Rabah Saadane: « Il nous faut une politique sportive d’élite »

Pour le sélectionneur de l’équipe nationale, malgré les résultats encourageants des Verts, le football algérien n’est pas sorti de la crise. Et appelle une vraie réforme.

Publié le 24 février 2009 Lecture : 5 minutes.

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Joueur à Batna, Constantine, El-Biar, Blida et Rennes avant de passer à l’encadrement technique, à 62 ans, Rabah Saadane est de retour auprès des Verts depuis octobre 2007, en remplacement de Jean-Michel Cavalli, limogé après l’élimination de la sélection algérienne de la course à la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2008. Une équipe nationale qu’il connaît bien pour l’avoir entraînée en 1981, 1984-1986, 1999 et 2003-2004.

Jeune Afrique : En septembre, avant le match contre le Sénégal en éliminatoires de la Coupe du monde et de la CAN 2010, vous avez dit que le football n’était pas la priorité des pouvoirs publics… ?

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Rabah Saadane : Je ne l’ai pas vraiment dit comme cela. L’Algérie connaît des problèmes économiques comme beaucoup d’autres pays et l’on peut comprendre que le sport ne soit pas la principale préoccupation des autorités. Mais dans une société qui se veut moderne, le sport compte aussi. Or le budget qui lui est alloué en Algérie est maigre.

Certains ne risquent-ils pas de penser que vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas ?

C’est possible. Mais je n’ai pas accepté de revenir pour la cinquième fois à la tête de l’équipe nationale pour me concentrer uniquement sur son cas. Je crois que le moment est venu de mettre en place une vraie politique d’élite et que l’État doit davantage s’impliquer en donnant des moyens à l’équipe nationale, mais aussi aux clubs.

Cela rappelle le credo des années 1970, quand l’État s’occupait de tout. Recette qui a perduré dans les années 1980, l’âge d’or du foot algérien…

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Dans les années 1970, il y avait un professionnalisme socialiste. L’État donnait de vrais moyens à la sélection et aux clubs. Ces derniers étaient parrainés par de grosses entreprises, nationalisées, et ils étaient prioritaires pour l’utilisation des équipements sportifs. Aujourd’hui, les entreprises se contentent de sponsoriser et les clubs ont beaucoup de difficultés à profiter des installations, largement utilisées pour le sport de masse.

Quand l’État décidait, il y avait une vraie politique sportive, qui commençait au collège et se poursuivait au lycée. D’ailleurs, l’idée de remettre des moyens pour développer les lycées sportifs revient dans l’air du temps.

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Quels bénéfices tirait l’équipe nationale de cette politique ?

Les joueurs étaient complètement professionnels, avec des salaires corrects, des primes et des avantages. Le championnat était d’un bon niveau. Les clubs étaient performants dans les compétitions continentales et il était possible d’organiser régulièrement des stages pour l’équipe nationale.

Il semble que l’Algérie reste sur sa participation aux Coupes du monde de 1982 et 1986. Et sa victoire lors de la CAN 1990 à Alger…

C’est exactement ça ! À partir de 1990, le désengagement des entreprises nationales a commencé, puis s’est accéléré. L’État continuait à verser des subventions, des mécènes donnaient de l’argent à certains clubs, mais cela ne suffisait plus. Ensuite, il y a eu les graves événements que l’on sait… Bref, tout ou presque se concentrait sur l’équipe nationale et, dans le même temps, on a privilégié la masse à l’élite.

Cette nostalgie des années 1980 concerne-t-elle aussi la sélection ?

Bien sûr. Mais il faut passer à autre chose. Le pays est resté figé sur cette génération dorée. On ne parle que d’elle, vingt ans après !

Depuis, les clubs sortent moins de joueurs car ils n’ont ni les moyens, ni les conditions nécessaires pour bien travailler. Certains d’entre eux sont presque SDF, et pas des moindres : le Mouloudia d’Alger, l’USM Alger… La capitale compte cinq clubs sur 2 km2 : El-Harrach, Hussein-Dey, Kouba, Belcourt et OM Ruisseau, qui a été relégué en D2. Tous ont un mal fou à trouver des terrains d’entraînement et un stade ! Celui du 5-Juillet, à Alger, est fermé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous n’avons pas pu recevoir l’Uruguay en match amical le 11 février 2008. Les Sud-Américains étaient d’accord pour nous affronter, mais dans la capitale. Finalement, l’Algérie a accueilli le Bénin à Blida… Et puis nous avons perdu des clubs (comme Tlemcen, Mostaganem), qui fournissaient des joueurs à la sélection. Résultat : notre championnat est faible, les clubs ne brillent plus en Coupes d’Afrique et les joueurs n’ont pas une mentalité assez professionnelle.

Cela étant, la sélection n’est pas uniquement composée de locaux…

Heureusement, nous avons des joueurs comme Bougherra et Hemdani (Glasgow Rangers), Ziani (Marseille), Belhadj (Portsmouth), Djebbour (AEK Athènes), qui sont nés en France et ont été formés dans des clubs français. Ils y ont appris les exigences du professionnalisme. En Algérie, on arrive à sortir de bons joueurs, mais il leur manque la culture tactique et technique. Il serait profitable au foot algérien que les jeunes talents détectés soient placés dans des clubs en Europe pour progresser.

Vos bons résultats génèrent une vague d’optimisme. Cela vous inquiète ?

Oui. Nous venons de nous qualifier pour le deuxième tour des éliminatoires jumelées de la CAN et de la Coupe du monde 2010 en éliminant le Sénégal, le Liberia et la Gambie. Et j’entends partout que nous allons nous qualifier pour le mondial. Cela reste possible, mais nous devons affronter l’Égypte, la grande favorite, qui a remporté deux titres successifs de championne d’Afrique, 2006 et 2008, pendant que l’Algérie était à la maison… Alors ne nous trompons pas, l’objectif est de se qualifier pour la CAN 2010 en Angola.

Nous avons réussi à aller jusqu’en quarts de finale de la CAN 2004 en Tunisie mais, jusque-là, l’Algérie n’avait plus aucun résultat. Les clubs non plus. Le dernier à avoir gagné une compétition africaine est le JS Kabylie, avec la Coupe de la CAF, en 2002. Il faut s’inspirer de la Tunisie et de l’Égypte, qui dominent le football africain. Ils ont un championnat de bon niveau, structuré, et une organisation beaucoup plus professionnelle. Ici, on attend toujours que l’équipe nationale obtienne des résultats pour redémarrer… Mais la sélection n’est pas tout !

Valse des sélectionneurs et mauvaise ambiance entre joueurs sont parmi les raisons avancées pour expliquer les mauvais résultats de la sélection ces dernières années. Qu’en pensez-vous ?

Il est évident que changer trop souvent de sélectionneur n’est jamais bon. Cela n’a pas aidé la sélection. Quant aux relations entre joueurs, elles sont bonnes. J’avais en effet entendu parler de tensions dans la sélection, mais aujourd’hui tout va bien.

Êtes-vous de ceux qui estiment que les joueurs étrangers freinent la progression des locaux ?

Nos clubs travaillent peu au niveau de la formation. Alors qu’au Mali ou au Burkina Faso, des écoles de foot sortent de jeunes joueurs, qui passent par le championnat algérien, lequel constitue pour eux un tremplin avant d’aller en Europe. Ce n’est pas forcément une bonne chose pour le football algérien, car, ponctuellement, ces joueurs prennent la place de jeunes locaux.

En tant que sélectionneur national, disposez-vous de moyens suffisants ?

Honnêtement, oui. Je vais régulièrement en Europe superviser et rencontrer les internationaux qui y évoluent. Fin décembre et début janvier, j’étais en Ouganda pour la Coupe de la CECAFA, pour observer la Zambie et le Rwanda. Lorsque nous sommes en stage, la fédération nous loge dans de bons hôtels. Les problèmes de primes sont réglés à l’avance [en cas de qualification pour la CAN 2010, chaque joueur touchera 20 000 euros ; si l’équipe se qualifie pour la Coupe du monde 2010, la prime grimpera à 100 000 euros, NDLR]. Ce sont des soucis en moins et les discussions financières ne viennent plus parasiter les regroupements de la sélection. 

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