Le plan anticrise marocain
Le gouvernement a multiplié les rendez-vous avec le privé avant d’adopter des mesures pour sauver les industries exportatrices en difficulté. Le textile, le cuir et l’automobile sont les premiers bénéficiaires.
Mobilisation générale au Maroc. « Nous sommes alertés par des industriels qui souffrent à l’export dans le textile et l’habillement, le cuir et les composants automobiles. L’immobilier de luxe et le tourisme sont sous surveillance. Le reste de l’activité économique n’est pas touché », détaille Moulay Hafid Elalamy, le président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), le patronat du pays.
Pour faire barrage et éviter une contamination générale, les pouvoirs publics, avec l’appui du secteur privé, ont mis la dernière main à un dispositif anticrise qui devait être annoncé lundi 23 février. Il regroupe des « mesures d’aide et d’accompagnement pour soutenir l’activité industrielle liée à l’exportation et préserver l’emploi ». Ces mesures font l’objet de contrats programmes parafés par le Premier ministre. L’ensemble a été piloté par Salaheddine Mezouar (lire interview page suivante), le ministre de l’Économie et des Finances, à la tête d’un comité de veille stratégique qui s’est mis en place à Rabat le 4 février.
Sorte de front uni qui durera le temps de la crise économique, il est composé de sept ministres titulaires de portefeuilles économiques (Industrie, Commerce et Nouvelles Technologies ; Tourisme ; Commerce extérieur…), du gouverneur de la Banque centrale Abdellatif Jouahri, de personnalités du milieu des affaires, comme le directeur général de l’OCP, Mostafa Terrab, le président du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), Othman Benjelloun, ainsi que de représentants de plusieurs organisations professionnelles dans le BTP, le textile-habillement, l’automobile, le tourisme, avec leur chef de file, Moulay Hafid Elalamy.
« Le pays commence enfin à prendre des mesures, relève Jamal Belahrach, le directeur général de Manpower Maroc. Nous sommes en retard car le nuage de la « tcherno-crise » ne s’est pas arrêté à Tanger. Il est temps de prescrire les bons remèdes. Les pays qui s’en sortiront le mieux seront ceux qui auront la bonne posologie. » Mais rien n’est simple. Un premier train de mesures devait être dévoilé au cours de la semaine du 16 février. Mais ces quinze derniers jours, les réunions se sont succédé, souvent jusqu’à très tard dans la nuit. Au menu, trois domaines de discussions : le soutien financier (moratoire d’un an sur les crédits à moyen terme, garantie de l’État auprès des banques sur une partie des fonds de roulement des entreprises…), commercial (aides à la prospection de nouveaux marchés, prise en charge de 80 % des frais commerciaux…) et social (allègement de 20 % de la masse salariale…).
« Le volet commercial est très utile, mais il ne sert pas à grand-chose de vendre davantage une offre que les clients connaissent déjà. On sait aussi que les banques resteront prudentes. Nous avons déjà plusieurs cas d’entreprises qui se sont vu refuser des lignes de crédits », tempère Karim Tazi, le président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (Amith). Pour ce membre du comité de veille stratégique, la priorité est ailleurs : « La dimension sociale, sur laquelle les discussions ont été les plus vives, est la plus importante. Or l’État a voulu lier les aides au maintien des emplois. Comment garantir tous les emplois si les carnets de commandes se réduisent trop ? » Les industriels ont suggéré d’instituer des aides proportionnelles aux emplois préservés dans les entreprises. Pour débloquer la situation, un round de rencontres s’est par ailleurs discrètement mis en ordre de marche dans les coulisses des négociations officielles entre le cabinet de Salaheddine Mezouar et une poignée de représentants des professions concernées. Au final, les différents protagonistes sont tombés d’accord lors d’une ultime réunion, le 18 février.
Textile : 20 000 emplois perdus
Il était temps. Sur le terrain, la situation ne s’améliore guère. Si les données ne seront connues qu’en mars, l’activité du textile-habillement aura chuté de 8 % en 2008 pour 20 000 emplois perdus. Inquiétude identique dans la sous-traitance automobile. « En termes de commandes, nous avons de quoi tenir quatre à cinq mois. C’est préoccupant », souligne Khalid Ammour, le patron de Platform Concept, une société d’ingénierie. Un secteur frappé par l’arrêt de contrats de production et des licenciements. « L’impact de la crise en Europe s’est fait sentir dès octobre 2008. Nous avons tiré le signal d’alarme en novembre. En plus d’une baisse des carnets de commandes de 30 %, nous souffrons d’un manque total de visibilité. Il faut s’accrocher pour traverser 2009 sans perdre trop d’emplois », résume Larbi Belarbi, le président de l’Association marocaine pour l’industrie et le commerce de l’automobile (Amica).
En attendant des jours meilleurs, les industriels marocains élaborent des « plans B ». Ceux qui ont perdu leurs donneurs d’ordres européens démarchent l’Asie ou se recentrent sur leur marché national, qui, après une progression annuelle de 20 % en moyenne ces quatre dernières années, devrait encore progresser de 5 % à 10 % en 2009. « Faut-il cesser d’investir à la première intempérie ? s’interroge Khalid Ammour. Je ne le crois pas. Je viens d’acheter une usine. J’attends pour embaucher et je serai prêt lorsque les donneurs d’ordres reviendront et que Renault s’installera à Tanger. » Même optimisme dans l’offshoring (externalisation de services informatiques). Avec ses 150 centres d’appels, le Maroc conserve ses atouts. « La crise peut être une opportunité, insiste Yahya El Mir, le PDG de SQLI. Les entreprises françaises vont vouloir réduire leurs coûts, ce qui frappera les systèmes d’information. C’est là que le Maroc a une carte à jouer. »
Des fondamentaux solides
En attendant, le coup de pouce de l’État est salvateur. Il en a les moyens. Avec des recettes fiscales en hausse de 3,2 % cette année, un déficit public contenu à 2,9 % du PIB, le Maroc affiche de bons fondamentaux dans un contexte porteur, avec des récoltes qui s’annoncent excellentes et une croissance attendue à 6,7 % en 2009. Et avec un budget calculé sur un baril de pétrole à 100 dollars, alors que les prévisions misent plutôt sur 50 dollars, l’État dispose d’une botte secrète. « De cette manière, l’État se ménage une marge de manœuvre équivalente à 1 % du PIB, ce qui lui permettra de soutenir les secteurs en difficulté et d’alléger les contraintes sociales », explique Abdellatif Jouahri, le gouverneur de la Banque centrale.
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