Crimes et châtiments

Le président João Bernardo Vieira a été assassiné le 2 mars, quelques heures après un attentat ayant coûté la vie au chef d’état-major, le général Tagmé Na Waié. Les deux hommes ne s’appréciaient guère, mais la cause de leur mort demeure mystérieuse.

Publié le 9 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

Il est environ 20 heures le 1er mars lorsqu’une forte explosion retentit dans Bissau. La panique gagne immédiatement les habitants, qui se calfeutrent aussitôt chez eux. Très vite, militaires et policiers dressent des barrages sur les principales artères de la ville. Un peu avant 4 heures du matin, deuxième alerte : rafales de mitraillettes et explosions se font de nouveau entendre. Un groupe de soldats a réussi à pénétrer dans la résidence présidentielle. Alors qu’une partie de sa garde est décimée, Vieira, blessé, tente de fuir. Capturé par les assaillants, il va être fusillé, fauché par plusieurs rafales d’AK-47. Ses bourreaux se seraient même acharnés sur lui, poursuivant le supplice jusqu’après sa mort.

« Mon sort et celui de Nino sont liés. Si je meurs, il ne tardera pas à me suivre. » Ces propos attribués au chef d’état-major des forces armées, le général Batista Tagmé Na Waié, sonnent aujourd’hui comme une prophétie. Nino Vieira, s’il les a un jour entendus, ne s’en est pas inquiété. Dans la soirée du 1er mars, au cours d’une conversation téléphonique avec un de ses proches, il a dit n’avoir rien à craindre. « Les routes sont barrées, la situation est sous contrôle », a-t-il assuré alors qu’il savait évidemment que Tagmé Na Waié venait d’être tué dans un attentat à la bombe. La suite est connue. Quelques heures après le drame, le porte-parole de la commission militaire mise en place à la suite de l’assassinat du chef d’état-major attribuera le meurtre de Nino Vieira à des militaires proches de la victime. Et rectifiera ensuite le tir en déclarant que les auteurs du crime sont en réalité des « inconnus ».

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Deux tentatives avortées

En août, puis en novembre dernier, Nino Vieira avait déjà été victime de deux tentatives d’assassinat. La dernière avait été menée de nuit par des éléments lourdement armés (voir J.A. n° 2499). Selon plusieurs sources, c’est après cette attaque qu’il avait renforcé sa sécurité, rappelant quelque 400 miliciens bissau-guinéens formés en Guinée-Conakry au moment de la guerre civile qui déchira le pays de 1998 à 1999. Ces mêmes hommes avaient déjà assuré sa protection avant son exil. Reconnaissables à leur uniforme légèrement différent de celui de l’armée régulière, ces éléments étaient postés aux abords du palais et de sa résidence. « Ils patrouillaient dans des véhicules ordinaires », précisent les mêmes sources, soulignant que leur retour a été particulièrement mal accueilli par Tagmé Na Waié, qui jugeait leur présence « irrégulière ». Le 4 janvier 2009, après l’agression armée dont il a été victime alors qu’il était à bord de sa voiture, le chef d’état-major avait d’ailleurs ouvertement accusé ces miliciens d’avoir tenté de l’éliminer.

Les destins de Nino Vieira et de Tagmé Na Waié semblaient indissociables. Les deux hommes se connaissaient bien, ils ont même été « amis » durant la guerre d’indépendance contre les Portugais. Les premières tensions entre eux surviennent en 1985, année de l’arrestation de Tagmé Na Waié. Soupçonné de fomenter un complot contre le régime avec le vice-président Paulo Correia (exécuté en juillet 1986), il est emprisonné. Comme Correia, il appartient à l’ethnie balante (25 % de la population), majoritaire après les Peuls (26 %) et dominante au sein de l’armée, alors que Nino Vieira est issu de l’ethnie papele (9 %). Les mois suivant son arrestation, de nombreux officiers balantes seront mis aux arrêts, et plusieurs trouveront la mort dans des circonstances troubles. À sa libération, Tagmé Na Waié retourne à la vie civile et se fait oublier.

Retournements d’alliances

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En 1998, il refait surface aux côtés d’Ansumane Mané, auteur du putsch contre Vieira, qui donne le coup d’envoi de la guerre civile. En 2000, on le retrouve aux côtés du président Kumba Yala, nouvellement élu, et balante comme lui. En 2004, alors que Nino Vieira vit toujours en exil au Portugal, Tagmé Na Waié annonce qu’il se rallie à lui, puis organise son retour au pays. L’officier justifie ce revirement par l’incapacité des autres dirigeants, notamment Kumba Yala, à assurer le développement du pays. Après sa victoire à la présidentielle d’août 2005, Nino Vieira décide de le garder à la tête des armées, pensant ainsi garantir sa sécurité et consolider son pouvoir. Mais la Grande Muette a du vague à l’âme. Militaires et fonctionnaires souffrent autant de la misère que le citoyen lambda. Malgré ses ressources naturelles, la Guinée-Bissau est le troisième pays le plus pauvre au monde. Et dans l’armée, les frustrations causées par la mise à l’écart de nombreux cadres formés à l’étranger au bénéfice de nouvelles recrues – le chef d’état-major ne sait d’ailleurs ni lire ni écrire – font sans cesse craindre une mutinerie. Et pour couronner le tout, les narcotrafiquants, profitant de la fragilité de l’État, commencent à étendre leurs tentacules dans l’administration comme dans les casernes. Plusieurs rapports de l’ONU confirmeront plus tard l’implication d’officiers et de hauts fonctionnaires bissau-guinéens dans le trafic de cocaïne dont Bissau est devenu la plaque tournante. Réunis en octobre 2008, les membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) alertent l’opinion internationale sur les risques que font courir les narcotrafiquants à la sous-région. C’est pourquoi la thèse de l’implication de la mafia dans les meurtres de Tagmé Na Waié puis de Nino Vieira n’est pas à exclure.

Quelques heures avant l’attentat qui a coûté la vie à Tagmé Na Waié, plusieurs officiers des armées de terre, de mer et de l’air se seraient réunis pour évoquer le sort de leur chef d’état-major, qui se savait en disgrâce. Ce sont les mêmes officiers qui auraient dit à Nino Vieira dans la soirée du 1er mars que la situation était sous contrôle et que sa sécurité était assurée. Certains s’interrogent également sur le rôle qu’aurait pu jouer le contre-amiral Bubo Na Tchuto. Ancien chef d’état-major de la marine, il avait été arrêté et placé en résidence surveillée peu après le putsch manqué d’août 2008, avant de fuir en Gambie, où il se trouverait toujours. Suspecté d’être associé aux barons de la drogue, il est également soupçonné d’avoir commandité l’attaque contre Tagmé Na Waié, qui était opposé à son retour dans le pays alors que Nino Vieira l’attendait pour régler leurs différends.

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Liaisons dangereuses

À moins que Vieira et Tagmé Na Waié aient été tous les deux victimes d’un règlement de comptes entre clans rivaux. S’il est vrai que depuis deux ans, le défunt président bissau-guinéen ne cessait de réaffirmer son engagement à lutter contre les narcotrafiquants, les rumeurs sur sa possible collusion avec les cartels se multipliaient. D’ailleurs, les libérations successives de ressortissants sud-américains détenus à Bissau et les disparitions d’importantes quantités de cocaïne avaient contribué à renforcer ces doutes. Sans qu’ils soient pour autant confirmés. Enfin, si la thèse de la vengeance consécutive à l’attentat contre Tagmé Na Waié semble généralement admise pour expliquer l’exécution de Vieira, il est peu probable que l’ex-chef d’État ait pris le risque de commanditer l’assassinat de son propre chef d’état-major. Seule certitude : quand il déclarait que son sort et celui du président étaient intimement liés, Tagmé Na Waié ne se trompait pas.

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