La stratégie DP World en question
Après des débuts difficiles, le groupe de Dubaï s’est implanté avec succès en Afrique. Mais la crise qui frappe l’émirat risque de contrarier les projets du deuxième opérateur portuaire privé du continent.
Alger le 15 février. L’empreinte de DP World se dessine dans le pays avec la création de deux sociétés mixtes pour la gestion des ports d’Alger et de Djen Djen. Deux marchés, parmi les plus convoités du continent, décrochés le 10 novembre 2008 à la suite de négociations entamées deux ans plus tôt avec les autorités algériennes. Les travaux d’aménagement et de modernisation des installations portuaires, d’un montant supérieur à 500 millions de dollars, devraient débuter dans les prochaines semaines. Avec le vent en poupe sur le continent, le groupe émirati, serein, inaugurait officiellement quelques jours auparavant, le 7 février, le nouveau terminal à conteneurs (Doraleh) du port de Djibouti qu’il gère depuis le début des années 2000.
Un début 2009 qui démarre en fanfare et ferait presque oublier l’année 2008 assez chaotique qu’a traversée le groupe. Une situation de congestion sur les quais du port de Dakar, des navires obligés d’attendre, du matériel manquant, les clients du terminal à conteneurs auraient eu toutes les raisons de manifester leur mécontentement l’an passé. Pour DP World, numéro trois mondial des opérations portuaires et tout nouveau gestionnaire du terminal, ce fut ce qu’on appelle un départ manqué. Pour le groupe Bolloré, ancien gestionnaire battu par DP World lors de l’appel d’offres de 2007, ce fut du pain bénit, et l’occasion de mettre en cause les capacités de son concurrent émirati.
Reconnaissant avoir été obligées de travailler dans un premier temps avec Bolloré, en attendant d’acheter de nouveaux matériels pour le port, les équipes de DP World préfèrent vite oublier les accrocs connus dans les premiers mois de 2008. « Le port de Dakar souffrait d’un manque d’équipements et c’est pour cela que le démarrage a été très difficile », explique l’un des hauts responsables du port de Djibouti. « Nous avons acheté beaucoup de matériel car Bolloré n’avait presque pas investi dans le port, assène John Fewer, expert auprès de la compagnie de Dubaï et l’un de ses anciens hauts dirigeants. Il faudra comparer les chiffres entre l’époque où Bolloré s’en occupait et aujourd’hui. »
Délicate mise en route à Dakar
Près d’un an plus tard, le groupe entend couper court aux attaques d’incompétence : « Nous gérons 49 terminaux à travers le monde et notre management est réputé », avance Anil Singh, vice-président et directeur général Afrique de DP World. À Dakar, la situation semble en effet être rentrée dans l’ordre, comme le souligne l’un des principaux clients du port, l’armateur CMA-CGM. « Depuis juillet, il y a eu beaucoup d’améliorations et il n’y a plus de congestion, souligne Jérôme Delhoume, agent de CMA-CGM au Sénégal. En matière de manutention, nous avons affaire à des professionnels. »
Hors du Sénégal, cette délicate mise en route ne semble pas avoir laissé de traces. DP World est d’ores et déjà le deuxième opérateur portuaire privé en Afrique avec un trafic estimé à 1,3 million de conteneurs EVP, derrière le danois APM Terminals (2,4 millions d’EVP) et loin devant Bolloré Africa Logistics (0,84 million d’EVP). Outre la gestion du terminal à conteneurs de Dakar et celle du port de Djibouti, l’émirati gère les installations portuaires de Maputo (2006) et de Sokhna en Égypte (2007). L’ouverture d’ici à 2012 du Port du futur à Dakar et celle du port géant de Djen Djen (voir carte ci-dessus), présentant l’un des plus importants tirants d’eau de la Méditerranée, renforceront le poids de DP World en Afrique, alors que l’essentiel de l’activité se trouve encore aujourd’hui en Europe, au Moyen-Orient, et jusqu’en Australie.
Entretenir des liens étroits
Si le groupe se développe aussi vite sur le continent, c’est en grande partie au sultan Ibn Sulayem qu’il le doit. À la fois membre du Conseil exécutif du pays, l’organe dirigeant de l’émirat, et puissant patron de Dubai World, groupe étatique et maison mère de DP World, le sultan véhicule en Afrique un message très clair : si vous retenez DP World comme opérateur, vous disposerez également de toute la puissance économique et stratégique de ce pays des Émirats arabes unis (EAU). Djibouti, où Dubai World gère le port, l’aéroport, la zone de libre-échange et où il a construit le plus bel hôtel de la ville, est devenu la vitrine du groupe. Pris sous l’aile de Dubaï, qui a envoyé le propre fils de l’émir lors de l’inauguration du terminal de Doraleh, le petit pays africain est en effet devenu un acteur clé du commerce dans la région. Fort de ses appuis politiques, DP World a toutes les portes ouvertes dans le monde arabe et musulman. Et n’a pas hésité à emmener avec lui, lors d’une tournée en avril 2008 en Afrique, le fils du président du Sénégal, Karim Wade.
Une logique que le groupe est loin de renier, puisqu’il envisage tous ses investissements comme de véritables partenariats de développement avec les États. « Pour DP World, le développement de relations avec des personnalités locales respectées ou des membres des gouvernements est quelque chose d’important », confirme Anil Singh. Depuis 2008, date à laquelle il a rejoint DP World en provenance de Thaïlande, ce dernier est en charge de l’Afrique, un poste créé à l’occasion de son arrivée. Professionnel de l’industrie maritime depuis plus de trois décennies, Anil Singh dirige une petite équipe de huit personnes basées à Dubaï. Le reste des effectifs africains – 2 500 personnes au total – est dans les ports.
Former aux méthodesdu groupe
« Nos business units sont autonomes, elles livrent simplement des rapports mensuels sur leurs activités au siège », explique Anil Singh. Développant une politique intensive de formation, le groupe n’envoie en général qu’une poignée de ses employés sur place. C’est le cas, le plus souvent, des principaux managers. Guido Heremans, l’actuel patron à Dakar, dirigeait auparavant le port de Djibouti, où il a été remplacé par Jérôme Martins Oliveira, un nouveau venu dans le groupe. Pour le choix des dirigeants africains, le groupe n’a pas de vérité établie. L’ancien patron du port de Djibouti, Aden Ahmed Doualé, est l’actuel chairman de Djibouti Ports & Free Zone Authority. En revanche, c’est un Émirati, Mohammed Al Khadar, l’ex-dirigeant de l’aéroport de Sharjah (EAU), qui devient le directeur général de la société mixte Djazaïr Port World, appelée à gérer le port d’Alger. Quant au reste des troupes, il est en général recruté sur place. John Fewer, qui a mis sur pied en 2000 l’activité internationale de Dubai Ports (l’ancien nom de DP World), est un acteur clé de ce dispositif : c’est lui qui, à Dakar, à Djibouti et demain à Alger passe six mois sur place pour recruter les équipes et les former aux méthodes opérationnelles du groupe.
Mais par ces temps de crise mondiale qui ont touché l’émirat, la multinationale a-t-elle encore les épaules solides pour tenir son engagement d’investir 2,7 milliards de dollars en Afrique d’ici à 2012 ? Sur le papier, elle a les moyens de ses ambitions. C’est l’opérateur portuaire le plus rentable du monde, avec une marge d’Ebitda à 41 %, contre 25 % pour la plupart de ses concurrents. Au cours du seul premier semestre 2008, le groupe a réalisé un bénéfice net de 287 millions de dollars, en hausse de 123 %. Pourtant, il recèle pour l’instant une faiblesse de taille : il n’est qu’un opérateur portuaire et ne peut garantir aux États un trafic maritime, seul à même de rentabiliser un port. Mis à part Bolloré, c’est un cas désormais presque unique en Afrique puisque Getma est associé à MSC et que APM et CMA-CGM sont à la fois armateurs et opérateurs portuaires. Lorsque le trafic maritime mondial montre de forts signes de faiblesse, comme actuellement, c’est un problème majeur. « Une alliance avec un armateur pourrait être envisageable pour le Port du futur à Dakar », lance avec mystère Anil Singh.
Autre faiblesse : « Avec la chute de son cours de Bourse, qui a reculé de 75 % depuis son introduction en novembre 2007, la capitalisation du groupe a fondu comme neige au soleil, souligne un conseil financier. Ils auront du mal à financer des projets sur lesquels il y a eu, de surcroît, une véritable bulle spéculative. » L’opérateur, dont 80 % du capital est encore dans les mains de l’État, subira forcément aussi les contrecoups de l’économie de Dubaï (voir encadré page précédente) et qui est l’une des plus importantes victimes de la crise actuelle. « Nous avons un portefeuille de ports équilibré, ce qui fait que nous n’avons pas encore ressenti un impact important de la crise, explique Anil Singh. Nous avons un bilan solide et notre dette est à long terme. Le financement du Port du futur à Dakar est en train d’être monté, mais nous ne dirons rien de plus pour l’instant. » À suivre.
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