Cardinal Christian Tumi. Prophète en son pays
Cet homme d’Église au parcours impeccable, bientôt à la retraite, est l’une des personnalités les plus écoutées et respectées au Cameroun. La venue de Benoît XVI sonne comme une consécration pour ce prélat qui a souvent été en désaccord avec le régime.
Son âge avancé et sa retraite imminente n’y changeront rien. Le cardinal Christian Wiyghan Tumi a toujours dénoncé les injustices, les atteintes aux droits de l’homme, et prôné la paix et le dialogue. Il n’y a aucune raison pour qu’il s’arrête. À 78 ans, celui qui fut le premier cardinal camerounais jouit d’une parfaite santé, à l’image de sa mère, âgée de 112 ans, qui « ne porte pas de lunettes, tricote encore et a une meilleure mémoire que la mienne », dit-il en riant aux éclats. Il est d’humeur joyeuse et avoue être gourmand. Son embonpoint l’atteste.
Il peut être grave aussi, notamment quand il évoque la situation politique du pays : « Les gens vivent dans l’attente de ce qui va se passer en 2011. Si j’étais Paul Biya, je dirais ceci : “J’ai révisé la Constitution parce que je suis convaincu que c’est bien pour le pays, mais je ne serai plus candidat en 2011”. S’il disait cela, on aurait enfin la paix dans ce pays », explique-t-il d’une voix calme et posée. Puis d’évoquer, avec tristesse, la répression des émeutes de février 2008, motivées, selon lui, par la vie chère, qui aurait fait officiellement quarante morts. Une centaine, estime l’ecclésiastique.
Toute forme d’atteinte aux libertés lui a toujours été inacceptable. Dans les années 1980 déjà, il s’était élevé contre l’islamisation forcée dans le Nord-Cameroun : « L’autorité administrative avait des directives pour islamiser le Nord. Je ne suis pas contre l’islam, mais les conversions doivent se faire librement. Je suis pour la liberté religieuse », précise-t-il. Une position qui lui valut quelques inimitiés parmi les imams et les lamibé (chefs) de la région. Actuellement, certains d’entre eux ont toujours une dent contre lui, mais beaucoup de fidèles musulmans l’apprécient. « Tumi est un grand monsieur, respectable. Il ne ment pas et cherche toujours à concilier et réconcilier. Je suis musulman, mais je l’admire », déclare Amadou, à Ngaoundéré.
S’il estime que les relations entre chrétiens et musulmans sont bonnes parmi la population, l’archevêque de Douala confie qu’il est difficile d’avoir un langage politique commun avec les représentants de l’islam. « L’Église a un discours sur la gestion de l’autorité des biens publics, mais pas les musulmans, car un imam peut prétendre au pouvoir politique », explique-t-il.
Forcément, ses prises de position dérangent. Pas le commun des Camerounais, qui généralement approuve, et encore moins les petites gens de Douala, qui soulignent les œuvres sociales de l’archidiocèse. « C’est un homme bon. Il connaît nos difficultés et sait les soulager », affirme Joss, un habitant de la capitale économique.
En revanche, le pouvoir aurait tenté, dans le passé notamment, via ministres, gouverneurs, préfets, policiers et espions, de le réduire au silence ou de le discréditer : rappels à l’ordre, tentatives d’intimidation, convocations, menaces, de mort même, fausse interview et autres… Autant de faits qu’il rapporte, preuves à l’appui, dans Les Deux régimes politiques d’Ahmadou Ahidjo, de Paul Biya et Christian Tumi, prêtre (éclairage). Un livre, publié en 2006, qui rassemble une abondante correspondance, dont ses lettres recommandées adressées aux autorités et aux deux chefs successifs de l’État camerounais. Des documents soigneusement conservés.
Intellectuel et leader d’opinion
Quoi qu’il en soit, il a tenu bon. Et, aujourd’hui, il est moins inquiété. On lui fait seulement savoir, directement ou à coups de communiqués de presse, que le « régime n’est pas content ». C’est tout. Privilège de l’âge ? « On le laisse vivre sa retraite en paix. Il était un peu agité durant les années chaudes et l’un des rares à parler. Mais c’est oublié aujourd’hui. D’ailleurs, tout le monde s’exprime maintenant et d’autres sont même plus incisifs que lui », commente un proche du pouvoir.
Entre le régime d’Ahmadou Ahidjo, qu’il a bien connu, et celui de Paul Biya, le cardinal Tumi note peu de différences sur le fond. « Sous Ahidjo, il y avait la censure. Avec Biya, il y a davantage de liberté d’expression et religieuse. Mais c’était plus facile de rencontrer Ahidjo et de lui faire part de ce qui se disait dans le pays et de ce que je pensais. Avec Biya, le tête-à-tête est rare. Si je parle en public, c’est que je n’ai pas d’autres moyens. » En matière de démocratie, « nous avons avancé, mais personne n’est satisfait de la manière dont les élections sont organisées. Si n’importe qui peut se présenter aux élections, est-ce vraiment le cas dans le parti au pouvoir ? » s’interroge-t-il.
Pour mettre un terme à la gestion « catastrophique » de la chose publique, le Cardinal salue l’opération Épervier, lancée par le président pour traquer les coupables. « Cette corruption n’est que la conséquence d’un plus grand mal. Ce mal, je le dis et je le répète, s’appelle l’impunité », soulignait-il, avec force, dans son homélie du 1er janvier dernier.
Qu’est-ce qui pousse cet homme d’Église à se mêler autant de la vie de la cité ? « Je suis né camerounais et je suis devenu prêtre. J’ai mes droits de citoyen. Cela m’autorise à parler de politique, mais je ne fais pas de politique. Je ne suis pas membre d’un parti et je ne le serai jamais », fournit-il en guise de réponse. Il affirme d’ailleurs n’avoir jamais participé à une réunion d’un parti politique depuis qu’il est prêtre. Par principe. Lors des municipales de 1996, on l’a suspecté d’avoir fait campagne pour le Social Democratic Front, de l’opposant John Fru Ndi. Il s’en défend, disant qu’il avait seulement invité ses fidèles à réfléchir sur la manière d’évaluer un candidat, après avoir lu un communiqué des évêques du Cameroun, dont on lui a attribué la rédaction.
S’exprimer est de toute façon un devoir pour le leader d’opinion qu’il reconnaît être. Chaque jour, à l’évêché, il reçoit en audience une bonne quarantaine de personnes. « Les gens, même ceux du pouvoir, me consultent et me confient beaucoup de choses qu’ils ne peuvent pas dire publiquement, car ils ont peur de parler. Je les comprends. Au Cameroun, la liberté d’expression n’est qu’apparente. Si un frère entreprend quelque chose contre le régime, toute sa famille en souffre », assure-t-il.
L’information lui tient à cœur. Il est directeur de l’hebdomadaire L’Effort camerounais et a créé Radio Veritas, dont le démarrage lui a valu des démêlés avec Jacques Fame Ndongo, alors ministre de la Communication. Il écoute et regarde les chaînes de télévision, notamment étrangères, « pour savoir ce qui se passe en Afrique, car chez nous l’information est filtrée ». Il lit beaucoup, comme en témoigne sa bibliothèque essentiellement composée d’ouvrages politiques et de philosophie. Normal. Outre des études de théologie à Lyon, il a soutenu un doctorat de philosophie à Fribourg (Suisse) en 1973. Sa passion est la philosophie grecque, car « elle part de la nature, or l’Africain est proche de la nature ». En musique, il a une préférence pour le classique, les chants bétis, bassas et doualas, « plus doux que la musique guerrière de l’Ouest ».
Certains attribuent son « côté rebelle » à ses origines anglophones. Il est né en 1930 à Kikaikelaki, un village situé près de Kumbo, dans la province du Nord-Ouest, connue pour son opposition au régime. « Cela n’a rien à voir », tranche-t-il avec un grand sourire. Il reconnaît néanmoins qu’il y a un problème anglophone, lié à la question du fédéralisme – qui a sa faveur – tandis que la décentralisation n’est pas encore effective. Fondamentalement, l’homme cultive le goût des autres. Son parcours témoigne d’ailleurs de son ouverture. Anglophone – même si sa langue maternelle est le nso –, il parle également le haoussa, évidemment le latin, et a tenu à apprendre le français pour « être partout chez [lui] au Cameroun ». Au lieu d’aller étudier à Rome, comme le lui proposait à l’époque l’évêque de Buéa, c’est à l’Alliance française de Paris, où il débarque en août 1969, qu’il apprendra la langue de Molière.
Un bon gestionnaire
Mais cet itinéraire singulier ne signifie pas qu’il renie ses origines. Il évoque même avec émotion les valeurs du village. « L’enfant appartenait à tout le monde, sans distinction, et l’on construisait les maisons communautairement. Cette solidarité a disparu aujourd’hui », regrette-t-il, sans pour autant verser dans le repli identitaire. Bien au contraire. Il fonde ses espoirs dans la jeunesse pour dépasser les clivages : « Les jeunes se rencontrent au collège et à l’université. Avant qu’ils ne réalisent leurs différences ethniques, ils sont déjà mari et femme. »
Sa conversion au catholicisme, il la doit à son père, chassé de son village, Roo Kwah, par les habitants animistes. Du coup, « papa Tumi » s’installe à Kikaikelaki, où est né Wiyghan, que l’on peut traduire par « celui qui est de passage sur terre ». Une manière de conjurer le mauvais sort, deux de ses aînés étant morts avant sa naissance.
Quant à sa vocation, elle est venue d’un déclic. Ses parents partis au Nigeria, il est scolarisé au College Mary Immaculate de Kafanchan, où il se préparait à devenir instituteur. Il reçoit alors la lettre d’un ami d’enfance. « C’est la première et la dernière qu’il m’ait jamais adressée. Il me disait qu’il se préparait à devenir prêtre. J’ai commencé alors à prier avec l’espoir que le Seigneur m’appelle aussi. » Et le Seigneur l’a entendu. À Ibadan, il intègre le petit séminaire de Sainte-Thérèse d’Oke-Are avant de rejoindre les grands séminaires de Bodija puis d’Enugu. De retour au Cameroun, il est ordonné prêtre en 1966, à Soppo, et vivra successivement à Buéa, Bambui, Yagoua, Garoua, avant d’arriver à Douala en 1991 comme archevêque. Sa réputation de contestataire ne doit pas faire oublier que ce cardinal est d’abord un homme d’Église au parcours impeccable.
Proche de la retraite – prévue à 75 ans par l’Église – mais dont il a dû différer la date à la demande du pape Benoît XVI, quel bilan dresser de son action à l’archidiocèse de Douala ? Le nombre de fidèles a progressé, comme en témoigne la création de diocèses. En outre, Mgr Tumi s’est attaché à gérer les biens de l’Église avec honnêteté et dans la transparence, en y associant le plus possible les paroissiens. Il a également mené à son terme des investissements dans l’immobilier, pour rendre l’institution plus autonome.
En matière d’inculturation, prônée, en 1994, par le pape Jean-Paul II dans son exhortation apostolique post-synodale, Ecclesia in Africa, qui visait à mieux enraciner l’évangile en Afrique, des efforts ont été faits avec la traduction des textes liturgiques en langues locales et l’introduction dans le rituel de chants inspirés des musiques traditionnelles. Pas question pour autant de déroger aux principes de l’Église, notamment en matière de polygamie. S’agissant des Églises de réveil, il dit être à l’écoute, même s’il ne conseillerait à personne d’en devenir membre. « Nos fidèles ont à apprendre de leur dynamisme. Ces Églises proposent des solutions que nous n’offrons pas toujours. »
Que sera sa vie lorsque son successeur désigné – Mgr Samuel Kleda, l’un de ses anciens élèves séminaristes, âgé de 51 ans et originaire de l’Extrême-Nord – prendra la suite ? Le prélat continuera à travailler comme pasteur, si sa « nouvelle hiérarchie » lui confie encore des responsabilités et si sa santé le lui permet. Il continuera aussi à écrire. « Je suis sur la rédaction d’un deuxième livre. Le titre n’est pas encore définitivement fixé, mais ce pourrait être “Cameroun à renouveler” ». Après celui de la parole, voici venu pour lui le temps de l’apostolat de la plume.
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