Plaignez le pauvre Bébé Doc !
La Suisse va restituer aux autorités de Port-au-Prince 4,7 millions de dollars déposés dans ses banques par les membres du clan Duvalier, de sinistre mémoire.
Il aura fallu plus de vingt ans pour que la procédure de demande d’entraide judiciaire transmise par Haïti aux autorités suisses aboutisse enfin. Le 12 février, un arrêt de l’Office fédéral de la justice (OFJ) a ordonné la restitution, sous forme de dons à des ONG œuvrant au développement d’Haïti, des 4,7 millions d’euros déposés sur les comptes suisses du clan Duvalier, au pouvoir de 1957 à 1986. En 1971, Jean-Claude, alias Bébé Doc, succéda à François, son père, dit Papa Doc. Pendant près de trente ans, le régime ne réussit à se maintenir que grâce à ses hommes de main, les sinistres Tontons macoutes.
Astuce juridique
En 2002, une première requête d’entraide judiciaire n’avait pas abouti. Mais la décision du Conseil fédéral de prolonger le gel des comptes incriminés a permis de trouver une parade juridique. L’astuce ? Considérer que les Duvalier ont agi « comme une organisation criminelle en pillant l’État haïtien », indique l’OFJ. Une interprétation qui inverse la charge de la preuve : ce n’est plus à Haïti d’établir l’origine frauduleuse des fonds, mais aux intéressés de prouver que lesdits fonds ont été acquis légalement. Ce dont, bien sûr, ils ont été incapables.
Mais l’argument de l’OFJ est fragile. « Le concept pénal d’organisation criminelle ne s’applique pas a priori à des organisations étatiques », commente Me Sandrine Giroud-Roth, avocate de Transparency International Suisse. Les Duvalier feront-ils pour autant appel devant le tribunal fédéral, en invoquant, par exemple, une éventuelle prescription ? « Rien n’est moins sûr, estime Me Giroud-Roth. En 2005, le tribunal fédéral a eu recours à la même argumentation dans l’affaire Sani Abacha. Or 505 millions de dollars ont bel et bien été restitués au Nigeria. »
Si elle s’apparente à un « bricolage juridique », selon le mot du Pr Mark Pieth, président du groupe de travail de l’OCDE contre la corruption, la décision de l’OFJ marque néanmoins une étape importante dans l’évolution de la législation suisse. À l’évidence, le Conseil fédéral redoute que la multiplication de ce genre d’affaires finisse par altérer l’image du pays.
En décembre 2008, le gouvernement a même chargé le département fédéral des Affaires étrangères d’élaborer un projet de loi concernant les procédures de restitution. « Il devrait commencer à être appliqué dans un an ou deux », confirme Me Giroud-Roth. Les banques suisses continueront donc de recevoir l’argent des dictateurs, mais ces derniers auront plus de mal à en disposer après leur chute. Il est vrai qu’une cinquantaine de paradis fiscaux sont encore à leur disposition à travers le monde…
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