Des stades aux prétoires
Après une altercation musclée, en 2006, avec des policiers, Eunice Barber, l’athlète française d’origine sierre-léonaise, a été condamnée à 5 000 euros d’amende. Elle crie au racisme et porte plainte à son tour.
« J’ai apporté à ce pays je ne sais plus combien de médailles et voilà comment il me remercie ! » Entre Eunice Barber (35 ans) et la France, le divorce n’est pas totalement consommé, mais l’histoire d’amour a tourné court. Naturalisée en 1999, l’athlète d’origine sierra-léonaise vit désormais en Californie. De passage à Paris depuis le mois de janvier, elle est remontée comme une horloge. « Je n’ai ni haine ni rancœur. Mais je vais me battre, je ne lâcherai rien », avertit-elle. Précision : elle ne séjourne pas dans la capitale française pour des raisons sportives, mais… judiciaires.
Le 2 décembre dernier, à la suite d’une plainte déposée par cinq policiers, la double championne du monde d’heptathlon (1999) et de saut en longueur (2003) a en effet été reconnue coupable de « refus d’obtempérer, rébellion et outrages sur dépositaires de l’autorité publique » par le tribunal correctionnel de Bobigny et condamnée à 5 000 euros d’amende. Décision qu’elle juge « scandaleuse ».
Rappel des faits. Dans l’après-midi du samedi 18 mars 2006, Eunice Barber se trouve à bord de sa voiture, une Golf Volkswagen grise, en compagnie de sa mère et de son neveu. Arrivée aux abords du Stade de France, à Saint-Denis, dans la proche banlieue parisienne, elle s’engouffre, selon les policiers, dans une rue interdite à la circulation. Ce qu’elle conteste. « Elle n’était pas interdite. J’ai demandé à un policier si je pouvais l’emprunter, il ne m’a pas répondu. D’autres voitures s’y engageant, je les ai suivies. »
Aussitôt, ledit policier, accompagné de plusieurs collègues, se lance à la poursuite du véhicule, frappe sur le coffre et somme la conductrice de s’arrêter. « J’ai ouvert ma vitre, l’un d’eux m’a giflée », jure cette dernière. S’ensuit une vive altercation. Six policiers tentent de menotter la jeune athlète – 72 kg de muscle – qui se débat et finit par mordre deux d’entre eux à l’épaule et à la cuisse. « C’est la seule chose que j’ai reconnue. Il me tordait le bras, mon outil de travail, je me suis dit que je ne pourrais plus jamais lancer le poids. » Eunice est embarquée dans un fourgon, où elle est maintenue au sol, face contre terre. « Un des policiers avait posé son pied sur mon dos et me traitait de sale Noire », raconte-t-elle. Un autre aurait affirmé : « Tu vas ressortir d’ici avec des béquilles ! »
Pas de « violences aggravées »
Le 21 novembre 2006, la championne du monde est mise en examen par le juge d’instruction Olivier Géron. Mais les chefs d’accusation de « violences volontaires aggravées » et de « mise en danger de la vie d’autrui », l’un et l’autre passibles d’une peine de prison ferme, ne sont pas retenus contre elle. Les pièces versées au dossier, notamment la vidéo d’une caméra de sécurité du stade, infirment les déclarations de l’un des policiers, qui l’accuse d’avoir tenté de le renverser avec sa voiture.
Convaincue d’avoir eu affaire à des policiers racistes, Barber conteste les conclusions du tribunal de Bobigny, mais choisit d’en rester là. En revanche, l’un des policiers, défendu par Me Aïcha Condé, fille de Maryse, la célèbre écrivaine antillaise, interjette appel concernant les dommages et intérêts. « 5 000 euros, ça ne lui suffit pas, ironise Barber. Il tente de se faire passer pour la victime. » « Mon client juge dérisoire le montant de la réparation », confirme Me Condé.
Mais l’ancienne protégée de François Pépin à l’Institut national des sports et de l’éducation physique de Paris (Insep) contre-attaque. Sur un autre terrain. En décembre 2006, elle porte plainte contre les policiers auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Bobigny, avec constitution de partie civile, pour « faux en écriture publique » et « dénonciation calomnieuse ». Elle accuse notamment les fonctionnaires d’avoir travesti les faits en évoquant, dans leur premier rapport, son comportement prétendument agressif et dangereux. « Le retrait de l’accusation de violence aggravée prouve bien qu’il y a, de leur part, une succession de mensonges », estime Barber.
Las, cette « affaire dans l’affaire » va la brouiller avec Me Emmanuel Daoud, son avocat : « Ma plainte continuait de courir et je l’ignorais. Pour moi, l’affaire était terminée. Mon défenseur n’a jamais travaillé sur cette plainte. Comme il n’a jamais accepté que mes témoins, notamment ma mère, déposent au procès », accuse-t-elle. Joint par téléphone, Me Daoud, qui est membre du Groupe d’action judiciaire de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, proteste de sa bonne foi : « Il n’y a pas une décision qui n’ait été approuvée et validée par ma cliente. » Pour Me Michel-Ange Mayan, le nouveau défenseur de la jeune femme, « cette plainte aurait dû être étudiée bien avant l’autre, car elle détermine tout le reste. Si le faux en écriture publique est avéré, nous redemanderons un nouveau procès. »
Contrats annulés
Quelle que soit l’issue des deux procédures en cours, Eunice Barber ne sort pas indemne de l’aventure. Elle affirme avoir perdu plusieurs contrats avec des sponsors, Pepsi-Cola notamment. À l’en croire, l’opération au genou droit qu’elle a subie en septembre 2007 est liée à son arrestation musclée : « On m’a fait une clef de jambe qui a écrasé les cartilages. » Depuis, elle enchaîne les contre-performances sportives. En 2007, elle a été éliminée en qualifications des Mondiaux d’athlétisme, à Helsinki, et a renoncé à s’aligner dans l’heptathlon. Et elle n’est pas parvenue à se qualifier pour les J.O. de Pékin, en août de l’année suivante.
Pourtant, sa détermination ne faiblit pas. « Avec tout ce que j’ai enduré, je suis plus forte que jamais », dit-elle. Souriante et apparemment bien dans sa peau, l’athlète, fan de mode et de R’nB, va communiquer son dossier « à toutes les associations possibles », à commencer par l’antenne française d’Amnesty International. Une version anglaise est également en cours d’élaboration.
En attendant, la championne entraînée par l’Américain Bob Kersee à l’Université de Californie-Los Angeles (Ucla) se concentre sur la prochaine saison – qui, pour elle, sera aussi la dernière. « Je mettrai fin à ma carrière en 2010 », confie-t-elle.
À l’avenir, elle envisage d’écrire ses Mémoires, dans lesquels elle racontera la « sale histoire » dont elle a été victime, et de créer une ligne de vêtements à sa griffe, aux États-Unis. Mais elle n’oublie pas la Sierra Leone, qu’elle a quittée en 1992 et où elle compte entreprendre des actions en faveur du développement : « Je suis en contact avec les conseillers du président Koroma et souhaite me rendre très rapidement à Freetown. »
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