A quoi sert El Himma ?

Après le congrès constitutif du PAM, le parti qu’il a fondé, « l’ami du roi » veut révolutionner la vie politique. Un objectif aussi ambitieux que risqué…

Publié le 3 mars 2009 Lecture : 7 minutes.

À en juger par les crises qu’ont connues les partis à l’occasion de leurs assises, il suffit, au Maroc, qu’un congrès se déroule jusqu’au bout et ne donne pas lieu à une scission immédiate ou à terme pour qu’il obtienne le label de la réussite. À cet égard, le congrès constitutif du Parti de l’authenticité et de la modernité (PAM), qui s’est tenu du 20 au 22 février à Bouznika (à 50 km de Rabat), a remporté un succès total. Plus de 5 000 délégués ont représenté toutes les régions. On a écouté les versets du Coran et chanté l’hymne national. La présidente de séance a prononcé des paroles de bienvenue en arabe et en tamazight. Certes, le « camarade » Hassan Benaddi, secrétaire général, n’a évoqué dans son discours ni les réformes institutionnelles ni la crise mondiale, mais il a pris soin de préciser que toutes les questions d’importance seront abordées dans la résolution finale.

Quatre commissions ont été formées, dont une pour se pencher sur « les principes et les orientations » et une autre sur « les objectifs et les priorités ». Tous les textes ont été adoptés sans anicroche. Le dernier jour, les instances de direction (bureau national, conseil national) ont été constituées selon les règles bien huilées du consensus et de la cooptation. Le PAM, fondé à l’initiative de Fouad Ali El Himma (FAH), l’ancien ministre délégué à l’Intérieur et toujours « ami du roi », est sorti de sa période de gestation. Il s’est donné un nouveau leader, le Dr Mohamed Cheikh Biyadillah, ancien ministre de la Santé.

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FAH peut se déclarer satisfait. Depuis qu’il s’est lancé avec une certaine témérité dans l’arène politique, il a accumulé les exploits. Élu député en septembre 2007 avec le meilleur taux de participation, il s’est rapidement propulsé, grâce à une alliance opportune, à la tête du groupe parlementaire le plus nombreux. Pour former son propre parti, il a cherché à fédérer cinq formations déjà existantes. Là, il a essuyé déboires et déconvenues, trois leaders de ces partis l’ont abandonné en chemin dans un flot de polémiques sordides, qui ont entraîné le recours aux tribunaux, mais tout est bien qui finit bien. Les ruptures consommées sont autant de scissions qui n’auront pas lieu demain. À l’issue du congrès de Bouznika, FAH et ses amis peuvent se dire que le PAM est désormais en ordre de marche et qu’il pourrait aller à la bataille des élections locales de juin 2009 dans les meilleures conditions.

Voilà, à grands traits, l’image que le PAM, le « nouveau venu » dans la scène politique, a voulu donner de lui à travers son congrès. Véhiculée par certains médias, c’est elle qui restera un temps dans l’opinion. Mais, à y regarder de plus près, il s’est passé d’autres choses à Bouznika beaucoup moins idylliques et qui méritent qu’on s’y arrête si l’on veut avoir une idée plus juste, plus réaliste de l’entreprise de FAH et de ses chances d’aboutir. « Il faut être très superficiel pour ne pas juger sur les apparences », disait Oscar Wilde. Contentons-nous donc des apparences.

Commençons par les congressistes. Ils devaient être 4 000 puis 4 500, puis 5 000. Ils ont dépassé ce dernier chiffre. Cette affluence record est sans mystère. Tout le monde voulait venir. Il y a là des élus, locaux ou nationaux, membres des cinq partis de base et qui n’ont pas suivi leurs chefs. Il y a encore des transfuges d’autres formations politiques ou des transhumants, comme on dit ici. Ils vont là où l’herbe est plus verte. Pour eux, aucun doute, le parti de « l’ami du roi » est le parti du roi. Et c’est là où il faut être aujourd’hui. On va à Bouznika comme on va à La Mecque, pour gagner sa place au paradis électoral. La présence au congrès vaut accréditation aux futurs scrutins et, partant, gage de succès.

Sur le profil des congressistes, là encore, les apparences ne sont pas trompeuses. C’est une population rustique, d’extraction paysanne ancienne ou récente. Dans les régions, ce sont des notables qui ont leur fief et entretiennent une clientèle fidélisée par les multiples services rendus. À Bouznika, ils étaient en terrain conquis. Ils sont conscients de leur force et savent défendre leurs intérêts. Dans le « projet démocratique et moderniste » cher à FAH, ils prennent ce qui leur convient et ignorent le reste. Mais il y avait d’autres profils à Bouznika. Eux, c’est le « projet » qui les attire. Médecins, pharmaciens, avocats, professeurs… ils sont quelques dizaines. Ils s’intéressent à la politique pour la première fois et ont envie d’être utiles à leur pays. Les partis classiques ne les séduisent pas et ils veulent « essayer » le « nouveau venu ». Politiquement peut-être, ils sont assurément sincères et exigeants. À Bouznika, ils sont venus en voisins. Ils se posent des questions et attendent des réponses. Cette attitude faite d’expectative, d’espérance aussi, devrait être prise en considération. Ceux qui l’adoptent se reconnaissent dans le Mouvement de tous les démocrates (MTD), l’association qui a précédé la naissance du PAM et qu’anime Mohamed Bachir Znagui, un ancien gauchiste qui a passé des années à la prison de Kenitra. Le cas de Fatiha Layadi retient l’attention. Cette journaliste avait été élue députée des Rhamna sur la liste de FAH. Mais elle n’est pas pour autant membre du PAM et tient à le faire savoir.

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Notables régionaux, professions libérales, curieux, militants attentistes… Si le PAM ressemble à une auberge espagnole, ce sont les barons conquérants qui l’ont investi à Bouznika. Le « consensus » pour désigner les dirigeants a largement joué en leur faveur. On s’en doute, les débats d’idées ne les intéressaient guère. À la séance plénière, le temps de parole n’excédait pas une minute… C’est peut-être cette domination des notables dans un parti réputé moderniste qui explique le refus opposé à l’universitaire Mounia Bennani-Chraïbi de mener son enquête sur cette formation (lire ci-contre). Alors que les différents partis s’y sont prêtés de bonne grâce, les dirigeants du PAM n’ont rien voulu savoir. À croire que les profils de leurs ouailles, qui, ne l’oublions pas, sont issues des « partis de l’administration » fabriqués au temps de Driss Basri, ne gagnent pas à être connus.

Une autre bizarrerie : le silence tonitruant de FAH. À la séance d’ouverture comme à la séance de clôture, il se trouvait à la tribune, mais il n’a pas pipé mot. Hier volontiers prolixe (« je me suis tu pendant vingt ans et j’ai besoin de parler », avait-il dit un jour), il n’a pas fait une seule déclaration. La veille du congrès, il a annoncé une conférence de presse, puis il l’a annulée sans explication. À la tribune, le représentant de la Palestine a voulu lui offrir une écharpe frappée à l’effigie de Yasser Arafat, mais il l’a dirigé vers le secrétaire général… Il a beau faire, le PAM est son parti et il en est l’unique leader. Dès qu’il quitte la tribune, il suscite un mouvement de foule digne des grandes stars. Tout le monde veut le toucher, ou mieux, prendre une photo avec lui. Il s’est trouvé même un congressiste pour s’asseoir sur la chaise qu’il venait de quitter avant de demander à un autre de l’immortaliser dans un cliché.

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Comment expliquer la cure de silence que s’impose FAH et son effacement volontaire ? Les polémiques extrêmement violentes avec les leaders des partis qui l’ont quitté, en particulier avec l’ancien officier Abdallah Kadiri, ont laissé des traces et l’ont sans doute obligé à adopter un profil bas. C’est que, au-delà de sa personne, elles risquaient d’éclabousser le Palais. Dans les journaux, on a commencé à s’interroger sur la légitimité et l’utilité de sa démarche. Dans quelle mesure il ne posait pas plus de problèmes qu’il n’en réglait ? Il s’était assigné comme mission de combattre l’islamisme, mais il l’a plutôt renforcé en provoquant un rapprochement entre le PJD et l’USFP. En cultivant la discrétion, il espère sans doute atténuer les critiques, et même se faire oublier. Mais une telle tactique risque d’être contre-productive et d’exciter la curiosité. Quoi qu’il en soit, il a créé la surprise en choisissant Mohamed Cheikh Biyadillah pour être la figure de proue du PAM. Un bon choix. Soixante ans, originaire du Sahara, il a été parmi les fondateurs… du Polisario, où son propre frère demeure l’un des principaux dirigeants. Il a été gouverneur de Salé, puis wali de Safi, député, ministre. Réputation d’intégrité, intelligent, c’est un homme de consensus. Le voilà projeté au sommet d’un parti qui se veut moderne et qui est peuplé de dépouilles d’anciens partis profondément enracinés dans l’archaïsme. Aura-t-il la poigne pour adapter le PAM à ses mots d’ordre ou servira-t-il seulement de porte-drapeau et d’alibi ?

Reste la question cruciale : qu’il soit sur le devant de la scène ou à l’arrière-plan, et maintenant qu’il a mis son parti sur les rails, à quoi sert FAH ? Et cette question renvoie immanquablement à ses rapports avec le roi. En toute rigueur, le PAM n’est pas le parti de Sa Majesté tant, il est vrai, que le temps où les formations politiques étaient téléguidées du ministère de l’Intérieur et, par voie de conséquence, du Palais est révolu. Driss Basri est mort et enterré. Il n’empêche. Le PAM, parti de « l’ami du roi », est lié d’une manière ou d’une autre au roi, ne serait-ce, on l’a bien vu tout au long du congrès, que parce qu’il est perçu comme tel dans l’opinion. Du coup, si le PAM atteint les objectifs qu’il affiche – réhabiliter la vie politique et accroître le champ de la modernité –, ce sera à mettre au crédit du roi. S’il échoue en se contentant d’additionner des partis d’un autre âge, c’est Fouad Ali El Himma seul qui en portera toute la responsabilité. Telle est la loi d’airain de la monarchie : le roi est au-dessus de la mêlée et n’a jamais tort. En attendant, on ne manquera pas de guetter si, à nouveau, on verra « l’ami du roi » assis dans une voiture pilotée par Mohammed VI.

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