Une goutte d’eau dans un océan

« Il est très difficile de s’attaquer au pillage des œuvres d’art parce qu’il y a beaucoup d’argent en jeu », confie George Abungu, représentant pour le Kenya au comité du Patrimoine mondial de l’Unesco. Si les lois et les institutions internationales chargées de la lutte contre ce trafic existent bel et bien, leur efficacité reste sujette à caution.

Publié le 3 mars 2009 Lecture : 3 minutes.

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Art Africain: le pillage continue

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« Beaucoup d’objets d’art sont sortis du Mali, du Burkina, du Ghana et du Nigeria au cours de la décennie écoulée », dénonce Abdou Sylla, directeur de recherches à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) de Dakar. De fait, les États ne sont guère résolus à combattre ce fléau. À commencer par ceux du Nord, où se trouvent les plus beaux musées consacrés aux arts africains… La Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, les États-Unis n’ont toujours pas ratifié la convention de l’Unesco de 1970, qui incite à « prendre des mesures pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert des propriétés illicites de biens culturels ». Ni celle de l’Institut international pour l’unification du droit privé sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (dite « Unidroit ») de 1995, qui stipule que « le possesseur d’un bien culturel volé doit le restituer ». Or c’est précisément cette convention qui permet aux États spoliés d’engager une action en justice contre l’acheteur d’un bien mal acquis. La France, elle, a mis vingt-sept ans pour ratifier, en 1997, la convention Unesco. Et n’a toujours pas entériné le texte Unidroit.

Sur le continent, les États africains ne se pressent pas non plus pour protéger leur patrimoine. Seuls le Gabon et le Nigeria ont ratifié Unidroit, en 2004 et 2006, alors que le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Sénégal et la Zambie ont signé le texte en 1995, mais n’ont pas finalisé leur adhésion.

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Certains pays, en revanche, se sont dotés d’une législation nationale coercitive. Le Mali, le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Kenya et le Bénin sont les plus mobilisés. Au niveau législatif, le Tchad (1960), le Cameroun (1963) et le Ghana (1973) ont été parmi les premiers à protéger leur patrimoine. En 1974 et 1979, au Nigeria, deux décrets gouvernementaux ont interdit l’exportation des terres cuites Nok. En 1985, plusieurs lois ont été édictées au Mali pour protéger les découvertes de la vallée du Niger. La même année, le Burkina réglementait les exportations d’œuvres d’art, suivi deux ans plus tard par la Côte d’Ivoire. Pour le Niger, il a tout de même fallu attendre 1997 !

Édicter des lois est une chose. Les faire appliquer en est une autre. Souvent mal payés, douaniers, policiers et même muséologues ont une fâcheuse tendance à fermer les yeux quand un touriste ou un diplomate leur glisse un billet dans la main. Et la plupart du temps, les États négligent un patrimoine qui n’est pas considéré comme une opportunité touristique… à part en Égypte (voir ci-après). La volonté politique comme les moyens manquent.

Malgré tout, quelques initiatives ont été amorcées. Face à l’essor du phénomène sur Internet, un appel conjoint du Conseil international des musées (Icom), de l’Unesco et d’Interpol a donné l’alerte en 2007. L’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) a même signé en 2008 un accord avec eBay, la plate-forme de vente sur le Net. « Mais il y a beaucoup de faux, note Pierre Tabel, qui dirige l’OCBC. Les originaux ne sont pas sur ce type de site. » Selon Boris Wastiau, directeur du musée d’Ethnographie de Genève, « les gens du milieu savent où sont les pièces de grande valeur. Or les autorités internationales et nationales des pays destinataires ne peuvent rien faire sans la coopération des pays sources. »

Raison pour laquelle l’accent est mis sur la prévention et l’information. L’Unesco organise en juin une formation à la lutte contre le trafic à destination d’une vingtaine d’experts africains (muséologues, douaniers…) en collaboration avec les carabiniers italiens. Le Conseil international des musées africains (Africom), issu de l’Icom, a également organisé des ateliers régionaux pour renforcer la coopération entre les services du patrimoine, la police et les douanes, et publié un Manuel de normes facilitant l’inventaire des collections. Car cette étape est cruciale. « L’inventaire donne les moyens de retrouver les objets les plus précieux, assure Boris Wastiau. Ce travail effectué au Musée national de RDC a révélé que plus de la moitié des collections ont disparu entre la chute de Mobutu, en 1997, et 2005. En 2007, l’on a pu ainsi récupérer deux pièces, l’une aux États-Unis, l’autre en Allemagne. »

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Agir efficacement n’est possible qu’à partir du moment où les institutions nationales revendiquent leur patrimoine. Mais « le sujet reste sensible, affirme un spécialiste sous le couvert de l’anonymat. Peu de gens osent en parler. Les conservateurs, qui répertorient les collections des musées pour mieux lutter contre les vols, sont souvent menacés par les receleurs. »

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