en contact. C’est avec ce groupe que Numbi entrera à Kinshasa en mai 1997 par Kitona (ouest), après la chute du régime zaïrois. Laurent-Désiré Kabila s’installe au pouvoir grâce à ses parrains rwandais et ougandais.
Sous Laurent-Désiré Kabila – comme c’est le cas avec son successeur –, John Numbi se montre opportuniste. Une de ses vieilles connaissances résume : « Audacieux, il a toujours agi sans réserve. Il sait s’attirer les bonnes grâces du chef. C’est Kabila père qui a fait de lui un militaire. » Petit à petit, il se fraie un chemin : chargé de la communication dans une compagnie, puis dans une brigade, Numbi se retrouvera directeur des transmissions de l’armée du nouveau pouvoir et même commandant de la 50e brigade chargée de la sécurité de la ville de Kinshasa. Ses relations avec James Kabarebe, officier rwandais qui était alors le patron de l’armée congolaise, remontent à cette époque. Mais en 1998, à la suite d’un renversement d’alliances, Rwandais et Ougandais attaquent le Congo. Nommé commandant opérationnel à Kindu, dans le Maniema, il ne peut empêcher la prise de la ville par l’ennemi. En décembre 2000, alors qu’il doit assurer avec Joseph Kabila la défense de la localité de Pweto, au Katanga, celle-ci tombe entre les mains des Rwandais. Furieux, Laurent-Désiré Kabila le décharge de ses fonctions. Quelques semaines plus tard, le 16 janvier 2001, alors qu’il est au Zimbabwe pour suivre une formation militaire, Numbi apprend que Laurent-Désiré Kabila a été assassiné.
Le temps d’apprendre
De retour à Kinshasa, il est nommé, en mars 2001, chef d’état-major de l’armée de l’air par le nouveau président, Joseph Kabila. Mais les officiers de carrière ne le considèrent pas comme un « vrai » militaire. L’un d’eux explique, sarcastique : « Les militaires se reconnaissent par écoles et par promotions. Nous ne connaissons pas les siennes ». Mais Numbi ne se contente pas d’être promu : il prend aussi le temps d’apprendre. Et il apprend vite, à travers les différents séminaires qu’il organise dans le cadre de ses fonctions. Parallèlement, celui qui est devenu un homme du sérail se voit confier les missions les plus délicates, notamment en matière de maintien de l’ordre. « Avec brutalité », affirment ses détracteurs. « Il est autoritaire, mais pas dur », rectifie un de ses collaborateurs. C’est lui, par exemple, qui s’illustre en mars 2007 lors du conflit entre le président Kabila et l’ancien vice-président Jean-Pierre Bemba. Ses hommes ont, en effet, pilonné la résidence de ce dernier au moment où il recevait des diplomates étrangers. Un observateur constate : « Pour Numbi, il n’y a pas d’équivoque : les ennemis de Kabila sont ses ennemis. » En juin 2007, il est nommé inspecteur général de la police congolaise. C’est à lui que revient la tâche de réprimer les manifestations du mouvement religieux Bundu dia Kongo, dans la province du Bas-Congo. Une opération qui fera de nombreuses victimes.
Si certains n’apprécient pas ses méthodes, ils reconnaissent toutefois à John Numbi une indéniable qualité : le sens de l’ordre et de l’organisation. Il a ainsi amélioré les infrastructures des services dont il a eu à s’occuper. Les officiels rwandais, avec lesquels il s’entend bien, le considèrent comme « un homme ouvert au dialogue, qui va droit au but, sait se montrer blagueur et taquin ». Tout en soulignant l’un de ses « défauts » : « Il a tendance à vouloir tout faire lui-même. » Marié, père de six enfants, John Numbi n’a pas beaucoup de loisirs. Mais quand il quitte sa tenue de général trois étoiles, il aime consacrer du temps à sa ferme de Lubumbashi. À moins qu’il n’écoute ses musiques favorites. En particulier, celle de son idole : le maître de la rumba congolaise, Luambo Makiadi.
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