Ce que l’Afrique attend de Benoît XVI

Quatre ans après son élection, le pape a choisi le Cameroun et l’Angola pour son premier voyage sur le continent, du 17 au 23 mars. Mais il aura bien du mal à faire oublier son prédécesseur, Jean-Paul II, auprès des fidèles. Qui, non sans raison, s’estiment laissés-pour-compte par le Vatican.

Publié le 9 mars 2009 Lecture : 8 minutes.

« Opération Guadeloupe. » C’est l’esprit de révolte actuellement à l’œuvre aux Antilles que comptait reproduire, fin février, le bouillant député camerounais du Social Democratic Front (SDF, opposition), Jean Michel Nintcheu, lors des manifestations à la mémoire des quarante morts des « émeutes de la faim », tombés il y a un peu plus d’un an. Finalement, cette commémoration a été étouffée dans l’œuf à la suite d’une interdiction administrative et de diverses pressions politiques : rien ne devait venir troubler l’ordre public avant le premier voyage de Benoît XVI en Afrique depuis le début de son pontificat, en 2005. Une tournée qui conduira le Saint-Père au Cameroun, du 17 au 20 mars, puis en Angola, jusqu’au 23 mars. « Nous vivons actuellement une période de trêve sociale, explique l’écrivain-journaliste Michel Roger Emvana. Cette visite, après celles de Jean-Paul II en 1985 et 1995, est cruciale pour le président Paul Biya. Il compte se représenter en 2011. »

Le chef de l’État n’a donc rien laissé au hasard en confiant à son propre directeur de cabinet, Jean Baptiste Beleoken, le soin d’en assurer minutieusement tous les préparatifs. À Yaoundé et à Douala, c’est le branle-bas de combat. On nettoie les artères, on repeint les façades, on bouche les trous, on rénove les bâtiments… Les journalistes ont été priés par l’archevêque de Yaoundé, Mgr Tonye Bakot, de bien tenir leurs plumes ; les prostituées, ramassées par fourgons entiers par la police, sont contraintes de rester à la maison ; les équipes de foot ont quitté le stade Ahidjo – où sera célébrée, le 19 mars, la grande messe – pour l’aire de jeux du camp militaire. Quant à la « papamobile », elle est déjà en lieu sûr, sous très haute surveillance.

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« J’ai écrit à mes trente-sept neveux pour leur demander d’aller au stade et d’investir les rues lors du passage de Sa Sainteté. Nous allons vivre une grande fête populaire », s’enthousiasme Mgr Gérard Njen, chapelain du Saint-Père. Le pape, qui répond à une double invitation du chef de l’État et de la Conférence épiscopale, rencontrera les évêques du pays et livrera l’instrumentum laboris (instrument de travail) du deuxième synode africain, qui se tiendra du 4 au 25 octobre à Rome sur le thème « L’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix ». Accompagné d’une suite papale réduite – une dizaine de prélats dont fera partie le cardinal nigérian Francis Arinze, seul Africain à effectuer le voyage depuis Rome –, Benoît XVI recevra les représentants de la communauté musulmane le 19 mars.

Une rencontre attendue dans un pays où l’islam traditionnel et confrérique régresse, depuis trente ans, au profit d’un islam plus conservateur, sous l’influence du courant wahhabite et de la da’awa, qui menace l’entente entre musulmans et chrétiens. On voit, en effet, de plus en plus, surgir des litiges fonciers, des problèmes familiaux liés aux mariages mixtes, des désaccords sur les pratiques alimentaires… Le pape prônera le bon voisinage et le dialogue interreligieux alors que l’image des récents massacres sanglants entre les deux communautés, au Nigeria voisin, est dans tous les esprits.

Apaiser les tensions avec Yaoundé

Le souverain pontife devrait également insister sur les fondements de la foi et la discipline du culte face au prosélytisme des évangéliques, qui n’hésitent pas à faire appel aux éléments de la culture et des langues locales pour séduire. « Les différentes pratiques de religiosité populaire qui fleurissent dans des communautés qu’il convient de purifier sans cesse, ainsi que les ravages du sida, sont autant de défis auxquels vous êtes invités à apporter des réponses théologiques et pastorales », avait-il déjà demandé à la Conférence épiscopale du Cameroun, en mars 2006, en audience au Vatican.

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Mais la visite papale poursuit également un objectif de réconciliation politique. Bien que fils de catéchiste et, lui-même, ancien séminariste, Paul Biya a souvent entretenu des relations complexes avec l’Église. Les assassinats non élucidés de plusieurs religieux comme celui de Mgr Yves Plumey, archevêque de Ngaoundéré, en 1991, du prêtre jésuite Engelbert Mveng, en 1995, ou plus récemment du père François Xavier Mekong, le 24 décembre 2008, ont été autant d’occasions de tensions entre une hiérarchie catholique, volontiers politisée, voire proche de l’opposition dans les années 1990, et un chef de l’État qui n’hésite pas à afficher une certaine proximité avec un mouvement ésotérique comme celui de la Rose-Croix.

« Mgr Christian Tumi, l’archevêque de Douala (voir pp. 25-27), et d’autres prélats, avant lui, ont dénoncé la politique du président, l’absence de lutte contre la corruption ou, dernièrement, sa volonté de changer la Constitution pour être à nouveau éligible. De son côté, Paul Biya reproche aux prélats leur immixtion dans le jeu partisan », souligne Emvana. Fin 2008, les proches du palais d’Étoudi sont montés au créneau pour critiquer la mauvaise gestion des diocèses sur le thème « avant de nous attaquer, il faut balayer devant sa porte ». Bref, les points de friction sont multiples et la visite pontificale arrive à point nommé pour apaiser les esprits.

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Les deux États négocient discrètement, depuis un an, un concordat qui pourrait être signé lors de la venue du Saint-Père. Il permettrait de réaffirmer la tradition catholique du Cameroun mais aussi de spécifier les droits et les missions de l’Église (culte, éducation, culture, social, santé…) dans le respect des lois nationales. L’enjeu est de taille : avec de très nombreuses congrégations catholiques, l’Université catholique d’Afrique centrale, l’Institut de théologie et de pastorale, l’École théologique Saint-Cyprien et de nombreux noviciats, le Cameroun est un pôle de la formation religieuse africaine. La croissance soutenue des vocations ne s’est jamais démentie.

Normalisation en Angola

Le Boeing 777 d’Alitalia, loué par le Vatican, est attendu en Angola le 20 mars. Benoît XVI sera accueilli par le président Dos Santos, entouré des membres du clergé et du gouvernement. Jean-Paul II était venu en 1992 en temps de guerre. Son successeur vient saluer la paix. Temps fort de la visite : la messe qu’il concélébrera sur l’esplanade Cimangola, à Luanda. Plus d’un million de fidèles sont attendus dans un pays où l’Église a vécu des années de persécution sous le régime marxiste (1975-1990) et une guerre civile, qui ne s’est achevée qu’en 2002. L’époque de l’athéisme militant du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), des assassinats ciblés de religieux et des cours d’endoctrinement obligatoires est révolue. La Constitution reconnaît la liberté de culte, et le dialogue entre l’Église et le pouvoir est renoué. « Le président reçoit régulièrement les représentants des communautés religieuses », explique le révérend Luis Nguimbi, secrétaire général des Églises chrétiennes d’Angola. Tout redevient donc possible. « Il faut former des prêtres, des religieuses et des catéchistes pour répondre à la ferveur de la population… Les églises sont pleines et les baptêmes d’adolescents et de jeunes adultes sont légion », commente la revue catholique Esprit et vie.

Dans ce pays d’avenir de 18 millions d’habitants, lusophone, qui fête le 500e anniversaire de son évangélisation (le premier baptême remonte à 1491, au temps du royaume de Kongo), le message papal tournera autour de la justice, de la paix et d’un meilleur partage des richesses. Si Eduardo dos Santos cherche actuellement à se faire adouber en vue de la prochaine élection présidentielle, dont la date n’est pas encore connue, la curie souhaite, de son côté, l’appui politique et financier d’un État qui regorge de pétrole pour promouvoir un catholicisme en proie à la montée des Églises parallèles. On cherche aussi à impliquer davantage le président dans le processus de paix en République démocratique du Congo. Tel est le message que lui a adressé l’émissaire de la communauté Sant’Egidio, le père Matteo Zuppi, reçu en audience au palais présidentiel, le 21 janvier. Devrait être également abordé le problème de l’Église de l’enclave du Cabinda et son soutien aux velléités indépendantistes.

Quelle politique africaine ?

Pour Benoît XVI, ce voyage sera l’occasion de faire oublier un temps son manque d’intérêt supposé pour le continent – ce voyage intervient seulement quatre ans après son élection – et les critiques sur un pontificat marqué par le retour au dogme, débarrassé des spécificités locales (voir l’article page suivante). L’Église africaine s’estime discriminée alors que le dernier ouvrage de Serge Bilé Et si Dieu n’aimait pas les Noirs ? fait grand bruit. Du temps où il était le cardinal Ratzinger, le pape ne supportait pas de voir Jean-Paul II « faire le pitre » – selon ses propres termes – dans des pays où chants et danses d’inspiration traditionnelle ont été intégrés à la pratique religieuse. Selon des diplomates au Vatican, le souverain pontife est très centré sur l’Europe, qui représente 60 % du collège des cardinaux.

« Jean-Paul II avait un rapport spécial avec les peuples et les États, son successeur se limite à la religion », analyse un prêtre en poste à Rome. Pas étonnant, dès lors, que l’exégète allemand, excellent théologien, appelle à la vigilance et au respect scrupuleux de la doctrine en Afrique. On ne s’attend pas à de grandes avancées en matière d’inculturation. « Les gens ne viennent pas à la messe pour s’amuser », rappelle, comme une mise en garde, le dernier rapport du Congrès sur la promotion de la liturgie en Afrique. Pourtant, les attentes sont manifestes. À commencer par la traduction de la Bible dans les langues locales, déjà engagée, mais encore largement insuffisante.

« Quelle est la réelle politique africaine d’un pape dont ce devrait être l’unique voyage sur le continent ? » s’interroge un prélat de la curie. « Benoît XVI ne se désintéresse pas de l’Afrique et de ses 160 millions de catholiques, en constante augmentation. Mais il est vrai que ses priorités de début de pontificat ont concerné l’unification de l’Église, le retour à des pratiques plus traditionnelles et l’implantation de la religion en Chine », explique Andrea Riccardi, professeur des religions et fondateur de la communauté Sant’Egidio à Rome.

Comme pour se rattraper, depuis un an, la curie multiplie les gestes et les paroles envers l’Afrique : réunions d’évêques pour la préparation du deuxième synode africain ; nominations de deux nonces africains ; signature d’un accord de siège avec le Botswana, qui porte à cinquante le nombre d’États du continent avec lesquels le Vatican entretient des relations (seule la Mauritanie, la Somalie et les Comores ne possèdent pas de nonciature) ; plaidoyer pour la sécurité alimentaire ; appel à la paix… Le directeur du bureau de presse du Vatican, le père Lombardi, a même déclaré début février « 2009, année africaine ». Les diplomates s’attendent prochainement à des promotions à la curie avec la retraite annoncée du cardinal Arinze, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. Parmi les prélats, les plus en vue sont Mgr Robert Sarah (Guinée), Mgr Polycarp Pengo (Tanzanie), Mgr Peter Turkson (Ghana) et Mgr Wilfrid Napier (Afrique du Sud). Il est peu probable que ce soit suffisant pour satisfaire une communauté africaine de croyants qui se sent de plus en plus marginalisée.

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