Femmes de tous les pays…

Considérée comme la révélation des lettres catalanes, avec Le Dernier Patriarche, Najat El Hachmi évoque la condition des Marocains en Espagne et le poids des traditions. Un roman engagé et féministe.

Publié le 25 février 2009 Lecture : 3 minutes.

Voici un livre passé quasi inaperçu lors de la rentrée littéraire de janvier. Et pourtant, Le Dernier Patriarche est une pépite (voir encadré). Écrit en catalan par Najat El Hachmi, 30 ans, il a reçu début 2008 le prix Ramon-Llull, une distinction littéraire dotée de 90 000 euros. Et s’est vendu à 55 000 exemplaires en Espagne.

Considérée comme la révélation des lettres catalanes, Najat El Hachmi s’était déjà fait remarquer en 2004 par un essai, Jo també soc catalana (« Moi aussi, je suis catalane »), sur l’intégration des immigrés marocains en Espagne. Une question qui lui tient à cœur et qui constitue la toile de fond du Dernier Patriarche.

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Née en 1979 à Nador, dans le nord du Maroc, Najat El Hachmi a rejoint son père émigré en Catalogne lorsqu’elle avait 8 ans. « Nous avons fait partie des premières familles marocaines à nous installer dans cette région, raconte-t-elle. Mes parents venaient d’une contrée rurale. Plus que la misère, c’est l’absence d’avenir qu’ils ont fuie. »

La jeune Najat grandit à Vic, où, très vite, elle se sent chez elle… tout du moins au collège. À l’instar de son héroïne, elle s’y sent libre et pleinement elle-même. « Quand je suis arrivée en Espagne, l’école était le seul endroit où je pouvais être moi-même, Najat, et non la petite Marocaine, la “Maure” ou l’étrangère. » En grandissant, elle a pourtant du mal à trouver sa place dans la société catalane.

Elle a l’impression de devoir choisir entre le monde de ses parents et celui de la société espagnole. « Ma crise d’adolescence s’est doublée d’une crise d’identité. Comme pour beaucoup d’enfants d’émigrés, j’ai vécu le conflit générationnel que j’avais avec mes parents comme l’obligation de devoir choisir entre ici, l’Espagne, le pays où je vivais, et le Maroc, la patrie de mes parents. Bien souvent dans ce cas, les parents identifient le comportement rebelle de leurs enfants à une négation de leurs origines. Et, malheureusement, la rupture familiale et culturelle est quasi inévitable ainsi que le montre mon livre. Ce qui m’a sauvé, c’est la découverte du terme “hybride”. Dorénavant, le monde va être comme ça, hybride. Nous allons tous être un peu de deux milieux à la fois. »

Studieuse, Najat obtient un diplôme de philologie arabe à l’université de Barcelone avant de travailler pour les services sociaux de Granollers. Comme le souligne Le Dernier Patriarche, le chemin de l’intégration passe par la maîtrise de la langue – le catalan, que son héroïne apprend en lisant le dictionnaire de A à Z pour fuir les colères et la folie de Mimoun, incarnation du père dominateur avec lequel elle négocie sa liberté, avant de rompre. « Nous étions six enfants à la maison et tous, en grandissant, nous nous sommes confrontés au pouvoir patriarcal. La contestation de ce pouvoir dans la société arabo-musulmane n’est pas un phénomène nouveau. Déjà en 1954, Driss Chraïbi l’évoquait dans Le Passé simple. Beaucoup de Marocaines émigrent pour fuir leur famille. Mais la question de la domination des femmes est, hélas, universelle. Dans mon roman, même la maîtresse de Mimoun n’échappe pas à son pouvoir. C’est pourtant une femme qui a fait des études, qui est indépendante économiquement et culturellement, contrairement à la mère passive de l’héroïne. »

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Une héroïne qui n’a pas de nom. Volontairement, comme pour mieux dénoncer le terrible pouvoir que les hommes ont sur les femmes. « J’ai toujours été impressionnée par une coutume du Rif, explique la romancière. Quand on demande à un homme des nouvelles de sa femme, s’il ne s’agit pas d’un membre de sa famille, on dit “comment vont les enfants ?”, en faisant référence à son épouse. On occulte son prénom dans l’intention de protéger son intimité, car les noms qui courent de bouche en bouche, ce sont ceux des femmes de mauvaise vie. Évidemment, c’est une manière de rendre invisible l’existence même des femmes ! »

Féministe, Najat El Hachmi ? Oui, assurément. « Nous devrions toutes pratiquer un féminisme qui non seulement essaie d’obtenir l’égalité des chances par rapport aux hommes, mais qui revendique aussi des droits propres à la nature des femmes, comme celui à une maternité tranquille. » Un engagement au quotidien.

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