Tutu, Kagamé et le cas El-Béchir

Publié le 9 mars 2009 Lecture : 2 minutes.

C’est à Kigali, où j’étais de passage ce mercredi 4 mars, que j’ai appris en même temps que vous l’inculpation du chef de l’État soudanais, Omar el-Béchir, par la Cour pénale internationale. Occasion ou jamais de faire réagir sur ce sujet ultrasensible le président rwandais. Concerné, Paul Kagamé l’est à double titre : c’est lui qui, lors du sommet de l’Union africaine à Charm el-Cheikh, en juin 2008, a pris la tête de la fronde de ses pairs contre cette même CPI. Et son armée est le premier contributeur de troupes au sein de la Minuad – la force de paix de l’Union africaine au Darfour. Il est donc parfaitement informé des réalités du terrain. Sa position est intéressante, parce qu’elle est plus nuancée qu’on le croit. « Je n’exécuterai pas le mandat d’arrêt lancé contre El-Béchir, dit Kagamé. Non pas parce que je suis opposé par principe à la justice internationale, ni parce que les chefs d’État sont au-dessus des lois, encore moins parce qu’El-Béchir serait a priori innocent des crimes qu’on lui reproche, mais parce que je n’ai pas confiance dans cette CPI. Ce n’est pas avec elle qu’une justice mondiale impartiale et équitable pourra être rendue. Le problème n’est pas que seuls des Africains aient été jusqu’à présent traduits devant cette cour. C’est un épiphénomène. Le problème est que, dès le début, on a pu voir, sentir, détecter derrière sa façon de fonctionner un mélange d’agenda et de manipulation politiques des riches contre les pauvres. Je suis pour les tribunaux pénaux internationaux spécifiques sous la houlette de l’ONU, comme celui d’Arusha sur le Rwanda, celui sur la Sierra Leone, sur l’ex-Yougoslavie et pourquoi pas, demain, celui sur le Darfour. Eux au moins ont des mandats clairs et savent de quoi ils parlent. Mais je suis contre les magistrats omniscients et omnipotents de la CPI. »

Arguments contre arguments, dans le dossier que nous consacrons cette semaine à ce tournant historique (voir pp. 10-14), une personnalité morale africaine aussi irréprochable que Mgr Desmond Tutu soutient, lui, la thèse inverse et fustige « les réponses indignes » des chefs d’État africains qui critiquent la CPI. Sur fond de suspicions réciproques, d’interrogations sur le fameux « deux poids deux mesures » de la justice internationale, de solidarité un peu honteuse entre présidents en exercice et de doutes sur un pari judiciaire risqué dont les Darfouris risquent d’être les premières victimes, le débat est donc ouvert. Pro- ou anti-CPI : on constatera à tout le moins que nul désormais n’ose défendre l’impunité des chefs d’État et que personne ne nie que l’infréquentable El-Béchir ait joué un rôle dans les massacres au Darfour.

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À condition de prendre chacun au mot, c’est déjà une petite révolution.

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