Salah Béchir

Éditorialiste tunisien de renom, chroniqueur sur Radio Orient, notre confrère s’est éteint le 19 février, à Tunis, à l’âge de 57 ans.

Publié le 3 mars 2009 Lecture : 2 minutes.

Salah Béchir était sans conteste l’un des journalistes les plus brillants de sa génération. Mais il n’en cultivait pas moins la discrétion, déjouant le piège du carriérisme. Derrière sa modestie et une sorte de timidité prévenante se cachait une intelligence acérée. On le voyait rarement à une tribune, bien qu’il fût un excellent orateur, ni sur le devant de la scène médiatique, bien qu’il écrivît dans de prestigieux journaux arabes depuis plus de trente ans. Homme de l’ombre, il savait manier la dérision et ne se laissait pas impressionner par l’agitation ni les effets d’annonce. Habité par de grands rêves, il aimait formuler les projets les plus fous sur le mode de la confidence, assis au milieu de ses amis. Il déployait alors un esprit fin et rebelle, avec force références littéraires. Il éprouvait un malin plaisir à faire tomber de leur piédestal les penseurs encensés et à pourfendre les pseudo-intellectuels. Et concluait en jurant d’inventer « la formule » qui sortirait le monde arabe de sa léthargie ou, pourquoi pas, fonderait « l’Empire du Maghreb ». Étudiants, nous écoutions les harangues politiques enflammées de celui qui ne se laissa jamais embrigader dans un parti ou une organisation – bien qu’il fût courtisé par beaucoup d’entre eux, de la gauche arabe aux islamistes – et appréciions les talents du romancier qui ne s’était jamais aventuré dans l’écriture littéraire.

 

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Salah Béchir est né en 1952 dans une famille modeste de Mateur, au nord de la Tunisie. Journaliste autodidacte, il fit ses premières armes à Beyrouth, avant de s’installer à Paris, où il collabora à de nombreux médias, dont Jeune Afrique. Il versa dans le nationalisme arabe comme beaucoup d’intellectuels de sa génération, qui avaient fait du café Cluny, à Saint-Michel, leur Q.G., avant que la guerre du Golfe ne le plonge dans le désarroi et que l’effondrement des idéologies achève de lui faire perdre tout espoir dans les régimes arabes. Il mit toute son énergie à penser les maux de la région dans des journaux comme Al-Yaoum al-Sabi’, avant de devenir un chroniqueur régulier d’Al-Hayat.

Parti sur un coup de tête en Italie, où il a vécu une dizaine d’années, il a choisi, il y a un an, de rentrer en Tunisie après quarante ans d’exil : « Je n’ai rien reconnu de mon village, hormis mon père. On m’a présenté aux miens comme on présente les étrangers. Personne, à part mon père, ne m’a reconnu. » Ces paroles, il me les confia une semaine avant sa mort, alors que nous déjeunions dans un restaurant de Tunis. Il paraissait en forme, avait gardé son sens de la dérision, sa haine de la bêtise, son regard distancié sur les excités de tous bords. Outre ses articles dans Al-Hayat, il évoqua sa chronique hebdomadaire sur Radio Orient et le site Al-Awan, qu’il venait de créer et qui commençait à recueillir les signatures des intellectuels arabes les plus en vue. Ces derniers temps, il travaillait à inventer un jeu pour la télévision.

Il a été emporté le 19 février, terrassé par une crise cardiaque, alors qu’il était seul devant son ordinateur, en train d’écrire. Comme il l’a toujours fait. Ni pour l’argent ni pour la gloire, mais par passion, celle de penser.

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