Rodolphe Saadé : « la Chine reste le moteur numéro un de notre croissance »
Présent en Chine depuis une vingtaine d’années et leader en Afrique, le troisième armateur mondial est bien placé pour observer l’essor des échanges entre l’Empire du Milieu et le continent. L’analyse de Rodolphe Saadé, directeur général délégué de CMA CGM.
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Chez CMA CGM, il y a comme un parfum de Chine. Le groupe, fondé à Marseille (France) par une famille libanaise, s’y est implanté dès 1992, bien avant l’explosion économique du pays. Un pari qui a fini par payer. Si dans la première décennie du XXIe siècle le spécialiste du transport conteneurisé s’est hissé au troisième rang mondial, c’est en grande partie à l’envolée du commerce entre la Chine et le reste du globe qu’il le doit. Numéro un aujourd’hui sur les lignes reliant l’empire du Milieu à la Méditerranée, numéro deux sur celles avec l’Amérique, CMA CGM raccorde aussi chaque jour, ou presque, l’Afrique au pays qui est devenu son deuxième partenaire (derrière l’Europe).
Depuis la fin de l’année 2005 et l’acquisition de Delmas, CMA CGM s’est positionné au deuxième rang des transporteurs maritimes desservant en lignes régulières les ports africains, notamment dans le golfe de Guinée. Une position privilégiée pour observer ce qui reste une relation relativement déséquilibrée. Ne transportant pas de pétrole et très peu de minerais, l’entreprise voit la plupart de ses bateaux repartir à vide des côtes africaines, alors qu’ils arrivent chargés de biens de consommation « made in China ». Rodolphe Saadé, directeur général délégué du groupe, a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Propos recueillis par Frédéric Maury
Jeune Afrique : Vous vous êtes rapproché en janvier 2013 de China Merchants Holdings, numéro un du secteur portuaire en Chine. Pourquoi ce choix ?
Rodolphe Saadé : Nous avons décidé il y a plusieurs mois de céder une participation minoritaire de notre activité dans les terminaux [portée par la société Terminal Link, NDLR]. Nous n’avions pas besoin d’avoir 100 % du capital et nous cherchions un partenaire stratégique pour continuer à nous développer et aller dans certains pays du monde. Nous avons initié des discussions avec China Merchants, qui est un groupe ultrapuissant en Chine, très présent dans les terminaux portuaires. Nous avons constaté que nos deux compagnies s’accordaient véritablement. China Merchants avait l’objectif de développer ses activités aux États-Unis, en Amérique du Sud, dans les Caraïbes et dans d’autres pays du monde, et, à ce titre, nous avons trouvé que ce partenariat avait beaucoup de sens. CMA CGM garde le contrôle de cette activité, mais fait entrer un partenaire à hauteur de 49 %.
CMA CGM a une histoire très particulière avec la Chine…
CMA CGM a débuté son histoire en Chine en 1992, période à laquelle on ne pouvait faire que du transbordement dans ce pays : il était impossible d’y faire escale en direct. Nous avons commencé par quelques bureaux dans le sud de la Chine ; ensuite, nous nous sommes étendus vers le centre, et aujourd’hui nous avons plus de soixante bureaux en propre dans le pays. Nous y avons très peu d’expatriés ; la plupart des employés, dont nos deux patrons sur place, sont chinois.
Nous sommes numéro un ou deux en Chine quelle que soit la destination, vers le nord de l’Europe, vers l’Amérique, vers la Méditerranée.
CMA CGM est bien placé pour constater la croissance des échanges entre l’Afrique et la Chine. Cette tendance a-t‑elle résisté au ralentissement mondial ?
Lorsque nous avons repris Delmas, c’était une compagnie très concentrée sur les liaisons Europe-Afrique. Nous l’avons connectée à nos liaisons internationales vers l’Amérique, vers la Chine. Delmas reste une marque indépendante mais, grâce au maillage, a accès à un réseau mondial. La croissance des échanges avec l’Afrique reste très importante, car le continent produit très peu et importe presque tous les produits dont il a besoin. Notamment en provenance de Chine.
Les conteneurs, donc, repartent toujours à vide…
Au départ de Chine et d’Europe, nos navires sont bien pleins. Au départ de l’Afrique, nous avons quelques commodités, comme le coton. Mais le sens lucratif reste celui de l’import vers l’Afrique.
Cela évolue ?
Peu, mais nous avons parfois des surprises car certains pays d’Afrique se mettent à exporter [en conteneurs, NDLR] quelques produits comme la noix de cajou.
Les groupes chinois se décident-ils vite pour investir ?
Dans le cas de China Merchants, nous faisons escale depuis longtemps dans un port du sud de la Chine géré par ce groupe. Nous le connaissions donc déjà bien. Nous avons conclu notre partenariat avec eux en six mois, ce qui est très court. Nous sommes présents dans de nombreux pays et dans certains d’entre eux, nous avons des soucis avec des partenaires. Mais de manière générale, depuis que nous travaillons en Chine, nous avons rarement eu de problèmes avec nos partenaires chinois.
Les armateurs chinois sont peu nombreux dans les ports africains. Est-ce parce que des compagnies comme la vôtre ou Maersk occupent la place ?
Les trois plus grands armateurs mondiaux sont européens. Les Asiatiques sont assez présents sur certains marchés, comme le transpacifique, mais peu sur les autres. Ils sont en train de se développer sur l’Afrique, car ils y sont poussés par l’État. Mais l’Afrique est un continent complexe et on ne peut pas ouvrir du jour au lendemain un réseau sur place.
Les Chinois ont un autre atout : les largesses de leurs banques d’État. CMA CGM n’est-il pas tenté de financer son développement grâce à ces établissements ?
Absolument. D’ailleurs, le groupe CMA CGM a passé commande de dix navires de 9 000 EVP [équivalents vingt pieds, unité de mesure du trafic conteneurisé] qui seront construits en Chine et financés par des banques chinoises. Ces navires permettront de relier la Chine à l’Amérique du Sud. C’est la première fois que nous en commandons dans ce pays. La Chine est désormais capable de construire de grands navires et commence à rivaliser avec la Corée du Sud. Et nous avons obtenu des facilités financières qui nous ont vraiment intéressés.
Auprès de quelle banque ?
La banque d’import-export chinoise [China Exim Bank].
Vous pourriez travailler de nouveau avec ces financiers ?
Oui, c’est tout à fait possible.
Vous avez aussi des lignes vers l’Inde et le Brésil, les autres grands pays émergents. Se développent-elles aussi rapidement ?
La Chine reste le moteur numéro un de notre croissance. L’Inde se développe, mais a des problèmes d’infrastructures. Nos lignes avec la Russie sont en forte croissance, comme vers l’Inde et les États-Unis. Nous avons des services vers l’Afrique au départ du Brésil et de l’Argentine, au départ du Moyen-Orient et de l’Inde, mais aujourd’hui les liens en forte croissance restent malgré tout ceux avec la Chine.
1970 Naissance
1993 Fonde Dynamics Concept, entreprise de refroidisseurs d’eau, au Liban
1994 Entre chez CMA CGM, où il dirige successivement plusieurs lignes
2004 Nommé directeur général de CMA CGM
2008 Nommé président de Delmas (acquis en 2005)
2010 Nommé directeur général délégué et membre du conseil d’administration de CMA CGM
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