Salaheddine Mezouar: « Nous ne recherchons pas les effets d’annonce à coup de milliards »

Augmentation de l’investissement public, relance de la consommation, soutien direct aux entreprises… le gouvernement vise une croissance de 6,7 % du PIB en 2009 dans un environnement mondial déprimé.

Publié le 24 février 2009 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Le Maroc n’a-t-il pas sous-estimé l’impact de la crise internationale ?

Salaheddine Mezouar : En 2008, dès les premiers effets de la crise financière mondiale, nous avons affirmé, après vérification de la qualité de nos avoirs extérieurs, que notre système bancaire n’était pas exposé à une contagion. Ma conviction à ce sujet n’a pas varié, au contraire. Malgré les perturbations de l’économie mondiale en 2008, le Maroc a terminé l’année avec une croissance autour de 6 % et un excédent budgétaire de 0,4 %. Nous abordons 2009 avec de bons fondamentaux.

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Mais cet optimisme n’a-t-il pas pris le pas sur des mesures de relance ?

Pas du tout. Le Maroc n’est pas dans une logique de plan de relance, mais plutôt de soutien à la croissance. On relance quand on est en récession, pas quand on est en croissance. Nous avons intégré dans la loi de finances 2009 le recul de la demande internationale adressée au Maroc, et nous avons anticipé des décisions qui ont été prises par beaucoup de pays pour faire face à la crise et relancer leur économie. La loi de finances a ainsi prévu une augmentation de 18 % de l’investissement public, une amélioration substantielle des revenus à travers la baisse de l’impôt sur le revenu, les ajustements de salaires et le soutien de certains produits de base. Elle a également prévu un soutien important à la compétitivité des PME : une réduction des coûts des intrants, des encouragements fiscaux pour la recapitalisation, et un soutien à l’exportation.

À quoi doit servir le comité de veille stratégique mis en place par le Maroc ?

Nous sommes face à une crise dont personne ne maîtrise la profondeur ni la durée. Des secteurs exportateurs en ressentent les premiers effets. Il s’agit pour nous d’être très réactifs dans les décisions et leur mise en œuvre, mais surtout d’être en situation de veille permanente. C’est le rôle de ce comité qui regroupe les ministères économiques, les représentants des opérateurs économiques et des systèmes bancaires et financiers. Nous nous sommes inscrits dans une logique d’accompagnement et de soutien sectoriel. Nous ne recherchons pas des effets d’annonce à coups de milliards ni à instituer des plans de relance qui produisent plus d’inquiétudes qu’ils ne résolvent de problèmes. La confiance entre le système bancaire et les opérateurs économiques est maintenue et nous comptons la préserver. C’est fondamental. Le souci de ce comité est de préparer également l’après-crise, et nous voulons en sortir plus forts.

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Quelles sont les premières mesures qui vont être ­prises ?

Trois mesures qui concourent au même objectif, celui de préserver l’emploi, les compétences, et préparer l’après-crise. Les conditions commerciales vont se durcir et la visibilité sur les carnets de commandes va devenir instable. Cela risque d’avoir des répercussions sur le fonds de roulement des entreprises. Pour cela, nous mettrons en place un dispositif de garantie de l’État afin de maintenir les lignes de financement des entreprises. Pour maintenir l’emploi et préserver les compétences, un soutien direct de 20 % de la masse salariale distribuée va être accordé aux secteurs exportateurs en difficulté. Et pour soutenir l’effort commercial de prospection et de recherche de nouveaux marchés, une prise en charge de 80 % des frais commerciaux sera assurée. En contrepartie, les entreprises s’engageront à conserver leurs personnels et à s’adapter commercialement aux nouvelles contraintes du marché international.

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Comment agira ce fonds ? Les banques joueront-elles le jeu ?

Les mécanismes de garantie que nous mettons en place sont préparés avec les banques et les opérateurs économiques pour être effectifs immédiatement après leur annonce. Il s’agit dans le cas d’espèce de deux mécanismes : un moratoire d’une année sur les crédits à moyen terme, et une garantie, à la demande des banques, d’une partie du fonds de roulement des entreprises qui ne verraient pas leur ligne ou une partie de leur ligne renouvelée. Le système bancaire est totalement impliqué et engagé, dans les limites, naturellement, de ses responsabilités.

Quelles seront les entreprises bénéficiaires ?

Pour l’heure, trois secteurs : les composants automobiles, le textile-habillement, le cuir et les chaussures.

N’est-ce pas aussi maintenir en vie des entreprises condamnées ?

Une entreprise moribonde est une entreprise qui finira par disparaître tôt ou tard. Le soutien ira à celles qui auront mis les moyens et les conditions nécessaires pour fonctionner normalement.

Récemment, la Banque mondiale a dépeint le secteur manufacturier marocain comme l’un des moins dynamiques des pays émergents. Qu’en pensez-vous ?

Les critères retenus méritent d’être revus, tout comme leur manière d’enquêter. S’il y a un pays qui a une stratégie économique claire, c’est bien le Maroc. Nous accélérerons la diversification de notre tissu économique avec des activités à plus forte valeur ajoutée, tournées vers le marché international. Il y a cinq ans, on ne connaissait que le textile et l’agroalimentaire. Aujourd’hui, on parle d’aéronautique, d’automobile, d’électronique, d’offshoring… Nous restons le deuxième pays d’Afrique à attirer les investissements étrangers. La croissance se maintient malgré la crise. On ne peut pas parler d’un côté du modèle marocain et de l’autre d’un pays avec des performances faibles. Nous sommes un pays de réformes. Certaines ne vont peut-être pas au rythme souhaité. Ces rapports sont là pour nous le rappeler. Mais on ne peut pas lancer à la légère des classements qui ne correspondent pas à la réalité.

La décision de Nissan de suspendre sa participation dans l’usine de Tanger n’est-elle pas inquiétante ?

Nous n’avons pas signé de contrat avec Nissan, mais avec Renault. L’usine de Tanger verra le jour et ce site apportera des alternatives au développement du secteur automobile dans la région. Si ce n’était qu’un investissement de capacité, je serais inquiet, mais c’est un investissement stratégique.

Dans le textile, en revanche, le Maroc n’est-il pas dépassé par ses concurrents régionaux ?

Le repositionnement stratégique du textile-habillement n’a pas été accéléré. C’est très regrettable, car cette reconversion a été décidée dès 2002. Or plus des deux tiers des industriels sont encore des façonniers. Ils auraient dû anticiper les évolutions futures et passer vers le développement produit, qui assure la pérennité de l’activité. La crise poussera ces entreprises dans ce sens. Et je reste convaincu que le Maroc restera l’un des principaux fournisseurs de la région pour le marché européen. Nous voulons aider le secteur à résister et à accélérer sa mutation pour tirer bénéfice de cette crise.

Et les 50 000 emplois perdus dans le textile en 2008 ?

Ces chiffres sont faux. Un secteur dont l’activité recule de 8 %, comme cela a été le cas l’an passé, ne perd pas 25 % de son effectif ! La perte des emplois devrait être équivalente à la perte du chiffre d’affaires. Nous aurons les chiffres exacts en mars, et on verra qu’il s’agit d’une pure invention.

La crise ne remet donc pas en cause la stratégie du Maroc ?

Au contraire, notre pays confirme ses choix stratégiques. Je persiste à dire que la crise est également une opportunité aussi bien pour le Maroc que pour l’ensemble des pays du Maghreb. C’est aussi l’opportunité de confirmer encore plus l’ambition euro-méditerranéenne. La sortie de crise va être d’abord régionale avant d’être internationale.

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