Cessons de mépriser le cinéma en Afrique
Souleymane Cissé Cinéaste malien, double Étalon de Yennenga (Fespaco 1979 et 1983) et Prix du jury à Cannes en 1987.
L’état du cinéma africain est-il préoccupant ? La situation est évidemment différente selon les pays. Mais il y a un point commun sur tout le continent : en l’espace de cinquante ans, il n’a pas été possible de créer les structures nécessaires pour mettre en place une véritable industrie de l’image. C’est-à-dire une industrie qui se nourrit avant tout du cinéma, comme c’est le cas des télévisions des pays développés.
Cette carence est grave. Car le cinéma est ce qui peut donner espoir. C’est une création qui représente l’un des progrès les plus importants pour l’humanité. Cet instrument permet, en effet, d’explorer absolument tout. Les Américains, on le sait, ont très bien compris que le septième art était un outil culturel majeur mais aussi de développement. C’est avant tout avec le cinéma qu’ils ont fait exister et rayonner la culture américaine. Malheureusement, sur le continent, nous n’avons guère pu profiter de ce progrès.
Qui sont les responsables de cette situation ? Les cinéastes n’ont pas le pouvoir de décision pour faire exister une industrie de l’image. Et les politiques, qui ne les écoutent pas, n’ont pas compris l’enjeu que représente le septième art. Ils ont laissé détruire les réseaux de salles qui existaient en Afrique, autorisant qu’on les vende au plus offrant comme n’importe quel magasin. Dans l’esprit de la politique de la Banque mondiale et du FMI, ils ont considéré que cette activité n’était pas rentable et qu’elle devait ou pouvait disparaître.
Sans penser à leurs peuples, les dirigeants, même quand il s’agissait d’intellectuels et d’universitaires, ont ainsi détruit, comme on le leur demandait, les quelques structures qui existaient. On a ainsi détruit l’un des fondements de nos sociétés. En méprisant la culture, en oubliant le rôle essentiel du cinéma. A-t-on remarqué que, mis à part les politiques sénégalais, aucun dirigeant africain n’a assisté aux obsèques de Sembène Ousmane ? Cet homme, plus que quiconque, pensait que le cinéma pouvait apporter du changement sur le continent. De son vivant, aucun politique ne l’a soutenu. Pareil pour Youssef Chahine.
Le cinéma est un domaine qui fait peur à tout le monde, à nos politiques et surtout aux puissants du Nord. Sans doute ceux-ci soupçonnent-ils l’importance des images du cinéma, leur effet sur les hommes. Ils craignent ces images et veulent donc les éliminer pour ne proposer plus que les images produites directement par les télévisions. Des images qui, dans nos pays, de l’Égypte jusqu’à l’Afrique du Sud, sont d’une qualité si mauvaise, d’un contenu si faible, qu’elles nous font honte. L’écrit peut être toléré, car très peu de gens lisent, mais le cinéma ne peut l’être, car il a un impact beaucoup plus fort. La situation a empiré. Au Mali, par exemple, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le cinéma se portait mieux sous les régimes des premiers chefs d’État, comme Modibo Keita ou Moussa Traoré.
Pour que la situation évolue, ce qui est indispensable, il faudrait, en tout premier lieu, que les États incitent les entrepreneurs à se diriger vers l’industrie cinématographique. Il y a suffisamment de grandes entreprises africaines rentables qui pourraient s’engager et investir dans ce secteur – dans les salles et dans les films. Mais il faudrait aussi que les cinéastes, ces individualistes qui agissent uniquement en fonction de leurs propres projets, soient plus solidaires pour mener des actions de sensibilisation auprès des États et de l’Union africaine. Sans volonté politique, rien ne se fera. Il faudrait convaincre au moins un chef d’État de l’importance de la culture et espérer que sa prise de conscience s’avère contagieuse. On dort depuis cinquante ans, il faut se réveiller.
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