Mamadou Dia m’a dit…

Ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie (1996-1999)

Publié le 25 février 2009 Lecture : 3 minutes.

Au cours des années que j’ai passées au Sénégal, j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de recevoir Mamadou Dia ; je l’ai ensuite revu à Paris où il venait suivre des traitements médicaux. À Dakar, il arrivait à l’ambassade coiffé d’un calot rouge, vêtu d’un superbe boubou et appuyé sur l’épaule de son épouse car, déjà affligé de sérieux problèmes ophtalmologiques au moment de son arrestation en 1962, il était devenu quasiment aveugle durant ses douze longues années de détention. Mais il avait une mémoire intacte.

Je l’invitais parce que je le considérais comme une figure importante de l’histoire de son pays et de son continent. Il m’a ému et surpris lorsqu’il m’a dit, lors de notre premier déjeuner en quasi-tête à tête à la résidence, le 8 mars 1997, qu’il n’avait jamais été invité auparavant à l’ambassade de France. Il est toujours resté discret à propos de sa vie politique au Sénégal, en particulier sur les événements ayant entraîné son arrestation en 1962, puis sa condamnation à perpétuité pour tentative de coup d’État et son emprisonnement jusqu’en 1974.

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En revanche – et cela m’intéressait beaucoup –, il était très disert sur ses relations avec Sékou Touré. Ils avaient été députés français de 1956 à 1958 (Sékou Touré étant du Rassemblement démocratique africain, Mamadou Dia des Indépendants d’outre-mer) et siégeaient ensemble au Grand Conseil de l’Afrique-Occidentale française (AOF). En août 1958, il avait choisi, comme Senghor, de ne pas être présent à Dakar lors du passage du général de Gaulle, juste après l’historique face-à-face de ce dernier avec Sékou Touré. Mais, à la demande d’André Guillabert, homme politique sénégalais, et d’Ismaël Touré, le demi-frère de Sékou Touré, il s’était rendu début septembre à Conakry pour voir si les positions du Sénégal et de la Guinée au sujet de l’indépendance de la Communauté française – immédiate ou non – et d’une fédération Sénégal-Mali-Guinée (comme amorce de l’unité africaine) pouvaient être coordonnées.

Il fut très impressionné par Sékou, qui s’était déjà décidé pour le « non » alors que l’Union progressiste sénégalaise (UPS) hésitait encore. À sa grande surprise, le leader guinéen avait suggéré de constituer à Dakar un gouvernement unique qui pourrait intégrer à terme le Sénégal, la Guinée, la Gambie, la Guinée-Bissau et la Sierra Leone, donc reconstituer à peu près l’ancien empire du Gabou ! Puis, après avoir soutenu la Fédération du Mali, Sékou Touré avait émis des réserves et s’était finalement réjoui de l’indépendance séparée du Sénégal et du Soudan-Mali, dirigé à l’époque par son ami politique Modibo Keita.

Autre fait notable, Mamadou Dia n’hésite pas à dénoncer, en 1960, les activités menées à partir du Sénégal contre le régime de Sékou Touré en se rendant à la frontière pour les vérifier. Il fait confisquer les armes et munitions que comptaient utiliser les mercenaires à l’entraînement, dont plusieurs sont alors arrêtés. Il accuse même des officiers français d’être impliqués dans ces préparatifs, allant jusqu’à décrire leur rôle dans une lettre adressée personnellement au général de Gaulle. Qui, pour l’en remercier, ouvre une enquête… et le fait décorer de la grand-croix de la Légion d’honneur !

Malgré ses critiques publiques à l’égard de la politique économique de la Guinée, Mamadou Dia a toujours essayé, comme Senghor d’ailleurs, de s’entremettre entre Paris et Conakry pour les réconcilier. Mais il a bien vite compris que sa tentative était vaine, tant l’amertume de De Gaulle contre Sékou Touré était profondément ancrée. Ainsi, en mai 1962, Mamadou Dia accompagne Senghor lors d’une visite à Labé, dans le Fouta-Djalon guinéen, pour amorcer un rapprochement franco-guinéen. Tentative avortée car, en 1963, lorsque Senghor se rend à Conakry et que Sékou Touré lui rend sa visite quelques mois plus tard, Mamadou Dia est déjà emprisonné. Son procès est en cours, mais le leader guinéen s’abstient, au nom du principe de non-ingérence, d’intervenir en sa faveur, en dépit du fait que les deux hommes se considéraient mutuellement comme des amis politiques, sinon comme des amis tout court. Mamadou Dia m’a dit qu’il avait compris cette attitude, tout en la regrettant. D’autant que Sékou Touré ne s’est jamais privé de critiquer publiquement ce qui se passait chez ses voisins.

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