L’honneur perdu de la famille Conté

Plusieurs parents et familiers de l’ancien président – à commencer par son fils aîné – arrêtés dans le cadre du démantèlement d’un vaste réseau de trafic de drogue.

Publié le 2 mars 2009 Lecture : 4 minutes.

Lansana Conté doit se retourner dans sa tombe ! Orgueilleux au point d’avoir refusé, sa vie durant, tout compromis avec ses détracteurs, le chef de l’État disparu le 22 décembre serait sans nul doute très embarrassé par les scandales dans lesquels plusieurs membres de sa famille sont compromis. Dans la nuit du 22 au 23 février, son fils aîné, Ousmane Conté, alias OC, commandant dans les forces armées, a en effet été arrêté en raison de son implication dans un vaste réseau de trafic de drogue. Détenu au camp Alpha-Yaya-Diallo, à Conakry, il n’a pas tardé à avouer : « Oui, j’ai participé à un narcotrafic, mais je n’en étais pas le parrain. »

Mouillé jusqu’au cou par les révélations de Mamady Kallo et de Charles Pascal Tolno, deux de ses affidés arrêtés quelques jours plus tôt, OC n’avait d’autre choix que de se mettre à table, tant sont accablants les éléments réunis contre lui.

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Après avoir hésité, le capitaine Moussa Dadis Camara, président du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), la junte qui s’est emparée du pouvoir le lendemain du décès de Conté, a fini par le lâcher, convaincu que la lutte contre le narcotrafic – une de ses priorités déclarées – ne sera pas crédible aux yeux des Guinéens si elle se limite à l’arrestation de quelques seconds couteaux.

Ce n’est toutefois pas sans déchirement qu’il a ordonné l’arrestation d’OC. Les deux hommes entretiennent en effet, depuis longtemps, de solides liens d’amitié. Dans un passé récent, ils se retrouvaient tous les jours autour d’un verre, de 18 heures à 22 heures, au Petit Paris, dans la proche banlieue de Conakry. Il arrivait même à l’ancien directeur du service des hydrocarbures de l’armée de dormir dans la résidence du fils du président, au camp Samory-Touré.

Narco-Etat

Au lendemain de son arrivée au pouvoir, Dadis, sans doute soucieux de protéger son ami, lui a demandé de quitter Conakry et de « se faire oublier » à Wawa, le village de son père. Cela n’a pas empêché OC d’être rattrapé par les enquêtes en cours. Il est vrai que la situation de la Guinée est grave : en quelques années, le développement fulgurant du trafic de drogue a fait d’elle un narco-État.

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Un autre membre de l’ex-famille présidentielle, Saturnin Bangoura, frère cadet de l’ancienne première dame Henriette Conté, a également été arrêté. Longuement interrogé, il a fini par tout balancer : « J’ai été mêlé au trafic de drogue. J’étais à l’aéroport de Boké quand l’avion a atterri avec la poudre. J’ai reçu de mon partenaire colombien 15 000 dollars, 15 000 euros et un 4×4 Land Cruiser. Je demande pardon à ma grande sœur et au peuple de Guinée. Je suis la honte de ma lignée. »

Outre le premier cercle de la famille et la garde rapprochée de l’ex-président – qui, à en croire Dadis, « utilisait le salon présidentiel de l’aéroport de Conakry pour faire passer de la drogue et des malles d’argent » –, le réseau comprenait des fils d’officiers supérieurs de l’armée et de la plupart des chefs de la police.

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Le 20 février, Mamady Mansaré, directeur national de la Sûreté urbaine, Bakary Thermite Mara, directeur de la Sécurité routière, Sékouba Bangoura, ancien numéro un de la police, et Victor Traoré, ex-directeur du bureau guinéen d’Interpol devenu patron de l’Office de répression des délits économiques et financiers (Ordef), ont ainsi été mis aux arrêts. Le directeur des Renseignements généraux, Zakariou Cissé, serait recherché et en fuite.

Comme dix-sept autres anonymes, ces barons de la police ont été interrogés par les hommes du capitaine Tiégboro Camara, secrétaire d’État chargé des services spéciaux, de la lutte antidrogue et du grand banditisme. Puis par Moussa Dadis Camara en personne. Finalement, pour respecter des formes de l’État de droit, ils ont été remis au ministre de la Justice, le lieutenant-colonel Siba Lolamou. « Tous ceux qui sont poursuivis auront droit à un procès équitable, assure ce juriste de formation. Ils pourront se faire assister par tout avocat de leur choix, guinéen ou étranger. La justice statuera en toute transparence. »

Une seule certitude : l’affaire porte gravement préjudice à la mémoire de feu Lansana Conté. D’autant qu’un autre de ses fils, Ansoumane Conté, a été cité au cours de son audition par Charles Pascal Tolno. Et que sa veuve, Henriette, dont personne jusqu’ici ne mettait en doute la respectabilité, risque d’être éclaboussée à son tour. Son frère, Saturnin Bangoura, soutient en effet que les plus grands « dealers » du pays avaient coutume de se rencontrer dans l’une des résidences de l’ex-première dame, dans le quartier résidentiel de Nongo.

Commission d’enquête

Si Henriette Conté a jusqu’ici été épargnée par la procédure, les membres les plus extrémistes du CNDD réunis dans l’après-midi du 25 février ont estimé qu’elle devait à tout le moins « être interrogée sur l’usage de sa maison à des fins illégales ».

Concernant Ansoumane Conté, le CNDD a ordonné aux enquêteurs de réunir contre lui davantage d’éléments de nature à justifier son arrestation. La famille Conté semble donc ne pas être au bout de ses peines. Les ennuis les plus sérieux auxquels elle se trouve exposée ne concernent d’ailleurs pas forcément le narcotrafic. Acculé par les syndicats, Dadis a fini par accepter la mise sur pied d’une commission d’enquête sur la répression des manifestations populaires du début de 2007, qui fit plus de 120 morts. Dans la ligne de mire, Ousmane Conté, soupçonné d’être le deus ex machina des tueries, mais également d’autres membres de sa famille cités dans un rapport top secret rédigé par une ambassade occidentale à Conakry.

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