124 films et 40 bougies

La plus grande rencontre du septième art africain célébrera ses 40 ans du 28 février au 7 mars prochain. Avec une sélection riche qui signe le retour en force de la production nord-africaine. L’occasion de revenir avec le nouveau délégué général du festival, Michel Ouédraogo, sur un secteur en difficulté. Interview.

Publié le 25 février 2009 Lecture : 7 minutes.

Le plus important et le plus célèbre des rendez-vous africains du septième art, le Festival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou (Fespaco), aura lieu du 28 février au 7 mars prochain. Cette 21e édition devrait rassembler quelque 5 000 festivaliers et professionnels. Et débattra, pour son quarantième anniversaire, d’un thème on ne peut plus sérieux : « Cinéma africain, tourisme et patrimoines culturels ».

Les 19 fictions en compétition pour le très convoité Étalon d’or de Yennenga proviennent de 13 pays. Deux d’entre eux, le Maroc et l’Afrique du Sud, dominent cette sélection avec trois films chacun pour les représenter. Face à ces deux « grandes puissances » actuelles du cinéma africain, d’autres nations tenteront de se distinguer avec deux films (Algérie et Burkina) ou un unique long-métrage (Cameroun, Congo, Égypte, Éthiopie, Guinée, Mali, Tunisie, Sénégal, Zimbabwe).

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Afin de donner un nouvel élan à la manifestation, les autorités burkinabè ont nommé à sa tête, en 2007, après douze années de règne de Baba Hama, un nouveau délégué général. Comme son prédécesseur, Michel Ouédraogo est avant tout un serviteur de l’État et un homme de communication et de médias. Il dirigeait depuis sept ans le groupe de presse et d’édition Sidwaya, qui publie sous ce nom le principal quotidien gouvernemental du Burkina. Il a déjà participé à l’organisation de plusieurs grands événements dans son pays comme la Coupe d’Afrique des nations ou le Sommet de la Francophonie. Sans être un homme de cinéma, il est néanmoins depuis de nombreuses années un familier du Fespaco, dont il a présidé la commission Communication. Comment cet homme ouvert, volontiers souriant, à l’allure dynamique, a-t-il préparé l’édition 2009 de la biennale ? Entretien.

Jeune Afrique : Sachant que le cinéma africain traverse une période particulièrement difficile, surtout au sud du Sahara, avez-vous rencontré des problèmes pour proposer une sélection de films de bon niveau ?

Michel Ouédraogo : J’avais au départ le même sentiment que vous. Je pensais que le cinéma africain ne se portait pas bien. Mais en réalité, lorsqu’il a fallu faire la sélection, on s’est aperçu que la situation n’était pas si mauvaise.

Peut-être y a-t-il un problème pour la production en termes de quantité, mais en termes de qualité, on a été agréablement surpris par notre moisson. Trente-sept longs-métrages en 35 mm voulaient participer à la compétition, mais on n’en a retenu que 19. Toutes sections confondues, c’est-à-dire avec les documentaires, les longs- et les courts-métrages, nous avons reçu 664 films. C’est plus que lors de l’édition précédente. Trois cent trente-neuf d’entre eux seront présentés ; 124 sont en compétition pour les 24 prix décernés.

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Si la qualité est si bonne, comment expliquez-vous que les films africains, surtout ceux du sud du Sahara, soient si peu nombreux à être diffusés à l’international, même lorsqu’ils ont été primés au Fespaco ?

Il faut faire une différence entre la qualité technique des films – qui s’améliore beaucoup – et leur vie commerciale. Cette dernière dépend de nombreux facteurs indépendants de leur qualité, à commencer par les thèmes abordés. Il y a beaucoup de grands films, même français ou américains, qui n’ont jamais rencontré de succès commercial et qui ont du mal à être diffusés à l’international.

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Mais, dans la majorité des cas, les films africains ne sont guère visibles en Afrique, y compris dans leur pays d’origine, faute de distributeurs et de salles…

La question de la distribution est effectivement préoccupante. On doit faire évoluer la situation. En tout premier lieu, il faut qu’il y ait des salles et que celles-ci soient alimentées par des distributeurs. Sans les structures nécessaires pour accompagner la production, le cinéma africain, qui a déjà un problème de financement, ne pourra pas se développer. Il faudrait avoir une réflexion globale. Car tout est lié : pourquoi produire des films si on ne peut pas les voir en salles ? Il est certain que la politique de privatisation des salles, qui étaient souvent la propriété de l’État, n’a pas conduit qu’à de bons résultats. Bien au contraire. Les gouvernements devraient considérer que, de même qu’il faut construire des écoles, il faut ouvrir des salles de cinéma. Dans les deux cas, il s’agit d’espaces d’éducation.

Le Fespaco 2009 s’annonce-t-il comme un bon cru ?

Ce sera un très bon cru. Certains films sont vraiment excellents. Et toute l’Afrique pourra se retrouver dans cette sélection issue de 13 pays. C’est une sélection qui a l’ambition de représenter l’Afrique au niveau mondial. Ces films, j’en suis persuadé, ont tout ce qu’il faut pour plaire aux spectateurs – africains ou non –, qu’ils soient projetés lors de festivals ou en salles.

L’Afrique du Nord, qui était presque absente de la compétition en 2007, fait un retour en force. Un choix délibéré pour rééquilibrer la sélection ?

Non, c’est simplement la récompense des efforts de certains pays, le Maroc en tête, qui, grâce à une politique en faveur du cinéma, produisent plus de films, et de bonne qualité. 12 films marocains se sont inscrits. Nous en avons retenu trois. Et l’Afrique du Sud sera également très présente, grâce à l’importance de sa production nationale. Nous aimerions que d’autres pays suivent de tels exemples. Mais, l’essentiel, c’est que beaucoup de pays différents puissent présenter des films de qualité. On a eu, par exemple, la bonne surprise cette année de voir l’Éthiopie revenir au Fespaco, alors qu’elle ne proposait plus de films depuis longtemps.

Plusieurs grands noms du cinéma africain, dont des anciens lauréats comme le Congolais Mweze Ngangura ou le Sud-Africain Zola Maseko, concourent dans la catégorie documentaire. Est-ce parce qu’ils ne trouvent plus les moyens de tourner des fictions ?

Pour certains évidemment, même si le genre documentaire a par ailleurs le vent en poupe. Beaucoup de grands réalisateurs africains, comme Idrissa Ouédraogo, par exemple, ont du mal à produire leurs fictions car c’est un genre qui exige de gros budgets.

Pourquoi le Fespaco impose-t-il aux films sélectionnés d’être en 35 mm alors que le numérique permet aujourd’hui de produire à moindre coût ?

Il ne faut pas se précipiter pour changer les règles. On n’obtient pas encore la même qualité avec le numérique. Et les salles en Afrique ne sont pas équipées pour projeter en numérique. Ailleurs, cela commence à peine. Les films qui ne seraient pas en 35 mm resteraient le plus souvent dans des tiroirs.

Quelles sont les innovations pour ce 40e anniversaire ?

On veut plus que jamais mettre les cinéastes au centre de la manifestation. Ainsi, par exemple, après la traditionnelle cérémonie d’ouverture officielle dans le stade de Ouagadougou avec les responsables politiques, ouverte à tout le monde et très médiatisée, on va organiser une deuxième cérémonie d’ouverture le lendemain, réservée aux professionnels. On va également organiser tous les soirs des nuits musicales, pour permettre aux cinéastes, après les projections, de nouer des relations, de continuer à discuter et, bien sûr, de faire la fête !

Allez-vous un jour transformer le Fespaco en une manifestation annuelle, comme beaucoup le souhaitent, pour améliorer sa visibilité ?

C’est un objet de débat depuis des années. Cela nécessiterait de mobiliser beaucoup plus de moyens, ce qui est difficile, alors même que l’on doit se demander si la production africaine pourrait permettre aujourd’hui d’organiser un tel festival annuel. Voudrait-on d’un Fespaco qui se résumerait pour l’essentiel à une compétition entre le Maroc et l’Afrique du Sud ? Seule une augmentation significative de la production cinématographique pourrait justifier qu’on adopte un rythme annuel. Question visibilité, on va plutôt tenter d’organiser après le festival une sorte de caravane du Fespaco pour montrer aussi largement que possible, en Afrique d’abord puis sur les autres continents, les œuvres primées.

À propos des moyens justement, quel est le budget du Fespaco ?

Ce budget, qui est aujourd’hui de l’ordre de 2 millions d’euros, avec pour principal pourvoyeur de fonds le Burkina, est de plus en plus difficile à financer. Parce que la manifestation continue à prendre de l’ampleur. Il y a de plus en plus de festivaliers et de personnes à prendre en charge.

Le Fespaco pourrait-il inciter les États africains à aider le cinéma ?

Si le Fespaco peut faire quelque chose, il le fera. Car c’est une question essentielle pour promouvoir la culture. Il faut absolument – au-delà du problème des salles déjà abordé – que les États soutiennent la production. Et qu’ils définissent des stratégies. C’est un vrai sujet politique. Mais les premiers à agir devraient être les cinéastes eux-mêmes. Notamment à travers leurs organisations professionnelles comme la Fepaci [Fédération panafricaine des cinéastes, NDLR], qui a d’ailleurs le statut de membre observateur auprès de l’Union africaine, qu’il faudrait mobiliser.

Supposons que dans dix ans vous quittiez votre fonction à la tête du Fespaco…

Mais dans dix ans, je ne serai plus là ! Il ne faut pas rester trop longtemps dans la même fonction pour garder sa motivation…

Quand sera venu pour vous le moment de partir, qu’est-ce qui vous permettra de juger si vous avez réussi votre mission ?

C’est très simple : j’aurai réussi si le cinéma africain se porte mieux qu’aujourd’hui. Et si le Fespaco, bien sûr, a pris encore plus d’importance.

À titre personnel, quels réalisateurs appréciez-vous ?

Je citerai avant tout Coppola. J’ai apprécié en particulier la trilogie du Parrain. Et aujourd’hui, j’aime beaucoup les films de Michael Moore.

Deux Américains !

Pourquoi pas, si ce sont les meilleurs.

Et parmi les Africains ?

Sembène reste évidemment la grande référence. Il me serait difficile de ne pas citer aussi mes compatriotes Idrissa Ouédraogo et celui qui préside cette année le jury, Gaston Kaboré. Et Abderrahmane Sissako.

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