Les fantômes d’Abou Ghraib

La prison de sinistre mémoire fait peau neuve. Mais elle reste hantée par son histoire et par les rictus de ses geôliers successifs.

Publié le 3 mars 2009 Lecture : 2 minutes.

Ils s’appellent Lynndie England, Charles Graner, Jalal Davis. Leur visage a fait le tour du monde. Ce sont les soldats américains qui, avec l’aval de leur hiérarchie et la bénédiction de l’ex-secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, ont torturé et humilié, en 2004, des dizaines de prisonniers irakiens dans la prison d’Abou Ghraib, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Bagdad. Les photos de leurs victimes dénudées, souillées, entravées ou tenues en laisse ont marqué un tournant dans la sale guerre menée par les faucons américains. Les autorités irakiennes ont voulu tourner cette page en annonçant, le 23 février, la réouverture de la prison, construite par des entreprises britanniques au début des années 1960 et fermée en 2006 par les Américains après la vague d’indignation qu’elle avait soulevée dans le monde. Un temps envisagées, la destruction d’Abou Ghraib ou sa transformation en musée de la torture ont finalement été abandonnées en raison de l’engorgement du système carcéral irakien.

Rebaptisé Prison centrale de Bagdad, l’établissement pourra, à terme, accueillir 15 000 détenus. Le gouvernement, avec une généreuse dotation américaine, a mis les petits plats dans les grands pour transformer cette gigantesque cité pénitentiaire en prison modèle. Façades, cellules, couloirs ont été repeints dans un camaïeu de beiges. Un gymnase, une salle informatique, une clinique, des ventilateurs et une aire de jeux pour les enfants des détenus ont été installés. Mais trois couches de peinture beurre frais, des inscriptions calligraphiées en arabe proclamant « le respect de la dignité humaine » et quelques bouquets de fleurs artificielles suffiront-ils à transformer les images d’un film gore en remake de La Petite Maison dans la prairie ? Rien n’est moins sûr tant ce complexe, déjà utilisé par Saddam Hussein pour torturer et faire disparaître au moins 4 000 opposants, semble hanté par son histoire et par les rictus de ses geôliers successifs. « Avant, c’était sombre et humide, cela suintait l’horreur », explique un responsable du ministère des Droits de l’homme. « Je hais cet endroit, il est déprimant », note un surveillant. On ne chasse pas les fantômes avec des pots de fleurs. 

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