« Soutenons les victimes, pas le bourreau »

Ancien archevêque du Cap, Prix Nobel de la paix

Publié le 9 mars 2009 Lecture : 3 minutes.

L’émission d’un mandat d’arrêt contre le président soudanais Omar el-Béchir par la Cour pénale internationale (CPI) oblige les dirigeants africains à choisir leur camp. La justice ou l’injustice ? Le bien ou le mal ? La défense des victimes ou celle des bourreaux ? À ces questions évidentes, ils ont jusqu’à présent apporté des réponses indignes.

Parce que les victimes sont africaines, ils devraient être les plus chauds partisans des initiatives prises pour traduire les coupables en justice. Pourtant, plutôt que de prendre la défense de ceux qui ont souffert au Darfour, ils ont fait bloc derrière l’homme qui a transformé la région en cimetière.

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Lorsque, en juillet dernier, le procureur de la CPI a demandé qu’un mandat d’arrêt soit émis contre El-Béchir pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, l’Union africaine a envoyé un communiqué au Conseil de sécurité des Nations unies, lui demandant de suspendre la procédure. Au lieu de condamner le génocide, les dirigeants africains n’ont fait que montrer leur crainte d’être « injustement poursuivis » et soutenir les manœuvres d’El-Béchir pour empêcher la procédure d’aboutir.

Plus récemment encore, Khartoum a été élu à la tête du G-77, un groupe de cent trente pays en développement, influent aux Nations unies – et dont la plupart des États africains sont membres. Cette élection n’a été possible que grâce au soutien actif des pays africains, malgré l’imminence de l’émission d’un mandat d’arrêt contre le président soudanais.

Je regrette que les accusations portées contre El-Béchir servent à accréditer la thèse que la justice internationale, et la CPI en particulier, sont dirigées contre l’Afrique. La justice est rendue dans l’intérêt des victimes, et il se trouve que les victimes de ces crimes sont africaines. Sous-entendre que cette justice résulte d’un complot de l’Occident est avilissant pour les Africains et porte atteinte à la soif d’équité qui se manifeste dans tout le continent.

La CPI compte vingt-deux États africains parmi ses membres fondateurs et trente parmi ceux qui ont approuvé ses statuts (sur cent huit signataires). Tous ont accepté de leur plein gré de se plier aux règles de cette institution, créée pour déterminer les responsabilités des crimes les plus graves. En retour, la CPI œuvre pour apporter la justice aux victimes africaines de crimes innommables. Que chacune des quatre affaires ouvertes par la CPI ait pour cadre l’Afrique n’est pas dû à un préjugé du procureur. Trois des pays concernés lui ont eux-mêmes demandé d’intervenir. Quant à la quatrième affaire, le Darfour, elle lui a été déférée par le Conseil de sécurité des Nations unies. Sur sa propre initiative, le procureur examine actuellement la possibilité d’enquêter en Colombie, en Géorgie et en Afghanistan.

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Les dirigeants africains objectent que la justice devrait être mise de côté car elle entrave les efforts en faveur de la paix. Mais il ne peut y avoir ni véritable concorde ni sécurité si justice n’est pas rendue aux habitants de la région ! C’est précisément parce qu’il n’y a pas eu de justice qu’il n’y a pas de paix au Soudan. Si douloureuse et inopportune que puisse être la justice, nous en avons fait l’expérience : l’autre solution – celle qui consiste à l’écarter – conduit au pire.

L’émission d’un mandat d’arrêt contre El-Béchir constitue un événement sans précédent pour toutes les victimes d’atrocités, notamment pour celles qui n’ont jamais cru qu’elles verraient un jour l’omnipotent instigateur de leur martyre contraint de rendre compte de ses actes devant la communauté internationale. L’occasion est historique. Les dirigeants africains devraient la saisir, au lieu de tout faire pour l’escamoter.

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