Panne sèche pour Chavez

Grand vainqueur du référendum qui lui accorde la possibilité de se représenter autant de fois qu’il le souhaite, le chef de l’État voit ses programmes sociaux menacés par l’effondrement des cours du pétrole.

Publié le 3 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

L’Histoire retiendra que c’est sans doute la première révolution indexée sur le prix du brut. Et les manuels ajouteront que, peut-être, là résidait sa perte.

Voici dix ans, Hugo Chávez entreprenait de redistribuer la rente pétrolière au profit des plus pauvres, inaugurant un mouvement de réduction des inégalités comme jamais le Venezuela n’en avait connu. Ainsi, selon la Commission économique pour l’Amérique latine (Cepal), organisme des Nations unies dont la fiabilité des chiffres est unanimement reconnue, la pauvreté est passée au cours des cinq dernières années de 54 % à 27 %, tandis que le chômage tombait en dessous des 10 %.

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Dans le même temps, près de 70 milliards d’euros ont été consacrés à des programmes d’alphabétisation, d’alimentation ou d’ouvertures de dispensaires.

36 dollars le baril

Mais voilà, ce conte de fées pourrait bien se terminer en désastre.

L’équation est simple : les recettes de l’État vénézuélien proviennent pour moitié des revenus pétroliers. Le budget 2009 a été calculé sur la base d’un baril vénézuélien à 60 dollars. Or il est aujourd’hui coté à 36 dollars (pour mémoire, en juillet 2008, ce même baril caracolait à 129,50 dollars). Bref, il va manquer dans les caisses un peu plus de 30 milliards d’euros. Soit, tout simplement, la moitié du budget prévu !

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Comment, dans ces conditions, maintenir le financement des programmes sociaux ? Comment poursuivre la révolution bolivarienne ?

Certes, dans un premier temps, les réserves en devises – 82 milliards de dollars (soit 64 milliards d’euros) – permettront d’amortir la dégringolade du baril. Mais après ?

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La question est d’importance. Car cette redistribution de la manne pétrolière est la clé de la popularité de Chávez. Popularité inoxydable, puisque, voici deux semaines, 54,36 % des Vénézuéliens ont accepté de modifier la Constitution afin que le chef de l’État puisse se représenter autant de fois qu’il le souhaite. Une victoire d’autant plus incontestable que ce scrutin a été marqué par l’un des plus forts taux de participation (67, 05 %) depuis l’accession de Chávez au pouvoir.

Un précédent référendum sur la même question, en 2007, avait vu le non l’emporter. Du coup, cet acharnement à rendre possible une présidence à vie apparaît, à bon droit, suspect. Pourtant, dans le cas du Venezuela, l’appréciation mérite d’être nuancée. En dix ans de révolution bolivarienne, les électeurs ont été convoqués aux urnes pas moins de quinze fois ! On est encore très loin du goulag tropical.

Faut-il ajouter que la Constitution de plusieurs pays européens, comme la France, ne prévoit pas de limitation du nombre des mandats présidentiels ? Pour autant, il ne viendrait à personne l’idée de crier à la dictature.

On peut, bien sûr, instruire le procès du style Chávez. Ses outrances verbales, ses gesticulations militaires, ses compagnonnages douteux avec la Libye de Mouammar Kadhafi, la Russie de Dmitri Medvedev ou l’Iran de Mahmoud Ahmadinejad. Mais tout cela ne suffit pas à faire du Venezuela un nouveau Cuba. Ni de Chávez, un tyran.

À vrai dire, c’est dans les prochains mois que tout va se jouer. Car plusieurs menaces pèsent sur le modèle bolivarien. Des menaces que les recettes pétrolières sont désormais incapables de contenir ni même de masquer.

Inflation galopante

Ainsi de l’inflation, qui tourne autour de 30 %. Pour la troisième année consécutive, le Venezuela se retrouve en tête des pays latino-américains dans ce triste tableau d’honneur. Surtout, cette envolée des prix touche en priorité les denrées alimentaires de base et fragilise les secteurs populaires, piliers du régime.

À ce premier clou dans la chaussure du bolivarisme, il faut ajouter l’absence d’industrialisation du pays. Les menaces d’expropriations, l’insécurité juridique et la rhétorique anticapitaliste ont dissuadé les investisseurs. Résultat, le pétrole continue de représenter l’essentiel – 94 % ! – des exportations.

Et puis, il y a la corruption des élites. Les Vénézuéliens ont baptisé ces parvenus les « boliburgeses » (les bolivariens bourgeois). S’ils arborent la chemise rouge du parti de Chávez – encore que certains préfèrent les costumes de bonne coupe –, ces hiérarques circulent en 4×4 dernier modèle, toujours flanqués de gardes du corps, et résident dans des villas cossues de la capitale. Ignorée en période d’opulence, cette nomenklatura tropicale risque fort d’être insupportable à l’opinion en temps de crise.

Enfin, il y a l’insécurité. Le pays a enregistré 13 780 homicides en 2008. La capitale, Caracas, est en passe de détrôner Bogotá et Medellín, ses voisines colombiennes, au palmarès des villes les plus dangereuses d’Amérique latine.

Faut-il alors redouter une crispation du régime, une tentation autoritaire qui viendrait suppléer une adhésion populaire vacillante ?

L’épouvantail de l’impérialisme, vieux ressort fédérateur, a perdu de sa force depuis l’élection de Barack Obama à la Maison Blanche. Le métis Chávez serait quand même malvenu de qualifier de « Gringo » le premier président métis de l’histoire des États-Unis ! D’autant que Gordon Duguid, le porte-parole du département d’État, s’est empressé de déclarer au lendemain du scrutin que « le référendum s’est déroulé de façon totalement démocratique ».

À qui s’en prendre, alors ? Divisée et dépourvue de chef de file, l’opposition ne peut davantage servir d’exutoire. Faute d’avoir remporté des succès électoraux décisifs, elle a fini par décourager les plus séditieux de ses partisans.

Est-ce parce qu’il n’a plus de moulins à combattre ? Toujours est-il que le bouillant président vénézuélien semble lui-même enclin au recentrage. La veille du référendum, il a dénoncé les exactions des Forces bolivariennes de libération (FLB) installées à la frontière avec la Colombie. Cette guérilla, pourtant progouvernementale, multiplie les escarmouches avec l’armée et maintient sous sa coupe les populations locales.

Le président s’en est également pris à la milice du bidonville de la Piedrita, à l’ouest de Caracas. Ses membres, qui se réclament de la révolution bolivarienne, font régner leur loi et interdisent l’accès du quartier à la police. « Personne n’a le droit de menacer qui que ce soit, a rappelé Chávez. […] Pour construire le nouveau Venezuela, respect, démocratie, pleine liberté et paix sont nécessaires. » L’idéologie serait-elle en train de céder le pas au pragmatisme ?

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